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Le cas du Bassin du Congo

Les forêts tropicales africaines hébergent un quart du stock mondial de carbone terrestre présent dans la végétation et les sols. Sur les 400 millions d’hectares constituant le bassin du Congo, près de 200 millions sont couverts par la forêt. Partagé entre six pays, il compte actuellement 80 millions d’habitants. On estime que la forêt du bassin séquestre l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre de la circulation automobile mondiale, d’où son caractère stratégique de bien public mondial. À ce jour, l’évolution du taux annuel dans les stocks de carbone a été relativement modeste. Avec une relative faible densité de population, l’exploitation forestière n’y est pas encore associée à une déforestation désastreuse. Mais des sujets d’inquiétude sont récemment apparus (Marienet Bassaler, 2014).

Le Bassin du Congo

Source, infographie Alternatives Economiques

La forêt du bassin du Congo rend de précieux services. La biodiversité de la forêt du Congo fournit à des millions de personnes, du bois, des produits forestiers non ligneux, de la nourriture et des médicaments. Elle maintient le cycle hydrologique et elle apporte un important contrôle des inondations dans une région de grande pluviosité. Des écosystèmes forestiers sains peuvent faciliter un refroidissement à l’échelle régionale à travers l’évapotranspiration et constituer des tampons naturels contre la variabilité du climat régional (Megevand 2013).

Les conséquences d’une déforestation incontrôlée seraient nombreuses. Certains constats sont alarmistes. En RDC, le pillage de la forêt et les coupes à blanc causées par l’augmentation des chemins forestiers et le saccage de la forêt pour le bois-énergie pourraient entraîner la perte de 40 % du couvert forestier. Cette perte aurait pour impact la libération de 34,4 milliards de tonnes de CO² (De Wasseige et al., 2015).

De fait, l’enclavement et l’insécurité ont isolé, pendant des années, la forêt de production de la RD Congo, dont des millions d’hectares avaient été attribués sous forme de titres forestiers sans aucune considération sociale ni environnementale. En 2002, un moratoire a été introduit comme un moyen de prévenir une course folle aux ressources après la fin de la guerre civile. Malgré ces restrictions, l’exploitation forestière illégale et le braconnage sont devenus un énorme problème dans le pays. En octobre 2017, Greenpeace et un groupe d’experts ont mené une campagne de communication sur les tourbières qui couvrent 145,000 km2 d’un espace marécageux à cheval entre le Congo-Brazzaville et la RDC, soit une zone un peu plus grande que l’Angleterre. Ces tourbières stockent environ trente milliards de tonnes de carbone. Cela représente autant de carbone que les émissions d’énergie fossile de toute l’humanité sur trois ans, selon les experts. Début 2018, le gouvernement de Kinshasa envisageait de mettre fin au moratoire de 16 ans sur l’octroi des nouveaux titres d’exploitation forestière.

Les Etats du bassin du Congo veulent transformer davantage sur place le bois extrait de leurs forêts mais ce projet se heurte partout à bien des défis. Le Cameroun a été le premier à interdire l’exportation des grumes, au milieu de la décennie 1990, mais, il a assoupli sa décision. Au Gabon, aucune grume ne sort depuis 2010, mais le bois transformé sur place peine à trouver des débouchés et cela se ressent sur les recettes du pays. Depuis 2000, cependant, la moyenne de production grumière dans la région atteint 7,5 millions de mètres cubes par an. Le taux moyen de transformation est de 54 % dans l’ensemble de la région (contre 30 à 45 % en 2000). Pourtant, dans l’ensemble du Bassin du Congo, il est encore souvent plus rentable pour les entreprises d’exporter des grumes transportées sur des centaines de kilomètres avec leurs déchets, que d’exporter des bois sciés et usinés.

Qu’attendre des instruments internationaux ?

Il n’existe aucun instrument totalement contraignant concernant les forêts tropicales. Pourtant, le sujet est à l’ordre du jour depuis longtemps. En 1985, les efforts conjugués de plusieurs États et organisations, présents au Congrès forestier mondial, ont donné lieu au Plan d’action forestier tropical (PAFTI). Le but premier de ce plan était de combattre les phénomènes humains et naturels qui favorisent la déforestation. En 1992, à l’issue de la conférence de Rio fut adoptée une « Déclaration de principe pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts » ; elle était supposée être l’esquisse d’un cadre de référence. En 2014, 130 États ont adopté la Déclaration de New York sur les forêts, en s’engageant à diviser par deux la déforestation d’ici 2020 et à la faire cesser d’ici 2030. Les Objectifs pour le Développement Durable adoptés en 2015, consacrent l’objectif 15 à la protection, la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres et mettent un accent particulier sur les forêts.

Le modèle dominant qui préside à l’élaboration des divers instruments internationaux est basé sur une définition dans laquelle une forêt est principalement considérée comme un « groupe » d’arbres dans le but principal de produire du bois. Fernande Abanda Ngono (2017) montre bien le grave écart qui subsiste entre la représentation de la forêt par les communautés des écosystèmes forestiers multifonctionnels, et celle mise en exergue dans le processus de patrimonialisation mondiale des espaces naturels. La définition étriquée, utilisée notamment par la FAO, intègre les monocultures industrielles, de grande taille, habituellement dans des plantations de millions d’arbres non indigènes potentiellement envahissants, y compris des variétés d’eucalyptus et de peupliers génétiquement modifiées, qui sont trompeusement décrites comme des « forêts plantées ». Cette définition biaisée ne reconnaît pas la multiplicité des fonctions, avantages et valeurs essentiels des forêts, et ignore trop souvent le rôle important des communautés humaines qui vivent, protègent et dépendent durablement des forêts, de leurs moyens de subsistance et de leurs identités culturelles.

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