Comprendre les enjeux de l'agriculture

La déforestation évitée, quelle application ?

Le Protocole de Kyoto de 1997 reconnaît explicitement le rôle des forêts dans la lutte contre le changement climatique. Le dispositif a été complété, en 2013, par un mécanisme dit Reducing emissions from deforestation and forest degradation (REDD+). Le principe est de rémunérer les pays en développement et émergents par un mécanisme de marché et des contributions des pays industrialisés, pour des actions évitant la déforestation, réduisant la dégradation forestière ou augmentant les stocks de carbone des forêts. L’incitation financière est décaissée à la vue des résultats, après un constat précis et fiable de l’évolution favorable du couvert forestier concerné.

Le mécanisme REDD+ a connu un certain développement grâce à la vente de permis d’émission sur le marché volontaire et privé de la compensation carbone à des entreprises occidentales. Les projets sont donc plutôt des projets privés, loin du mécanisme envisagé à l’origine pour rémunérer les États pour leur action de prévention de la déforestation.

Le financement de la REDD+ a déjà bénéficié aux pays du Bassin du Congo. Les six pays du Bassin du Congo ont tous pris des engagements vis-à-vis de la stratégie REDD+ et ont reçu, en retour, le soutien de bailleurs de fonds bilatéraux et/ou de programmes multilatéraux par l’intermédiaire de la Banque mondiale, de fonds des Nations Unies ou du Fonds forestier pour le Bassin du Congo. Les fonds sont toujours engagés à travers ces canaux. Les ressources financières dont bénéficient actuellement les pays du Bassin du Congo relèvent de la Phase 1 du mécanisme REDD+ portant sur le processus de préparation. Un des problèmes méthodologiques les plus délicats pour les pays concernés reste la définition des niveaux de référence (la situation de départ, avant aménagement). La manière avec laquelle ils sont définis influencera fortement l’avenir du mécanisme REDD+ et les avantages potentiels qu’en obtiendront les différents pays. La sujétion aux résultats propre à la Phase 3 nécessitera des capacités de mise en œuvre des plans ainsi que de mesure et de suivi des stocks de carbone, pour que les pays puissent être récompensés en fonction de leurs performances.

Pour A. Karsenty et al. (2012), l’application du mécanisme REDD+ est particulièrement difficile dans le contexte africain. Elle ignore l’économie politique des États, en particulier lorsqu’il s’agit d’États dits « fragiles » ou même « faillis », confrontés à des crises institutionnelles graves et chroniques, souvent régies par des gouvernants travaillant dans leur propre intérêt et alimentant la corruption. Deux hypothèses sous-tendant la proposition REDD+ sont particulièrement critiques : 1. l’idée que le gouvernement d’un tel État puisse être en mesure de prendre la décision de modifier le cap du développement sur la base d’une analyse coûts-avantages promettant des compensations financières ; 2. l’idée qu’une fois cette décision prise, cet État « fragile » soit capable, grâce aux compensations financières, de mettre en œuvre et de faire appliquer des politiques et des mesures appropriées menant à une réduction de la déforestation.

Aménager ou pas ?

Crédit photo, Pierre Jacquemot

L’aménagement forestier vise à la « multifonctionnalité durable » de la forêt. Il s’agit de promouvoir la production raisonnée de bois mais aussi de produits forestiers non ligneux, tels que champignons, fruits, plantes ornementales, fourrages, racines, exsudats, etc.). Il s’agit également de maintenir des services écologiques rendus par l’écosystème forestier : stabilisation des sols, protection des eaux, intégrité écologique du massif, contrôle des activités de chasse, pêche et cueillette, en partenariat avec les populations et autorités locales. Un bon aménagement est l’aboutissement par consensus d’un processus de concertation et d’arbitrage entre les différents partenaires. La certification est sa consécration. Les démarches vertueuses sont connues (Millet Louppe, 2015

Le concept d’aménagement-exploitation a été développé en Afrique centrale, au cours des années 1980, pour mettre en place, en forêt dense, un outil d’aménagement forestier opérationnel adapté aux particularités de l’économie forestière locale : potentiel important de forêts inexploitées et dépourvues d’infrastructures, faibles densités de population et marchés intérieurs très limités, filière orientée vers l’exportation de bois de qualité sur les marchés européens, et volonté politique des gouvernements de développer une industrie de transformation des bois sur le territoire national.

Cette notion d’aménagement est entrée en pratique après un certain nombre d’opérations en grandeur nature. Le premier projet pilote, particulièrement novateur, date de 1993-1995 dans l’Est du Cameroun (projet API Dimako avec le groupe français Rougier) intégrant non seulement des exigences de rendement forestier soutenu, mais aussi la prise en compte des fonctions environnementales et sociales de la forêt. Ce modèle s’est ensuite diffusé dans l’ensemble des pays du bassin et auprès des entreprises forestières exploitant de grandes concessions.

Trois étapes découpent le travail de planification forestière.

– La première étape vise à établir un inventaire de l’aire à aménager, du milieu et de son histoire. Il fait l’état de l’environnement socio-économique (caractérisation des populations des villages riverains, analyse de l’économie locale au moyen d’enquêtes de terrain).

– La deuxième étape est celle de la rédaction du plan d’aménagement qui précise : le découpage géographique de la concession en fonction des usages ; les paramètres d’aménagement à partir de la connaissance du peuplement fournie par l’inventaire (sélection des essences, taux de reconstitution, choix du diamètre ou de l’âge de fructification efficace) ; enfin la planification opérationnelle (taux et nombre maximum d’arbres abattables par hectare, surface maximale des coupes, espaces à protéger de l’exploitation, stratégie de bardage, ouverture des routes principales, mesures prévues pour garantir les droits des populations riveraines et la protection de l’environnement).

– Enfin, la troisième étape est celle de la mise en œuvre. Sur les bases précédentes, le plan d’aménagement détermine la production escomptée et un calendrier annuel d’actions à mettre en œuvre, par parcelle. En règle générale, la concession est divisée en 25 ou 30 assiettes de coupe annuelles. Tous les ans une assiette différente est exploitée puis fermée jusqu’à la fin de la rotation. Cela permet, lorsqu’on revient 25 ou 30 ans après sur les premières assiettes de coupe de retrouver une ressource forestière qui s’est reconstituée.

Les phases de l’aménagement-exploitation

L’application des principes de l’aménagement durable est désormais une obligation légale reprise dans les codes forestiers de plusieurs pays d’Afrique centrale. Normalement, le principe est simple : sans plan d’aménagement validé par l’État, pas de concession accordée.

Le bilan de la certification dans le Bassin du Congo

  • 59 millions d’hectares en concession (2017), stable depuis 2006, pour une superficie de forêt dense humide de 171 millions d’hectares.
  • 371 concessions soit une superficie moyenne de 133 000 ha par concession.
  • 31 millions d’hectares avec plan d’aménagement en 2017 approuvés par les États, soit plus de la moitié de surfaces concédées.
  • 8,8 millions d’hectares certifiés dont 5,6 millions FSC.
  • Le taux de prélèvement est tombé dans les superficies certifiées, dans certaines concessions à 1,5 arbre par hectare, une parcelle n’étant exploitée que tous les 30 à 50 ans.

(Source Observatoire de la COMIFAC)

Faut-il vraiment aménager ou pas ? Cette question en apparence insolite est posée depuis qu’un article de J.S. Brandt C. Nolte et A. Agrawal (2016) est parvenu à la conclusion que la déforestation serait, au Congo, plus élevée dans les concessions forestières avec des plans d’aménagement que dans celles qui n’en ont pas. L’analyse qui a conduit à un tel résultat se base sur une observation de parcelles sélectionnées aléatoirement dans des concessions avec et sans plans d’aménagement. Les résultats indiquent que le réseau de routes forestières plus développé dans les concessions aménagées serait un des facteurs explicatifs. L’autre facteur serait le développement local lié aux cahiers des charges des plans d’aménagement, lequel conduirait à une augmentation de la population dans ces concessions et, en conséquence, à une déforestation accrue. Ces résultats gênants sont contredits par d’autres enquêtes (Karsenty et al., 2017) qui constatent que si l’on compare à production égale la déforestation dans des concessions avec et sans plan d’aménagement, il apparaît que les unités aménagées sont environ deux fois plus « efficaces », c’est-à-dire qu’on observe deux fois moins de perte de couvert forestier par mètre cube produit. Que faut-il en conclure ? Probablement qu’il est nécessaire d’analyser avec précision la dynamique des différents facteurs de déforestation, et éviter d’imputer mécaniquement à l’aménagement forestier un rôle excessif dans l’évolution dans un sens ou dans l’autre du taux de déboisement. Par ailleurs, les effets de l’aménagement forestier doivent être mesurés sur le long terme : l’objectif de l’aménagement est de permettre une mise en valeur forestière durable, en conservant l’essentiel du capital productif pour éviter, autant que possible, la conversion à d’autres usages après les cycles de coupe initiaux.

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