Comprendre les enjeux de l'agriculture

Conforter la place de l’agriculture périurbaine

Le monde rural ne peut prétendre à l’exclusivité. La ville approvisionne la ville. L’agriculture urbaine constitue le principal grenier agricole de plusieurs villes africaines, en dehors des céréales, en assurant une part importante de leurs besoins en légumes et autres produits agricoles. En Afrique, quelque 40 % des citadins « participent à une activité agricole, sous une forme ou une autre » (FAO, 2017). La plus grande partie des légumes à feuilles consommés à Accra, Bangui, Brazzaville, Ibadan, Kinshasa et Yaoundé – en tout plus de 22 millions d’habitants – est produite par l’agriculture urbaine et périurbaine. À Dar-es-Salam, c’est 90 % de la demande en légumes qui est assurée par cette agriculture. À Kampala, c’est 70 % de la demande en viandes de volailles et œufs qui est satisfaite par la ville. Autre exemple, à Dakar, cette activité couvre à hauteur de 75 % la demande en légumes et sa composante avicole représente un tiers de la production nationale. La même tendance est observée dans toutes les villes d’Afrique subsaharienne.

L’agriculture péri-urbaine englobe des activités diverses qui vont de l’aquaculture à l’élevage et de l’horticulture à l’agroforesterie. Certaines activités sont concentrées en zone péri-urbaine (élevage), alors que d’autres sont pratiquées dans le tissu même des villes (maraîchage). Tous les lieux sont investis : trottoirs, arrière-cours, jardins, fossés. À Antananarivo, les vergers familiaux s’insinuent entre les immeubles. L’aquaculture quant à elle dépend de la présence d’étangs, de ruisseaux, d’estuaires, de lagons, tandis que l’agroforesterie se pratique davantage en présence de ceintures vertes. Pour ce vaste éventail d’activités, les agriculteurs adoptent et adaptent des technologies convenant aux environnements urbains, dont l’ « agriculture verticale », hors sol dans des récipients entassés verticalement, vaporisés en permanence de solutions nutritives (aéroponie, hydroponie),

Créer des opportunités de consolidation des chaînes de valeur locales

La classification des aliments consommés, selon leur degré de transformation et le type d’entreprises qui les produisent, permet d’évaluer la structure du secteur agroalimentaire. Le secteur des microentreprises et des petites et moyennes entreprises, majoritairement tenues par les femmes, intervient majoritairement dans la commercialisation, la transformation, la distribution et la restauration. Peu reconnu par les pouvoirs publics, ce secteur fournit au moins le quart de la valeur de la consommation à l’échelle des pays, et près de 30 % du marché alimentaire urbain. Il valorise surtout des produits locaux qu’il adapte aux modes de vie urbaine et au pouvoir d’achat limité et fractionné d’une importante partie de la population. Il contribue à construire une culture alimentaire valorisant à la fois les traditions rurales et inventant des identités spécifiquement urbaines. Mais il est surtout un important pourvoyeur d’emplois.

Crédit photo, Jacquemot

Prenons le cas du manioc. Sa forte expansion au Nigeria est liée à la demande pour les produits transformés tel que le gari qui est un fast-food très adapté à la demande locale, surtout pour les consommateurs à faible revenu. De nouvelles technologies pour le séchage et la transformation du manioc en produits semi-finis sont apparues à proximité des champs. La transformation s’est ensuite rapidement développée à un niveau artisanal ou micro-industriel. 500 centres de micro-transformation et 120 petites entreprises ont été construits entre 2005 et 2015 à l’aide de divers projets visant à produire de la farine de haute qualité. Au Ghana, de manière proche, la transformation a été soutenue par l’Etat à travers la mise en place de différentes structures de conseils (Gratis, Food Research Institute, Rural technology service centres) dans toutes les régions du pays, formant et mettant en réseau les professionnels de la transformation.

L’organisation des filières, dominée souvent par le secteur informel à toutes les étapes (de la production à la consommation, en passant par la transformation, le transport, le stockage) nécessite des appuis spécifiques et la recherche de solutions techniques et organisationnelles innovantes, tout en prenant en compte des attentes des consommateurs, notamment des nouvelles classes moyennes urbaines, en termes de qualité et de sécurité sanitaire. La question opérationnelle est celle de la rationalisation du mode d’organisation de la filière et de l’intensification des relations de services entre les acteurs. Une stratégie efficace de filière applique des critères de coopération/partenariat et de systèmes de certification et de normes pour gagner en coûts de transaction, créer des relations d’entraide entre acteurs et entre territoires, ou par exemple réaliser un équilibre régional en fonction des contraintes locales (ressources internes, dimension du marché).

Mettre en place un crédit agricole et rural élargi

Pour se transformer, les agricultures familiales ont besoin d’investir et, souvent, faute de ressources propres suffisantes, d’accéder à des services financiers adaptés : crédit, épargne, assurances. Or ces services financiers, et l’offre de crédit en particulier, restent défaillants 
face à la demande des agricultures familiales. En moyenne 5 % des crédits à l’économie vont à l’agriculture en Afrique. Les volumes financiers disponibles sont faibles au regard de l’ampleur de la demande et ils se concentrent sur du crédit de court terme. Les crédits de moyen terme et de long terme pour l’investissement et l’innovation font défaut.

Les banques commerciales sont peu présentes dans le secteur rural et les institutions de microfinance offrent des produits et des volumes peu adaptés. Les taux d’intérêt proposés sont souvent difficilement compatibles avec le niveau de rentabilité des activités paysannes. L’offre de services financiers est peu compatible avec la nature systémique des besoins de financement des agricultures qui combinent des productions agricoles vivrières et commerciales, différentes formes d’élevage et souvent des activités non agricoles (école, santé, aménagements fonciers…). Alors que les ménages agricoles ont besoin d’accéder à une gamme de crédits au large spectre, les institutions financières peinent à diversifier leur offre financière et limitent fortement les possibilités pour un même ménage de combiner différents crédits, car elles jugent que c’est trop risqué et complexe à gérer.

À l’exception de quelques institutions de microfinance et de certaines banques rurales, les personnels des institutions financières sont peu familiers avec les réalités des agricultures familiales. Les décideurs politiques et les partenaires techniques et financiers organisent leur action autour de quelques concepts dominants — la finance de filière, l’assurance agricole, l’entrepreneuriat agricole — qui gagneraient à être confrontés à la complexité des réalités.

Une large mobilisation, associant les organisations agricoles, est donc aujourd’hui une condition forte pour construire, à l’échelle des territoires, une politique de financement des agricultures familiales. Des exemples de bonnes pratiques sont utiles. Créées au Niger en 1991, les associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC) montrent qu’il existe des options alternatives. Les membres épargnent à des intervalles réguliers et prêtent des fonds suivant les conditions déterminées par le groupe. Elles se sont répandues dans 39 pays, essentiellement africains. Elles offrent de vastes possibilités pour aider les jeunes à épargner de l’argent afin de l’investir dans l’agriculture et d’accéder au crédit, tout en bénéficiant d’accompagnement et d’accès à l’information à travers un groupe. Les AVEC pourraient aider les jeunes des zones rurales à se lancer dans l’agriculture et les secteurs non agricoles.

La téléphonie mobile offre dans certaines circonstances la possibilité d’étendre l’accès aux services financiers vers les zones rurales reculées. Les transactions sont ainsi plus rapides : le versement d’un petit crédit peut prendre plusieurs semaines, contre seulement une à deux heures avec un compte mobile. Le Kenya a été pionner en la matière avec M-Pesa (argent en swahili), créé en 2007 par Safaricom et dont les transactions traitées sont équivalentes à celles de toutes les banques du pays. En 2016, il comptait plus de 20 millions d’utilisateurs, soit un Kenyan sur trois, On connaît aussi l’essor des nombreuses plates-formes mutualisant les informations indispensables sur la météo, sur les marchés et sur les prix. FarmDrive offre une application kenyane qui propose un outil d’évaluation des demandeurs de crédit. Ceux-ci remplissent des informations relatives à leur exploitation (surface, rendements, intrants utilisés) et, sur cette base, FarmDrive élabore des rapports permettant de confirmer ou non la solvabilité future des paysans emprunteurs. La fintech se déploie aussi ailleurs. En Ouganda, Ensibuuko permet à des coopératives d’offrir des services financiers mobiles à leurs membres grâce à une application mobile, MoBis (Mobile Banking & information software). Les agriculteurs consultent leurs relevés de compte et effectuent des demandes de transactions financières depuis leur téléphone. Elles sont traitées au niveau de la coopérative, sur un serveur informatique où sont numérisées les données bancaires. D’autres services mobiles ne sont pas à proprement parler des services bancaires, mais facilitent tout autant l’accès au crédit.

Diverses approches se développent, se concentrant sur le financement des intrants, le financement de la campagne agricole, ou encore le financement de la commercialisation. La plupart de ces approches contribuent au renforcement des liaisons entre les acteurs de la filière avec pour enjeu une meilleure sécurisation des approvisionnements et les débouchés sur les marchés locaux ou régionaux. Certains projets ont pour objectif de fournir un appui direct au développement des banques commerciales et des institutions de microfinance.

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