Comprendre les enjeux de l'agriculture

Augmenter l’offre de produits alimentaires sains et nutritifs

Les dynamiques agricoles de toute l’Afrique subsaharienne à l’horizon 2050 peuvent être établies sur les projections de la FAO. La progression de la demande en produits agricoles alimentaires prévue pour l’Afrique subsaharienne à l’horizon 2050 sera en toute vraisemblance la plus forte parmi celles de toutes les régions du monde. Elle sera multipliée par 2,6 par rapport à 2016. En contrepartie, le rendement moyen en calories alimentaires végétales par hectare cultivé restera très modeste : environ 23 000 kcal/ha/jour en 2050, bien loin de la moyenne mondiale (32 200 kcal/ha) et plus encore de la moyenne de l’Asie ou de l’Europe (plus de 40 000 kcal/ha). Au final, l’Afrique subsaharienne devrait voir doubler son déficit net en calories alimentaires végétales (près de 700 Gkcal/jour en 2050, alors qu’elle avait un excédent net de 70 Gkcal/jour en 1961).

L’hypothèse souvent retenue d’une productivité constante de l’agriculture dans les prochaines décennies est hautement discutable s’il n’y a de rupture dans le modèle technique. En effet, l’impact du dérèglement climatique sera a priori négatif. Le rapport Africa’s Adaptation Gap du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), signale qu’un réchauffement d’environ deux degrés Celsius entraînerait d’ici le milieu du siècle une baisse de la production de 5 % pour le maïs, de 15 % pour le sorgho, et de 10 % pour le mil. Si le réchauffement dépassait les 3 °C, toutes les régions actuellement productrices de céréales se révéleraient inadaptées à ce type de cultures. Reconnaissons qu’il règne une grande incertitude sur l’ampleur et la nature exacte des impacts du climat sur l’agriculture. On pourrait tout aussi bien observer des phénomènes inverses dans certaines régions : une réduction des zones arides en Afrique australe et une augmentation des précipitations dans les Hauts Plateaux, en Éthiopie notamment. Ce qui est certain, c’est que le climat va imposer l’invention d’une nouvelle agronomie.

La croissance passée de la production agricole en Afrique au sud du Sahara s’explique principalement par l’expansion des surfaces cultivées et par l’intensification des systèmes de culture, et non par une amélioration à grande échelle de la productivité. Si le nombre de travailleurs agricoles a progressé, la productivité par travailleur n’a augmenté que de 1.6 % en Afrique au cours des 30 dernières années, contre par exemple 2.5 % en Asie. Le sous-continent étant généralement considéré comme une région riche en terres, la poursuite de l’expansion des surfaces cultivées au cours de la décennie à venir peut ne pas sembler poser problème. Toutefois, les zones rurales sont très hétérogènes et bien qu’une grande partie des terres y demeure inutilisée ou sous-utilisée, une part considérable de la population rurale vit dans des zones d’agriculture familiale qui sont densément peuplées et où les terres manquent. Une bonne partie des terres sous-utilisées est concentrée dans relativement peu de pays et, à ce jour, entre la moitié et les deux tiers des terres excédentaires sont des forêts. La conversion de ces terrains boisés en terres agricoles aurait un coût environnemental considérable. L’augmentation de la population rurale et la pression foncière qui en découle ont amené de nombreux pays africains à cultiver les terres en permanence, si bien que les terres en jachère disparaissent massivement dans les zones densément peuplées. La proportion de terres en jachère par rapport au total des terres agricoles en Afrique a diminué, passant de 40 % en 1960 à environ 15 % en 2015. Ce mode d’exploitation ininterrompue ne poserait pas de problème si les engrais, les pratiques d’amendement des sols et les autres investissements dans l’expansion des surfaces cultivées étaient raisonnablement employés et s’accompagnaient d’un apprentissage des méthodes d’amélioration de la fertilité des sols. L’exploitation ininterrompue des terres et l’absence de rotation des cultures épuisent les ressources en carbone organique du sol, qui devient alors moins réactif aux applications d’engrais.

La disponibilité effective en terres est donc un facteur contraignant, sachant que les politiques foncières actuelles accroissent souvent les inégalités en matière de propriété foncière, et que dans certains cas, elles pourraient rendre plus difficile l’expansion des surfaces cultivées dans les zones d’agriculture familiale densément peuplées. Sachant aussi que les villes en pleine croissance se développent sur des terres arables et « potentiellement cultivables » et que la population urbaine d’Afrique subsaharienne devrait approcher le milliard d’ici 2050. Dans le même temps, la population active agricole a toutes les chances d’augmenter elle aussi d’ici cette échéance. Les surfaces disponibles par travailleur de l’agriculture pourraient ainsi passer d’une moyenne d’un peu plus d’un hectare à environ 0,7 ha par individu. Avec des situations très différentes selon les pays, avec une disponibilité en 2050 qui varierait d’environ 28 ha en Afrique du sud à moins de 0,2 ha au Rwanda et au Burundi, si on devait limiter l’agriculture aux zones hors forêts et espaces protégés. Dans certaines zones arides conjuguant la pression du changement climatique sur leurs zones cultivées et une pression démographique forte, comme au Niger au Burkina Faso ou au Malawi, la surface mise en culture par actif se réduirait à environ 0,6 ha.

D’autres pays en revanche pourraient maintenir des surfaces par actif supérieures à 2,5 ha s’ils développaient leur irrigation à hauteur du potentiel dont ils disposent, comme ce fut le cas dans les pays du Maghreb les plus septentrionaux. La réponse aux limites foncières et aux contraintes climatiques se situe effet pour partie dans la sécurisation de la production par l’irrigation. Le potentiel d’évolution est grand. Moins de 3 % des terres subsahariennes sont actuellement irriguées, contre environ 40 % en Asie. On les trouve en Afrique du Sud, à l’Office du Niger (Mali), dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, au Soudan (barrage de la Gezireh), au Mozambique (périmètre de Chkowe). La culture irriguée se développe aussi en dehors des grands aménagements, à l’échelle locale, par l’aménagement de petits barrages dans les bas-fonds, de forages de puits et par la diffusion dans les villages de pompes à moteur, à traction ou à pédales. Depuis les années 1980, gérée localement par les usagers, l’irrigation se diffuse avec un certain succès, dans le cadre de périmètres maraîchers de contre-saison notamment, au prix d’une augmentation des temps de travail et de la mobilisation d’une main-d’œuvre familiale ou salariée.

Tableau 1. Terres arables et terres irriguées (en millions d’hectares).

Situations et projections. Afrique subsaharienne

  Terres irriguées Terres arables Part des terres irriguées
1961-1963 2,5 133 1,9 %
1989-1991 4,5 161 2,8%
2005-2007 5,6 190-230 2,4-2,9%
2030 6,7 275 2,4%
2050 7,9 300 2,6%

Source, Durand-Lasserve et Le Roy, 2012.

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