Rendre les campagnes capables de conquérir les marchés urbains
On s’éloigne de plus en plus d’une situation où l’alimentation des ruraux était essentiellement assurée par leur production. La plupart des petits exploitants restent souvent des acheteurs nets de produits alimentaires. Les ménages ruraux d’Afrique de l’Ouest achètent en moyenne la moitié des aliments qu’ils consomment et le marché alimentaire intérieur pèse pour la même proportion dans le marché alimentaire national de nombreux pays. Le système alimentaire rural est à présent largement monétisé, ce qui signifie que les ménages, y compris les agriculteurs pauvres, sont devenus, pour leur sécurité alimentaire, dépendants des marchés et des prix, et pas seulement des niveaux de leur propre production alimentaire.
Cette monétisation tient à diverses raisons. Certes des situations d’enclavement extrême persistent, mais la majorité des campagnes est assez bien reliée par les transports en commun. Les économies s’imbriquent, les circulations s’intensifient et, localement, les limites entre le rural et l’urbain s’estompent. L’émergence de bourgs et de petites villes accompagnent la densification des campagnes. L’urbanisation revêt dans une large mesure, la forme de « villages urbains » où une partie des « rurbains » vit d’activités non agricoles (artisanat agroalimentaire, artisanat de construction, réparation, commerce, transport, éducation santé, services, etc.).
De nombreuses enquêtes mettent en évidence l’importance et la vitalité de la production et des filières agroalimentaires locales en réponse à la hausse tendancielle de la consommation alimentaire urbaine. En même temps, l’adoption des modes de vie urbains s’accompagne de changements dans les habitudes alimentaires. On assiste à une baisse de la consommation des céréales au profit de la viande, du poisson, des fruits, des légumes, des huiles et des aliments transformés. Ils représentent à présent la moitié des dépenses alimentaires des ménages urbains. La demande de produits prêts à consommer est une tendance observée dans l’ensemble des catégories de revenus et des zones. Elle se traduit par une forte demande de produits préparés et par le développement des repas achetés dans la rue. Suivant ces tendances, les activités post-récolte non agricoles de l’économie de l’alimentation telles que la transformation, la logistique et la vente au détail, se développent rapidement.
Alors que les débats sur la sécurité alimentaire sont souvent focalisés sur les seules céréales, ces produits représentent cependant moins de la moitié de la consommation alimentaire. En milieu urbain, les produits autres que céréales et tubercules représentent les deux tiers des dépenses des ménages, mettant en avant le rôle économique des filières maraîchères ou de productions animales (produits laitiers, produits de pêche et d’aquaculture et produits carnés).
Pour autant, la conquête du marché domestique n’est pas partout et toujours une affaire aisée. Le Sénégal est un cas intéressant. L’État entend depuis longtemps assurer son autosuffisance en riz à la base de l’alimentation pour de nombreux Sénégalais. Mais il n’y parvient pas. Sa production en provenance de la vallée du Fleuve Sénégal, de l’Anambé et de la Casamance est insuffisante par rapport à la demande intérieure. Durant les années 2010, le taux de couverture moyen s’est situé autour de 30 % (600 000 tonnes de paddy, équivalent à 390 000 tonnes de riz blanc produites pour une consommation de plus d’un million de tonnes de riz blanc). Les importations en provenance de Thaïlande, du Vietnam, d’Inde, de Chine, du Brésil et d’Argentine sous forme de brisures parfumées étaient en 2017 responsables de 16 % du déficit de la balance commerciale. Des progrès notables ont pourtant été enregistrés au niveau des itinéraires techniques et à celui de la transformation en riz blanc. Mais ils sont insuffisants parce qu’entravés par des politiques contradictoires. En toute logique, les marges des producteurs sont très sensibles aux prix pratiqués. Or le fait le riz n’est quasiment pas protégé au niveau des entrées par le TEC-CEDEAO et que les importations bon marché sont privilégiées par l’État pour répondre à la pression des consommateurs urbains, les marges des producteurs et des transformateurs locaux sont toujours insuffisantes pour constituer une incitation. On se trouve là devant deux objectifs difficilement conciliables : réaliser l’autosuffisance à long terme au bénéfice des ruraux et répondre à court terme à la pression des classes urbaines.