Comprendre les enjeux de l'agriculture

Enjeu 4. Lever les « pratiques anormales »

Crédit photo, lavisenegalaise.com

Il serait illusoire de considérer que les freins actuels au commerce intra-africain sont essentiellement liés aux barrières tarifaires. Si tel était le cas, le commerce dans l’espace ouest-africain aurait atteint des chiffres élevés. Les obstacles non tarifaires internes restent nombreux et bien enracinés : contingentements imprévus, refus des conditions préférentielles, mauvaises conditions d’acheminement et de stockage… L’équivalent tarifaire de ces obstacles est évalué en moyenne à 40 % – un taux beaucoup plus élevé que les tarifs appliqués par la plupart des pays du monde [International Centre for Trade and Sustainable Development, 2016]. Au sein des CER qui l’ont mis en œuvre, le désarmement tarifaire n’a pas été synonyme d’une augmentation très significative du trafic. Malgré l’adoption de tarifs extérieurs communs, le commerce est resté entravé par des nombreux handicaps. Parmi celles-ci citons ceux liés à la non-libre circulation des hommes. Les Africains ont besoin d’un visa pour se rendre dans un autre pays africain dans la majorité des cas. Seuls treize pays offrent un accès libre à leurs frontières. L’observation est souvent faite : les Nord-Américains voyagent plus facilement en Afrique que les Africains.

Les entraves au commerce ne sont pas que légales. Il faut au moins de 30 jours de dédouanement des marchandises en Afrique de l’Ouest, alors qu’en Europe cette démarche administrative ne dépasse pas 10 jours. Les échanges transfrontaliers en Afrique sont pratiquement partout onéreux. Leur coût moyen est le double de celui enregistré pour les pays de l’OCDE et ceux de l’Asie de l’Est. Un camion transportant des céréales de Koutiala (Mali) à Dakar (Sénégal) devra passer des dizaines de contrôle, avec des sollicitations indues de l’ordre de 450 dollars. Entre Mombassa (Kenya) et Kigali (Rwanda), un camion rencontrera 47 barrages routiers. Il attendra en moyenne 36 heures à la frontière entre le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.

La ZLEC ne permettra pas de supprimer ipso facto toutes ces entraves, et pas davantage ce que les économistes appellent pudiquement les “pratiques anormales” : rançonnements aux frontières, “tracasseries routières”, contrôles abusifs, etc. Diverses mesures s’imposeront pour réduire les délais opérationnels et bureaucratiques, lever les barrages routiers et alléger les distorsions introduites par des réglementations archaïques.

Enjeu 5. Intensifier le « contenu local »

Depuis le début des années 2010, dans plusieurs pays, la politique dite du “contenu local” ou de la “préférence nationale” tend à s’imposer. Elle est présentée comme un élément clé de l’industrialisation. Elle trouve de nombreuses applications dans les réglementations locales. Ainsi le Ghana a lancé en 2016 une politique de promotion du Made in Ghana, assortie d’une politique de « revitalisation » industrielle et de la proposition One District, One Factory pour promouvoir une industrialisation à ancrage local. La loi sur le local content donne priorité aux biens et services nationaux ainsi qu’aux entreprises ghanéennes sur les marchés publics. Elle oblige les investisseurs étrangers à ouvrir leur capital à hauteur de 30 % à des entreprises du pays. Les clauses de préférence nationale fleurissent, au Gabon, au Mozambique, au Nigeria…

Dans ce contexte, définir et attribuer l’origine des marchandises constituera un défi particulier pour la ZLEC en raison du nombre de pays impliqués dans l’accord.

Enjeu 6. Définir les règles d’origine

Les États membres de la ZLEC doivent élaborer et soumettre des listes des 90 % de leurs produits devant être libéralisés, ainsi que les produits sensibles devant être libéralisés à plus long terme période et les produits exclus de la libéralisation. Un complément connexe à l’Accord est la liste des règles d’origine par produit qui, parallèlement aux règles d’origine générales, permettra l’application des préférences au titre de la ZLEC.

Les règles d’origine sont les critères permettant de déterminer le pays d’origine d’un produit. L’objectif est de faire de ces règles un instrument de développement du commerce régional, de création d’emploi et d’innovation technologique. Leur rôle est aussi de contribuer à la construction et la consolidation du marché régional en neutralisant les effets négatifs induits par l’importation de produits de pays tiers pouvant rentrer en concurrence avec les produits locaux et de créer des distorsions sur les marchés. L’origine communautaire d’une marchandise est prouvée par un Certificat d’Origine.

Crédit photo Le Monde

Dans l’espace CEDEAO, trois  critères sont retenus pour déterminer l’origine communautaire d’un produit le premier est relatif aux produits composés de produits agricoles, de l’élevage et de la pêche, etc. ainsi que les  produits industriels contenant au moins 60% de matières premières de la région. Le deuxième est relatif au changement de position tarifaire. Il  intervient quand le produit fini nécessite l’utilisation de matières premières qui sont dans une position tarifaire autre que celle du produit fini conformément au classement effectué par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD). Le troisième est celui relatif à la valeur ajoutée. Les textes de la CEDEAO affirment  qu’un produit peut bénéficier de l’origine communautaire s’il a bénéficié dans sa fabrication de matières premières hors CEDEAO dont la valeur ajoutée manufacturière ne dépasse pas 30% du prix de revient ex-usine et si les entreprises qui le produisent atteignent un niveau souhaitable de participation de nationaux.  En dépit de leur importance, l’utilisation des règles d’origine se heurte à d’importants défis dans la région. En plus de leur complexité, qui rend difficile leur appropriation par les acteurs, il s’avère aussi qu’elles sont encore très mal connues et de nombreux acteurs ont tendance à confondre les règles d’origine de l’UEMOA et celles de la CEDEAO. De plus, le dernier critère adopté pour déterminer l’origine, à savoir le critère relatif à la valeur ajoutée, est d’un usage réputé difficile à cause entre autres, de la complexité des chaines de valeur et des processus de fabrication à l’échelle internationale. A cela s’ajoute aussi le chevauchement de systèmes différents de règles d’origine induits par la multiplicité des accords commerciaux préférentiels que  les pays de la CEDEAO ont souscrit. Des règles mal conçues peuvent, dans une large mesure, annuler les avantages d’un accord commercial. La critique demeure forte.  Les règles communautaires de la CEDEAO profitent davantage aux pays côtiers. Les entreprises qui y sont installées, souvent liées à des groupes internationaux, importent plus facilement des produits transformés qu’elles emballent sur place et estampillent ensuite comme fabriqués dans l’Union, avant de les distribuer dans la zone. Un Cheval de Troie ! Si ces produits bénéficient des mêmes avantages fiscaux que ceux qui sont  produits localement la préférence régionale perdra totalement sa signification et sa portée. Si par contre les règles d’origine  sont restrictives, elles peuvent empêcher non seulement les importations d’intrants intermédiaires en provenance de pays tiers, risquant ainsi de compromettre la spécialisation et la compétitivité. Pour ces raisons, une règle simple, telle que 50 % de la valeur ajoutée devant être originaire d’Afrique, sera probablement retenue, mais la discussion risque d’être âpre.

Enjeu 7. Intensifier les convergences

L’objectif déclaré est de libéraliser 90 % des produits commercialisés dans le cadre de la ZLEC. Autoriser la protection sur 10 % des produits peut, en pratique, annuler une partie des avantages de l’accord si les produits qui conserveront la protection sont choisis de manière stratégique. Pour jouer l’intégration régionale, il serait nécessaire que les produits devant être libéralisés à un stade précoce incluent ceux qui peuvent fournir une échelle significative de diversification en Afrique, notamment les produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre, et les produits agricoles dans lesquels les pays peuvent développer un avantage comparatif.

La théorie de l’intégration enseigne que la convergence institutionnelle peut jouer un rôle moteur dans le processus d’intégration régionale. La mise en place de règles communes se traduisant par la coordination et l’harmonisation des normes, des procédures et des politiques nationales conduit en principe à la création de « biens publics régionaux » dont l’efficacité en termes de réduction des coûts de transactions et donc d’amélioration de la compétitivité peut être supérieure à celle obtenue au niveau de chaque État pris individuellement. Ceci à condition que chaque État membre joue le jeu.

Parmi les expériences d’intégration par les règles communes, celle de la SADC est la plus significative. L’organisation a adopté un mémorandum intitulé Regional Indicative Strategic Plan. Il définit les indicateurs et les objectifs macroéconomiques, et les paramètres de la coopération en matière monétaire et budgétaire pour les pays membres. Il part de l’idée qu’en l’absence d’orientation sur les objectifs des variables macroéconomiques dans la zone, les États ne pourront pas équilibrer leur budget, avec comme conséquences des déficits élevés, des ratios de la dette publique intenables des déséquilibres graves du compte courant, ainsi que des distorsions de marché qui se traduisent par des taux d’inflation élevés et la stagnation économique. Les banques centrales des États concernés ont ainsi établi les critères de convergence macroéconomique.

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