Comprendre les enjeux de l'agriculture
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Les partisans des nouvelles techniques d’amélioration des plantes, plus connues sous l’appellation « NBT » (New Breeding Techniques), continuent de militer pour qu’une nouvelle législation voit le jour au sein de l’Union Européenne. Actuellement, la directive 2001/18 relative aux OGM s’applique. Au même moment, les Etats-Unis et la Chine intensifient leurs investissements en vue de commercialiser des produits issus de ces technologies.

La question des nouvelles techniques de sélection végétale (NBT) s’avère être une véritable « patate chaude » que se refilent, à chaque nouvelle élection, les gouvernements successifs des Etats-membres. Les féroces oppositions suscitées par les OGM ont indéniablement laissé des traces, rendant désormais la classe politique frileuse à l’idée de traiter l’épineux dossier des NBT. À l’époque des élections présidentielles pourtant, le candidat Macron s’était lui-même déclaré favorable à leur développement en annonçant un « plan Marshall pour l’agriculture » incluant des investissements à hauteur de 5 milliards d’euros afin « d’accompagner la transformation agricole ». Pas plus tard qu’en novembre dernier, le Commissaire à l’agriculture Phil Hogan, partisan lui-aussi des biotechnologies, s’était dit « surpris » de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), (en juillet 2018), de renvoyer les NBT à la directive OGM. Le flou reste donc entier. « Ce sont des sujets sérieux où il y a plus de controverses que de débats » résume Jean-Yves Le Déaut, ex-député et ancien président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), rappelant, « dans notre dernier rapport publié en avril 2018 (co-écrit avec la sénatrice Catherine Procaccia, ndlr), nous disons qu’il faut exempter les NBT de la directive 2001/18 (relative aux OGM) suivant la technique utilisée ». C’est bien la d’ailleurs toute la complexité du problème: une même technologie peut, en réalité, renfermer plusieurs procédés bien distincts. 

Des applications en agriculture

Dans le contexte du réchauffement climatique global, les « pro NBT » mettent en avant le formidable potentiel que représentent ces nouvelles techniques pour lutter contre les aléas climatiques et les ravageurs. « L’accompagnement de la transition écologique serait plus compliqué, plus lent, moins vigoureux si les obtenteurs ne pouvaient pas utiliser la mutagenèse et les NBT », a ainsi déclaré François Desprez, président du Gnis. « Prenez l’exemple de la vigne: en culture raisonnée les années pluvieuses, on propage des phytosanitaires. De son côté, le bio utilise du sulfate de cuivre 10 à 15 fois pour s’en débarrasser. Or, dans des vignes sauvages, on a des gènes de résistance naturelles au mildiou et à l’oidium. Qu’est ce qu’il vaut mieux faire? Mettre du sulfate de cuivre ou essayer, par une technique, d’introduire le gène naturel sans enduire aux qualités de la vigne et des cépages? C’est une question qu’il faut à mon avis se poser », développe Jean-Yves Le Déaut.

Edition des génomes (CRISPR Cas9)

Copyright CNRS

Parmi les huit technologies (NBT) publiées à ce jour, l’édition des génomes et son outil CRISPR cas9 est la plus connue. « Elle a pris une sérieuse avance et s’impose dans le monde de la recherche variétale. C’est celle qui a le plus de potentiels et qui anime actuellement tout le monde », justifie Carole Caranta, chef du département Biologie & Amélioration des plantes à l’Inra. CRISPR Cas9 est utilisée pour générer des changements locaux très précis. « Elle est moins chère que les autres car elle génère moins d’effets induits. Car enlever toutes les modifications non souhaitées est la partie la plus coûteuse.[…] Son prix varie vraiment en fonction de l’organisme travaillé (animal ou plante) », indique Janusz Bujnicki, biologiste et membre du SAM, une cellule d’experts qui fournit des recommandations à la Commission européenne sur les questions scientifiques. « CRISPR-Cas9 est encore en développement, la technique s’améliore mois après mois. Le coût d’une intervention par méganucléase était de l’ordre de 50 000 euros, par méganucléases doigts de zinc 5 000 euros, par TALEN 1 000 euros, et par CRISPR-Cas9 seulement 10 euros… », peut-on ainsi lire dans le rapport de Jean-Yves Le Déaut et Catherine Procaccia.  « Si on voulait attendre une mutation spontanée, on estime que deux mutations dans un même gène c’est 120 000 ans. Avec l’édition des génomes l’espace Temps se réduit à quelques années. Ces technologies nous permettent de mimer ce qui existe dans la diversité naturelle mais qui n’est pas présente chez toutes les espèces », synthétise Carole Caranta.

En réponse, les « anti NBT » livre une tout autre philosophie: « Nous ne pensons pas que l’on puisse raccourcir le temps de la Nature. S’il en faut pour qu’une plante s’adapte à un champ, il faudra prendre ce temps. Parce que les variétés qui se sont configurées sur plusieurs générations ont une plus forte résilience. Les plantes issues d’une accélération du temps sont fragiles et ont besoin de « béquilles chimiques », elles ne pourront pas nous aider à lutter contres les questions du changement climatique », affirme ainsi Christophe Noisette, rédacteur en chef de l’association Inf’OGM.

A ce jour, l’édition des génomes se décline sous trois formes :

« Vous avez SDN1 avec lequel on vient activer ou éteindre un gène. Cela marche à peu près chez les plantes. Vous avez SDN2 qui vient provoquer des mutations ponctuelles dans les gènes. Et enfin SDN3 où l’on intègre vraiment un transgène. Ce sera, dans ce cas, effectivement traçable […] Aux Etats-Unis, on sait qu’il y a des sociétés privés qui vont commercialiser très prochainement des plantes issues de ces technologies. […] Très probablement issues de la méthode SDN1 », précise la responsable Inra. A ce jour, la majorité des publications scientifiques sur les biotechnologies proviennent des Etats-Unis et la Chine. Avec 5% des écrits pour la France et 6% pour l’Allemagne, l’Europe est clairement en retrait.

Maintenir l’excellence de la recherche agricole

 L’Inra explique utiliser l’édition des génomes pour trois raisons précises: acquérir les connaissances de grandes fonctions du végétal, étudier le déterminisme génétique de caractère d’intérêt agronomique (résistance à certaines maladies etc.) et le maintien des ressources génétiques de manière globale. L’édition des génomes est ainsi mise à contribution chez les grandes cultures (blé, mais, pommes de terre), mais aussi chez les arbres fruitiers (poiriers), la tomate et la rose. La finalité du projet d’investissement d’avenir GENIUS démarré en 2012 pour une durée de 7 ans incarne cette volonté: celle de conserver une excellence scientifique à l’échelle internationale. « C’est inconcevable de rester en dehors de ces technologies pour un organisme publique de recherche », clame Carole Caranta.

Traçable ou non ?

L’un des points les plus controversés des NBT concerne la traçabilité. Pourra t-on demain différencier un produit issu des biotechnologies d’un produit conçu sans aucune action humaine ? La question mérite d’être posée car, pour l’heure, deux versions s’opposent. « L’enjeu est énorme. Si les NBT restent des NBT et ne sont pas considérés comme des OGM, alors, il n’y aura ni étiquetage, ni évaluation et donc pas d’encadrement possible », averti Christophe Noisette. A contrario, la revue Nature dans son numéro du 4 juin 2015 annonçait déjà qu’« il sera difficile de détecter si quelque chose a été muté conventionnellement ou construit génétiquement ». Un constat partagé par la responsable Inra. « Si demain dans un champ on a une tomate résistante aux maladies issue de sélection classique et une tomate résistante à la même maladie obtenue par l’édition des génomes, on ne sera pas capable de faire la différence. Ça pose des questions qui ne se posaient pas avec la transgénèse », observe Carole Caranta. A ce titre, les partisans des NBT interpellent les instances européennes sur la menace de commercialisation très prochaine de produits issus des NBT en provenance des Etats-Unis. « Il y a 70 produits potentiels, obtenus par l’édition génomique, qui ont été autorisés mais pas encore commercialisés par le département de l’AGriculture états-unien », indique Georges Freyssinet, consultant en biotech.

Un argument non reçu par les « anti NBT ». « Lorsque les premières plantes transgéniques sont arrivés sur le marché en 94, il a fallu mettre en place des protocoles de détection et ça a été possible. Il faut effectivement s’en donner les moyens. Au début on nous disait exactement la même chose. […] En fait le débat qu’on a actuellement sur les nouveaux OGM, on l’a déjà eu il y a vingt ans sur les OGM transgéniques », analyse Christophe Noisette. 

Effets non attendus

Les effets induits constituent un autre point de discorde. « Il peut y avoir des impacts de ces technologies, c’est à dire des mutations à des endroits non souhaités, c’est très rare mais ça peut exister. Mais cela ne nous empêche pas de conduire des travaux sur ces effets. […] Il faut bien dissocier risque et effets non attendus », remarque Carole Caranta. « Toutes les techniques apportent des effets induits non volontaires » renchérit Janusz Bujnicki. Selon les partisans des NBT, la mutagenèse dite « traditionnelle » utilisée depuis quarante ans (exemptée au passage de la directive OGM) n’a cessé de générer des mutations à grande échelle. « Les techniques traditionnelles et les OGM ont provoqué des effets et des modifications massives », note Janusz Bojnicki. Selon lui, les biotechnologies développées aujourd’hui sont donc forcement moins à risque.

Brevet contre COV

Une guerre fratricide entre le système du brevet versus le certificat d’obtention végétale (COV) se joue sur le marché de la semence. Comment règle t-on la question de la propriété intellectuelle du vivant? « Le système du brevet s’est clairement imposé, ça a donné trois grosses sociétés chimiques internationales.[…] Et dans tout ça, les sociétés européennes ont disparu à l’exception peut-être de Limagrain. Alors que nous avions créé  le COV, un système européen fantastique… », regrette Jean-Yves Le Déaut. Selon le rapport de l’OPCEST, « les dépôts relatifs à des inventions en biotechnologies, toutes techniques confondues (CRISPR-Cas9 et autres), auprès de l’Office européen des brevets (OEB), explosent depuis 2013 ».

Ethique et acceptation sociale

Jusqu’où ira t-on ? Quelle éthique appliquée ? Quels gardes fous mettre en place?

« Ce n’est effectivement pas qu’une question scientifique. La religion, l’éthique… doivent également être prises en considération. Ce n’est pas aux scientifiques de dire si ces produits doivent être commercialisés », pondère Janusz Bojnicki. A l’instar des ce qui se fait déjà avec les cellules somatiques, doit-on aussi intervenir sur les cellules germinales (à l’origine des cellules reproductrices et donc héréditaires) ?

Avec des mots tels que :  cysgénèse, transgénèse, mutagenèse ciblée, édition des génomes…Quid de l’acceptation citoyenne? Lorsque l’on se remémore les violentes oppositions engendrés par les OGM, comment réagira la société civile s’agissant des NBT? Dans un contexte actuel d’ultraméfiance,  vis à vis de l’alimentation en particulier. « On doit admettre que dans l’agriculture, rien de ce que nous mangeons n’est naturel. Tout a été modifié via de la sélection, des modifications, des mutations. […] Il faut bien comprendre que la peur de ce qui est nouveau ne doit pas nous empêcher de réaliser des progrès », persiste et signe le scientifique Janusz Bojnicki. « La situation française est une situation bloquée à cause de la peur de soi-disant « OGM cachés » dénoncés par José Bové […] On devrait, selon moi, utiliser un certain nombre de ces technologies en complément de l’agro-écologie », conclut jean-Yves Le Déaut, qui prône pour un toilettage de la législation afin de mieux refléter les avancées technologiques post-2001. « Pour ma part, je ne crois pas à la baguette magique d’une technologie qui va tout révolutionner. […] Pour répondre aux enjeux de l’agriculture, c’est une combinaison d’approches, de leviers et de différentes disciplines: de la protection des plantes, de l’agronomie, de la génétique, des biotechnologies, qui vont permettre d’apporter conjointement des réponses », argumente Carole Caranta.

N’oublions pas non plus que les applications de ces Biotech en médecine humaine fondent beaucoup d’espoir. Trois millions de personnes en France (30 millions en Europe) seraient concernées par des maladies génétiques.

Après le rapport délivré par le SAM en fin d’année dernière, c’est au tour du groupe européen d’éthique en sciences et dans les nouvelles technologies (EGE) qui doit à présent rendre son avis à la Commission européenne, courant 2019.

 Matias Desvernois1

1Matias Desvernois : Journaliste agricole indépendant