2Toute production locale reflète un peuple et ses traditions. Parfois, la pression économique bouscule l’histoire locale et redessine un nouveau paysage avec d’autres cultures, plus rentables. Au Népal, les haricots jumia sont en voie d’être remplacés par d’autres productions plus rémunératrices qui répondent à une demande de consommation. Les citoyens, par leurs habitudes alimentaires, influencent grandement l’agriculture. Les acteurs des filières agricoles pourraient user de ce pouvoir pour construire – ou renouer – un système agroalimentaire durable et sain.
Huit milliards de personnes partagent une préoccupation : la nourriture. Elle assure des fonctions sociales essentielles : culture, convivialité, emplois… Malgré cela, un tiers de celle-ci est perdue lors de la production ou gaspillée lors de sa consommation.
La Food and Agriculture Organization (FAO) mise sur l’éducation et l’accès à une nourriture plus saine. Son intention est d’améliorer la santé mais aussi de créer une filière agroalimentaire plus favorable aux acteurs et plus inclusive.
L’organisation avance six actions visant à responsabiliser les citoyens pour une alimentation améliorée dans un environnement plus respecté :
- Acheter des quantités consommables, gérer leur péremption et faire don des surplus. Le gaspillage concerne les denrées mais aussi toutes les ressources nécessaires à leur production, transport et commercialisation ;
- Acheter local pour se reconnecter avec les acteurs de la production ;
- Découvrir les impacts de la production des denrées. On apprend par exemple qu’il faut 50 litres d’eau pour produire une orange et que ces choix vont impacter les ressources et les émissions ;
- Acheter sain et durable pour limiter les maladies liées à l’alimentation, comme l’obésité, le diabète, les carences ;
- S’informer sur le produit et sa forme de culture (arboricole, au sol, type d’élevage…). La FAO publie sur son profil Instagram des vidéos sur les filières de production ;
- Apprendre à respecter la nourriture et le travail qu’elle représente.
Il ne faut pas oublier que l’aliment, en abondance pour certains, est une denrée rare et vitale pour d’autres. Des millions de personnes luttent quotidiennement pour y accéder sans garantie d’y parvenir.
Que cache le système agroalimentaire ?
Il qualifie tout l’écosystème de la nourriture, c’est-à-dire les ressources techniques, humaines et naturelles qui permettent la culture, la récolte, la transformation, l’emballage, le transport, la distribution, les échanges, la préparation, la consommation, l’élimination et le recyclage des denrées.
Ce système est complexe car il fait interagir beaucoup d’acteurs et d’investissements pour assurer la fourniture d’un produit fluctuant en prix, fragile et périssable, mais vital.
Heureusement, le consommateur fait partie de ces acteurs et peut, par son action, accélérer la transition vers un marché plus équilibré entre les besoins de l’homme et la planète.
On peut distinguer trois grandes phases successives dans l’agroalimentaire :
- La chaîne de production et d’approvisionnement ;
- La commercialisation et la communication destinée au consommateur ;
- La sélection, préparation, consommation et élimination.
Comportement et attente collectifs
Des facteurs culturels, socio-économiques, politiques et physiologiques influencent la phase de consommation et, par extension, notre interaction avec le système agroalimentaire.
La consommation est la partie du système agroalimentaire que la majorité pratique, choisir le produit et le lieu, acheter, préparer, manger, jeter. Ce processus routinier n’appelle plus beaucoup de réflexion de notre part alors qu’il est le levier principal d’une possible transition du système agroalimentaire. La demande collective détermine les denrées, les packagings, les fréquences d’achat, les prix et les tendances.
Depuis quelques années, une partie des consommateurs s’intéresse tout de même à la provenance des produits. Par exemple, il souhaite connaître la zone et la légitimité de pêche d’un poisson et favoriser une pêche en eaux voisines pour soutenir l’activité locale. Il est attentif aux labels qui lui garantissent sa contribution à l’amélioration de la filière agroalimentaire.
Qualité et Origine
La FAO met en œuvre le programme Qualité et Origine qui labellise les produits selon leur origine géographique ou les personnes qui les produisent pour soutenir les productions bénéfiques aux territoires et aux populations. Les critères d’éligibilité s’appuient sur une valeur liée à des facteurs naturels (sol, climat), humains (savoir-faire) et globalement sociaux :
- Sécurité alimentaire des familles productrices ;
- Maintien des ressources locales et frein à l’exode rural ;
- Bénéfice nutritionnel pour les consommateurs.
Pour atteindre ces objectifs, la FAO noue des partenariats avec des organismes locaux, des gouvernements ou des collectifs professionnels locaux. Elle a ainsi référencé plusieurs types de produits, étiquetés « Qualité et origine » :
- Thé Darjeeling (Inde) ;
- Fromage Manchego (Espagne) ;
- Safran Taljouine (Maroc).
Les consommateurs acteurs d’une nouvelle filière agroalimentaire sont alors prêts à débourser plus pour acheter ces produits et contribuer à une production plus durable quelque part dans le monde.
Partenariat de la montagne (MPP)
Cette initiative a pour vocation de soutenir la vie des populations de montagne en préservant leur économie et leur écosystème. Elle consiste en une certification et un étiquetage spécifique attribués selon le respect d’une chaîne de valeurs courte, écologique et éthique. Les petits producteurs sont assurés d’une rémunération viable en échange de techniques agricoles traditionnelles et respectueuses de l’environnement.
Le soutien technique et financier vise à dynamiser l’entrepreneuriat local, de le faire monter en compétence, notamment sur l’aspect marketing et financier en établissant des stratégies basées sur la création de plus-values : aliments bio, textiles, tourisme.
Ce dispositif est opérationnel dans 8 pays pour promouvoir 20 produits, commercialisés sous le label Mountain Partnership Product: miel des Andes, riz rose et violet de l’Himalaya en Inde, café, légumineuses et textiles. Ainsi, l’acheteur peut connaître l’origine du produit et son impact sur l’écosystème local. Le label facilite le référencement des produits auprès des distributeurs et les rende plus visibles sur le marché.
Ces initiatives sont d’une importance cruciale, même si elles n’en sont qu’aux balbutiements car elles permettent d’imaginer un nouveau modèle agroalimentaire plus équitable pour tous. Ce modèle doit relever le défi de la croissance démographique, des sols épuisés, de la dégradation climatique et prouver qu’il peut subvenir aux besoins des producteurs et alimenter sainement le consommateur tout en respectant son environnement.
Covid-19, un accélérateur de transition ?
Face à la pandémie, la société est partagée entre un nouvel « après » et la sauvegarde de l’existant.
Sur le plan alimentaire, le Covid-19 n’a fait qu’empirer la situation des trois milliards de personnes qui ne peuvent se nourrir ou se nourrir sainement tandis que les populations des pays industrialisés augmentent leur demande en produits frais et qualitatifs.
Les gouvernements sont forcés de constater que la production industrielle ne nourrit pas les affamés et ne satisfait plus les rassasiés. Passé la période pandémique, ils devront réviser leurs politiques (agriculture, économie, santé, environnement) pour engager les populations dans cette transition globale.
Les programmes éducatifs doivent aussi intégrer l’alimentation, pas seulement à l’occasion des repas à la cantine mais aussi comme une connaissance utile au développement individuel et à l’action collective.
La plupart des populations, même jeunes, connaissent les denrées à privilégier mais les habitudes alimentaires et l’accès facile et peu coûteux aux produits transformés balayent les bonnes intentions. Aujourd’hui encore, le sucre, le sel et les graisses sont des denrées relativement accessibles qui composent la majorité des plats préparés.
A ces produits peu équilibrés s’ajoute un mode de vie plus sédentaire qui menace la population mondiale d’un surpoids et de ses effets néfastes sur la santé. Depuis 1975, l’obésité a presque triplé, suivie du diabète, des cardiopathies et des cancers. Cette tendance touche aussi bien les pays industrialisés que ceux en voie de développement. Pour ces derniers, les carences en nutriment s’ajoutent à la malnutrition et provoquent des retards de croissances et des problèmes de développement physiques ou neurologiques.
Les pays qui se préoccupent de la question communiquent des recommandations à leur population respective pour apprendre à mieux manger. Ces recommandations tiennent compte des ressources locales, des habitudes alimentaires et du contexte économique. La FAO compile les directives diététiques de ces 100 pays.
Au-delà des spécificités nationales, ces ils s’accordent sur 7 recommandations communes :
- Manger des fruits et des légumes : les conseils sur les quantités et les couleurs varient selon les pays ;
- Limiter les graisses et les remplacer par des huiles végétales : huile d’olive en Grèce ou huile de sésame au Vietnam ;
- Réduire les aliments et boissons sucrés, le cas échéant les remplacer par des fruits ;
- Réduire le sel, notamment à travers les nombreuses préparations contenant du sel comme exhausteur de goût. Le Nigéria déconseille les cubes de bouillon, la Colombie les viandes transformées… ;
- Boire de l’eau … lorsqu’elle est potable ;
- Modérer la consommation d’alcool ;
- Avoir une activité physique régulière (30 minutes par jour).
Il est évident que la simple application de ces 7 recommandations principales aurait le pouvoir de modifier considérablement les activités de la filière agroalimentaire en amont avec un recentrage des productions et en aval avec une réduction de déchets non valorisables.
La pandémie actuelle est peut-être l’opportunité de considérer l’alimentation au-delà de sa fonction nourricière, comme un élément de régulation. Consommer une viande issue d’un élevage nourri au soja contribue à la déforestation parce que des terres agricoles prennent le pas sur les forêts. Consommer du poisson d’élevage lui-même nourri d’une surpêche épuise la ressource halieutique.
Admettons que nous changions nos habitudes alimentaires pour recentrer nos régimes alimentaires sur le végétal (fruits, légumes, légumes secs, céréales), quelle serait la traduction concrète en termes d’amélioration pour la planète ?
Réduction des émissions de GES
D’après WWF, une adoption des principes de consommation durable permettrait, outre les bénéfices santé, une réduction de 40% des émissions de GES de l’ensemble de la chaîne.
Grâce à une modélisation prospective, l’organisation a tenté de connaître les effets des différents régimes alimentaires (standard, flexitarien, végétarien et végétalien) différemment représentés dans la société française.
L’objectif des -40% d’ici 2030 semble réalisable tandis que celui des -75% en 2050 semble plus compromis. Il impliquerait des changements d’habitudes alimentaires importants mais pas seulement, il faudrait revoir l’ensemble des activités connexes :
- Efficacité énergétique des véhicules ;
- Carburants et matériaux moins carbonés ;
- Révision des consommations des industries ;
- Réduction des productions de déchets et amélioration de leur traitement…
L’alimentation est donc le point de départ d’une transition vers un système agroalimentaire durable. En mangeant mieux et différemment, la population peut promouvoir ce nouveau système aux effets bénéfiques sur l’environnement : santé des territoires et des populations.
Pour le consommateur, ce changement tant attendu passe aussi par l’acceptation d’une consommation raisonnée : saisonnalité, quantité, emballage, prix, gaspillage… WWF a calculé qu’une famille de 4 personnes jette en moyenne 30kg de nourriture par an et qu’à ce rythme de surconsommation (poisson, viande …), il faudrait 2,7 planètes pour répondre à ses attentes.
L’initiative citoyenne ne suffit pas, il faut emporter l’adhésion des acteurs politiques et économiques concernés sinon le petit producteur de miel des Andes sera poussé à s’industrialiser pour coller au système en place. On ne balaye pas d’un revers de manche les intérêts financiers ou stratégiques, mais il est possible de les faire pointer vers des objectifs plus durables, à l’image de la rémunération de dirigeants indexée sur les actions RSE ou environnementales ou les obligations vertes.
Toutes les questions sur la transition agroalimentaire, et ses impacts, seront abordées à l’occasion du prochain Sommet des Nations Unies en septembre 2021. Le Sommet sur les systèmes alimentaires 2021, sera l’occasion de lier la promotion d’une filière agroalimentaire durable aux 17 objectifs de développement durable (ODD).
Source : FAO et WWF