Comprendre les enjeux de l'agriculture

Décrypter le génome complet de milliers de variétés de blé reste encore hors d’atteinte. Mais  les puces de génotypage permettent déjà de dresser leur carte d’identité génétique, un précieux outil à la disposition des chercheurs pour orienter leurs travaux de sélection. Ils tentent à leur niveau de répondre à l’urgence climatique en créant et en sélectionnant de nouvelles variétés.

Les variétés de blé cultivées dans 20 ans ne seront pas celles actuellement récoltées dans les champs. La survenance fréquente d’accidents climatiques oblige les chercheurs à sélectionner les variétés de blé qui disposent d’une grande capacité de résistance et même de résilience pour que leur culture soit rentable. En 2016, les céréaliers français étaient dépités lorsqu’ils ont moissonné leurs champs. Après plusieurs semaines de précipitations, une grande partie de leur récolte de blé a été déclassée car elle avait germé sur pied.

A l’avenir, cette catastrophe économique pourrait être évitée. Les chercheurs de l’Inra ont identifié une des régions du génome du blé impliquées dans le contrôle de ce caractère. De telles connaissances permettent de développer des tests génétiques pour classer les variétés en fonction de leur résistance ou de leur susceptibilité à la germination. Les sélectionneurs opéreront ainsi les croisements nécessaires et ciblés pour introduire les allèles souhaités dans les nouvelles variétés de blé, résistantes à la germination. Ce sont ces variétés qui seront cultivées dans une petite dizaine d’années.

Une puce pour établir la carte d’identité des variétés de blé

De tels outils sont rendus possibles par les travaux de décryptage du génome du blé (16 milliards de paires de bases) qui avaient conduit à une ébauche de séquence en 2014 et à une séquence de référence de grande qualité en 2018.

©Breedwheat

Dans le cadre du projet Investissements d’Avenir BreedWheat, les scientifiques ont notamment développé une puce de génotypage permettant d’interroger 423 000 positions identifiées dans le génome (les marqueurs moléculaires) permettant d’établir la carte d’identité des variétés de blé.

Ce sont ainsi près de 9000 variétés de blé issues du monde entier qui ont été caractérisées à ce jour. Ces nouveaux outils constituent dorénavant une aide dans les programmes de sélection ciblés en vue créer des variétés de blé adaptées à des conditions pédoclimatiques.

Associer caractéristiques génétiques et phénotypiques

Pour les chercheurs, les puces de génotypage renseignent avant tout sur les caractéristiques génétiques d’un individu. Mais cela n’est pas suffisant.

Ils souhaitent prédire la valeur agronomique d’une variété sur la base de son information génétique. C’est justement un des objectifs du projet BreedWheat qui vise à comparer leurs caractéristiques phénotypiques et génétiques afin d’isoler les régions du génome impliquées dans le contrôle de caractères d’intérêt agronomique tels que le rendement, la résistance à la fusariose de l’épi ou la tolérance à la sécheresse. Identifier les formes alléliques favorables doit permettre leur intégration, par croisement, dans le génome des futures plantes sélectionnées.

« En conséquence, ces puces de génotypage sont des outils d’aide à la décision qui permettent, en appui à la sélection conventionnelle, de raccourcir les cycles et ainsi de développer plus rapidement des variétés plus performantes et mieux adaptées.

Un gain de temps crucial dans le contexte actuel de changement climatique et de transition agro-écologique des pratiques agricoles », selon Etienne Paux, directeur de recherche à l’INREA Auvergne-Rhône-Alpes.

Tracer l’évolution des variétés depuis 10 000 ans

Les puces de génotypage offrent aussi de nouveaux champs de la connaissance, comme par exemple l’évolution variétale du blé cultivé depuis 12 000 ans. En migrant, les premières populations agricoles mésopotamiennes ont emporté avec elles des échantillons de céréales qu’elles cultivaient. Elles les ont ensuite sélectionnées sur les territoires conquis en ne retenant que les plantes les plus adaptées. Ainsi, les variétés de blé aux Etats-Unis témoignent Des différentes vagues d’immigration observées depuis la conquête du continent américain. Dans les grandes plaines, les variétés cultivées ont un lien étroit avec celles produites en Europe du nord et centrale jusqu’en Russie. Les Américains qui peuplent ces régions sont majoritairement des descendants de ces pays.

Enfin, la caractérisation de variétés récentes apporte un éclairage nouveau sur les effets de la sélection. « On a longtemps considéré que la sélection variétale avait conduit à une érosion de la diversité génétique chez le blé. Nos travaux montrent que si cette érosion s’est effectivement produite, elle a été compensée par l’introduction par croisement de gènes issus d’espèces apparentées, comme le chiendent, apportant ainsi une nouvelle forme de diversité et de nouveaux caractères d’intérêt, notamment de résistance aux maladies et aux parasites. »