Comprendre les enjeux de l'agriculture
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L’innovation technologique, et ce tout particulièrement avec l’essor des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication), transforme aujourd’hui tous les secteurs de l’économie et l’agriculture n’en est pas exempte. Cette dynamique nourrit de grands espoirs quant aux possibilités d’améliorer la productivité agricole et de lever ou contourner les obstacles qui freinent le développement agricole dans de nombreux pays pauvres, notamment en Afrique. En effet, le retard technologique que peut avoir ce continent sur le reste du monde se comble, même si cela se fait de manière discontinue, avec un phénomène, parfois désigné leapfrogging, de rattrapage technologique qui saute des étapes. Le premier exemple en est l’adoption à grande échelle de la téléphonie mobile par les populations africaines dont l’immense majorité ne seront jamais passées par le téléphone fixe.

L’objectif de la présente note, après avoir dressé un rapide panorama des différentes applications des NTIC aux filières agricoles, est d’identifier les difficultés rencontrées concrètement dans la mise en œuvre de ces outils, les écueils à éviter et les conditions à remplir pour qu’ils aient un impact favorable, afin de comprendre, avec le plus de pragmatisme possible, ce que ces technologies peuvent apporter aujourd’hui et demain, au développement des filières agricoles. Nous illustrerons cette réflexion à l’aide de quelques exemples, d’expériences particulièrement réussies et/ou ayant fait l’objet d’évaluations et d’études d’impact permettant de prendre un peu de recul sur ces outils et processus de transformation encore jeunes.

1. Les usages des NTIC pour l’agriculture africaine

1.1 Le conseil et la formation agronomiques

La première utilisation des NTIC pour l’agriculture en Afrique prend la forme du conseil et de l’envoi d’informations (agronomiques, météorologiques, etc.) pertinentes, le plus souvent par téléphonie mobile, dans le cadre de l’optimisation de l’activité d production sur les parcelles.

Les innovations dans le domaine des NTIC sont donc dans ce cas au service des innovations purement agronomiques dont elles permettent la diffusion à relativement faible coût et à un grand nombre de producteurs.

Concrètement, ces outils prennent la forme d’applications mobiles, voire fonctionnent simplement avec des envois de SMS et des serveurs vocaux interactifs ; cette dernière solution permettant de contourner l’obstacle de l’illettrisme d’une partie des publics visés. Les informations et conseils transmis sont, par exemple, des rappels des dates de semis, des conseils sur le type et les quantités d’intrants à utiliser selon les cultures, des informations météo localisées, des alertes sur les invasions de ravageurs et les maladies des cultures, etc. Au total, c’est donc un flux d’informations descendant vers les producteurs qui, si les informations sont de qualité et bien ciblées, doivent permettre aux destinataires d’améliorer leurs pratiques agronomiques.

1.2 L’accès au(x) marché(s)

Le second grand usage des NTIC, qui passe souvent par les mêmes plateformes que celles qui proposent du conseil et de la formation, relève de l’accès aux marchés des petits producteurs. Marchés au pluriel : marché aval d’abord avec l’aide à la commercialisation (informations sur les prix pratiqués sur les marchés à proximité) et la mise en relation directe des producteurs avec des acheteurs, mais également marché en amont avec la facilitation de l’achat d’intrants (semences, engrais, produits phytosanitaires).

Concernant l’aide à la commercialisation des productions agricoles, plusieurs services peuvent exister :

  • Le premier niveau est l’information sur les prix pratiqués sur les marchés locaux, permettant aux producteurs de ne pas brader leur production et de mieux choisir le moment et le lieu de la vente.
  • Certaines applications jouent elles-mêmes le rôle d’intermédiaire et proposent des plateformes de marché mettant en relation les acheteurs et les producteurs, en se rémunérant par une commission sur les transactions effectuées (cf. exemple de Novatech plus loin).

Pour ce qui relève de l’approvisionnement en intrants, il s’agit généralement d’informer sur les prix et les lieux de vente, avec également parfois la possibilité d’acheter directement sur l’application certains intrants. Dans ce cas, c’est souvent le fournisseur d’intrants qui rémunère ou finance la plateforme pour accroître ses volumes de vente.

1.3 Les services financiers

L’apport des NTIC pour la fourniture de services financiers aux agriculteurs africains porte sur deux aspects :

  • La production de nouveaux services,
  • La réduction du coût de certains services (credit scoring, assurance indicielle…).

Les principales catégories de services proposés par les plateformes existantes sont :

  • Le paiement mobile: ces applications, comme le pionnier kenyan M-Pesa, permettent d’offrir aux populations non bancarisées[1], souvent majoritaires parmi les agriculteurs africains, des moyens de paiement sécurisés, ce qui évite le risque de parcourir de longues distances avec des sommes importantes en espèces et donne également accès à d’autres services financiers : épargne, assurance…
  • Le crédit: besoin particulièrement important pour les producteurs (crédits de campagne et investissements) et souvent cité comme l’un des principaux freins au développement agricole en raison de la réticence des banques à financer l’agriculture. Les nouveaux outils qui cherchent à régler ce problème sont à la fois des outils de gestion du risque (ex : credit scoring basé sur l’imagerie satellitaire, suivi d’un troupeau avec puces RFID) et des plateformes de banque mobile (M-Kesho de M-Pesa en partenariat avec Equity Bank par exemple)
  • L’épargne: la capacité à épargner est essentielle pour les producteurs agricoles en raison de la saisonnalité de leurs revenus. Les applications de paiement par la « banque mobile » proposent généralement ce service.
  • L’assurance: développement de l’assurance indicielle qui utilise l’imagerie satellitaire pour évaluer les conséquences des incidents météorologiques et déclencher des remboursements automatiques pour les producteurs assurés situés dans les zones touchées par ces incidents (ex : Kilimo Salama). Ces technologies laissent entrevoir la possibilité d’une assurance agricole low cost potentiellement adaptée à l’Afrique[2].

1.4 Les outils de traçabilité

Les marchés mondialisés ont des exigences croissantes de traçabilité des produits, en raison de standards sanitaires de plus en plus stricts et d’une demande croissante des consommateurs « du nord » pour une transparence totale en ce qui concerne l’origine de leur alimentation. Les petits producteurs du sud, notamment en Afrique, ont des difficultés à faire face à ces nouvelles exigences, qui peuvent alors se révéler de véritables obstacles à l’intégration de ces petits producteurs dans l’économie mondialisée.

Certaines technologies sont néanmoins prometteuses pour aider les petits producteurs à remplir les obligations liées à ces nouveaux standards de traçabilité : téléphonie mobile, puces RFID, blockchain, réseaux de capteurs, GPS, ERPs et autres applications mobiles…

Exemple au Burkina Faso avec une coopérative de productrices de beurre de karité, l’association Songtaab Yalgré, qui utilise le GPS pour documenter l’origine de ses produits (indiquant quel fruit vient de quel arbre) et accéder aux certifications Bio-Ecocert et Bio-NOP (commerce équitable et 100% naturel)

Régler ce problème passe également par la conception de standards qui prennent en compte la capacité des petits producteurs à satisfaire aux exigences. Le standard Global G.A.P. en fournit un bon exemple, en permettant la certification groupée pour les petits producteurs.

Les puces RFID (Radio Frequency Identification) sont de petits objets que l’on peut coller à ou incorporer dans des objets ou des organismes vivants permettant de stocker de l’information d’identification. A la différence d’un code-barres, il n’est pas uniquement possible de lire la donnée de la puce mais également d’écrire de la donnée pour renseigner de nouvelles informations, par exemple depuis des réseaux de capteurs. Autre différence qui explique son succès dans les pays du sud, la lecture de la puce ne requière pas que le code soit parfaitement propre et visible clairement.

Son coût (environ 0,25$ aujourd’hui) reste un obstacle pour une utilisation à plus grande échelle, et la technologie elle-même reste imparfaite (erreurs de détection, couverture des puces…) mais les progrès rapides que connaissent les nanotechnologies laissent entrevoir à la fois une forte baisse du coût et une amélioration de sa fiabilité dans les prochaines années.

1.5 La sécurisation foncière

La gestion foncière est un enjeu important pour l’agriculture africaine. En effet, cette gestion repose souvent sur des systèmes traditionnels avec transmission orale du savoir et souvent pas de trace écrite des transactions ou de titres d’exploitation formels, sans même parler de titre de propriété, notion souvent étrangères aux cultures locales. Or, cette absence de sécurité foncière freine les investissements nécessaires au développement agricole et limite les possibilités de recours à l’emprunt et aux garanties.

La transition de cette gestion traditionnelle peu formalisée vers des systèmes plus formels et sécurisés de « titrisation » du foncier est une tâche difficile. Elle peut néanmoins être facilitée par l’utilisation de la blockchain par la transparence et la sécurité décentralisée qu’elle permet.

Au Ghana, par exemple, où près de 90 % des terres rurales ne sont pas enregistrées dans un registre officiel, l’ONG Bitland enregistre les droits d’exploiter sur la blockchain. Des initiatives similaires ont également vu le jour en Géorgie ou au Honduras où les gouvernements soutiennent officiellement leur développement.

La blockchain n’efface cependant pas toutes les difficultés liées à l’établissement d’un cadastre sécurisé : l’identification préalable des délimitations des terrains et de leurs propriétaires légitimes, indispensable à la mise en place d’un tel système, peut en particulier demeurer problématique, particulièrement en zone rurale. Ainsi, si l’exemple du Honduras permet d’envisager le recours à la blockchain notamment pour lutter contre la corruption, les spécificités africaines sur le thème du foncier rendent une simple transposition difficile à envisager. L’imbrication et la juxtaposition de différents droits fonciers compliquent particulièrement la situation : droit coutumier centré sur la propriété collective et l’autorité traditionnelle du chef de village qui répartit l’usage des terres, d’une part, et droit hérité de la colonisation (droit français ou anglo-saxon basé sur la propriété privée) d’autre part.

1.6 Nourrir la recherche et guider l’action publique

Le dernier grand moyen par lequel les NTIC influencent le développement des filières agricoles, peut-être le plus important même s’il est moins direct, passe par la collecte et le traitement de données permettant d’accéder à une meilleure compréhension des systèmes agricoles et potentiellement une action publique davantage éclairée et efficace ; cela relève du « Big Data ».

Les données issues de la télédétection, et en particulier de l’imagerie satellitaire, permettent de mieux appréhender de nombreux phénomènes plus ou moins directement liés à l’activité agricole et ainsi guider l’action publique. Parmi ces nombreuses applications on peut citer la gestion foncière, les systèmes d’alerte précoce, le suivi des dynamiques pastorales (production de biomasse, cours d’eau…), les estimations de rendements, les statistiques agricoles, l’assurance déjà citée plus haut, les changements climatiques, la lutte contre certaines épidémies, etc.

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