Comprendre les enjeux de l'agriculture

La diversité végétale est une promesse d’avenir. Les experts s’accordent sur l’importance de la biodiversité dans la survie des espèces, dont la nôtre. Un cinquième de la flore mondiale est menacé. Les conservatoires botaniques ont parfois la lourde responsabilité de « sauver » des spécimens, témoins des évolutions génétiques. La déforestation massive accélère la disparition d’espèces comme c’est le cas sur l’Île Maurice, qui abrite plus de 11.000 plantes endémiques. En stockant à froid les semences rares, les scientifiques créent des banques de conservation qui constituent aussi des ressources précieuses pour la préservation et la création de nouvelles variétés. Cette préoccupation n’est toutefois pas suffisamment soutenue par les États et ignorée par les acteurs agroindustriels.

A l’Île Maurice, les conservateurs du jardin botanique ont relancé des lignées d’arbustes, ils ont ensemencé des bourgeons réfractaires au bouturage dans une solution ultra nutritive. Cette solution innovante est le fruit de travaux de recherche du centre de ressources technologique Vegenove qui accompagne les semenciers et les producteurs sur plus de 50 espèces :  céréales, oléagineux, fruits, légumes, plantes aromatiques.

En France, le Conservatoire botanique national de Bretagne (CBN) conduit un programme de réhabilitation d’espèces disparues. Leurs semences se conservent dans la nature, les cellules embryonnaires peuvent survivre plusieurs centaines d’années. A titre d’exemple, les chercheurs ont pu exploiter des graines de Silene Stenophylla, emprisonnées plusieurs milliers d’années dans des glaces. La difficulté réside dans la recherche des semences disparues. Les herbiers des botanistes constituent une ressource intéressante.

Le CBN a noué un partenariat avec l’Île Maurice pour sauver d’autres espèces en péril. L’île abrite par exemple son dernier palmier Hyophorbe Amaricauli. Du haut de ses 90 ans, il ne produit guère de graines. Le CBN a fait à nouveau appel à Vegenove pour sauver cet arbre.

La résurrection d’une plante à partir d’une graine suit le protocole suivant :

  1. Révélation par un colorant de la présence de cellules embryonnaires vivantes dans les graines collectées ;
  2. Culture de ces cellules vivantes en milieu nutritif enrichi d’hormones végétales, de minéraux et de sucre ;
  3. Transfert des plantules en pots puis en serres, dans un environnement contrôlé ;
  4. Introduction dans leur milieu d’origine et sous surveillance.

Des études récentes avancent que 10% des espèces animales ou végétales pourraient disparaître d’ici 2050 et 27% à l’horizon 2100. L’épuisement des ressources, le réchauffement climatique, la pollution des sols, l’accaparement des espaces naturels créent un contexte défavorable.

Selon les scientifiques l’insuffisance de la restauration et de la préservation de la biodiversité marque le début de la sixième extinction de masse qu’a connue la terre. Les récentes technologies permettent de modéliser des scénarios et d’y inclure les phénomènes de co-extinction qui constituent un facteur accélérant. Les enfants actuels connaîtront sans doute la disparition des koalas, des éléphants ou de certains insectes.

Le stockage de semences

La quasi-totalité de nos denrées alimentaires proviennent de 30 espèces.

L’archipel norvégien de Svalbard situé entre les côtes norvégiennes et le pôle Nord, abrite une réserve mondiale de semences qui prend la forme d’un bunker et qui contient plus d’un million de graines. Cet archipel, glacé à 60% et plongé dans la nuit polaire la moitié de l’année, a été choisi pour préserver les semences du monde entier.

Les banques de graines sont nombreuses dans le monde (1700), chaque pays dispose d’une banque ou s’est associé avec d’autres pour constituer une banque commune. Ces banques stockent des espèces domestiquées et sauvages.

L’objectif est de sécuriser la capacité à produire et à se nourrir. Malheureusement, notre alimentation s’est uniformisée, provoquant la disparition de 80% des variétés de légumes en un demi-siècle. Le choix de cultures uniformisées répond à plusieurs objectifs :

  • La quête de meilleurs rendements ;
  • La résistance aux maladies ;
  • La facilité de conditionnement ;
  • L’intérêt commercial et agroindustriel

La communauté scientifique interpelle les États sur le risque de laisser disparaître des semences, celles-ci contiennent des gènes et disposent de propriétés bénéfiques à l’homme.

Les budgets réservés à la protection de la biodiversité restent trop faibles pour une collecte et une conservation suffisante. Dès 2000, Cary Fowler, environnementaliste américain fervent défenseur de l’agriculture et de la biodiversité, se dit préoccupé par la vétusté des banques de conservation existantes et par les conséquences sur la préservation des capacités de germination des graines ainsi stockées.

De là, naît il y a une quinzaine d’années, l’idée d’un stockage unique et sécurisé, hébergé dans un environnement stable, tant sur le plan politique que climatique. L’environnementaliste pense alors à l’archipel norvégien et convainc des gouvernements et organisations de s’associer pour y créer un stockage d’ampleur mutualisé. Un trou est alors creusé dans le permafrost norvégien pour y accueillir la plus grande collection semencière au monde.

Le Svalbard Global Seed Vault préserve des semences de blé, seigle, riz, haricot, lentille, maïs et autres espèces et variétés, en provenance de 80 pays. Il a été conçu pour résister aux guerres, inondations et autres catastrophes susceptibles de le toucher.  Les semences des autres banques sont dupliquées et envoyées dans ce centre sécurisé.

L’initiative s’avère salvatrice pour certains pays, ainsi, lors du conflit syrien de 2014, les employés de la banque d’Alep ont dû abandonner leurs collections mais ont pu récupérer plus de 40.000 échantillons dupliqués qu’ils ont introduits au Maroc et au Liban.

Cette banque norvégienne est sous la gestion du Crop Trust, une organisation dédiée à la conservation de la biodiversité culturale au bénéfice de tous. Elle a été créée par la FAO et l’organisme de recherche Bioversity International, qui dépend du CGIAR un consortium d’une quinzaine d’acteurs œuvrant à la sécurité alimentaire.

Pour garantir la qualité du stockage, les graines collectées sont déshydratées, conditionnées sous plastique et aluminium. Tous les dix ou vingt ans, les déposants sont invités à retirer leurs échantillons afin de d’en vérifier le pouvoir germinatif en milieu naturel.

La France n’a déposé aucune semence dans le bunker, en cause, la décentralisation nationale dans la gestion de la conservation des semences. Les banques indépendantes disséminées sur le territoire national ne se sont pas concertées au sujet d’une telle opportunité. Certains avancent aussi que le choix de conservation à -18°C n’est pas bénéfique à toutes les semences.

Des institutions de recherche françaises préfèrent la technique de cryopréservation, une vitrification à -196°C, méthode déjà utilisée dans la conservation des embryons humains en vue d’insémination.

Elles estiment, par ailleurs, que la sauvegarde en un même lieu de toutes les semences présente des risques. En 2017, une infiltration d’eau avait failli endommager les semences stockées. Face au réchauffement climatique, en partie responsable de cet incident, le gouvernement norvégien a voté des budgets supplémentaires pour un renforcement des infrastructures du site.

De son côté, la France encourage la population à réinsérer des espèces décroissantes. Dans cette optique, le Conservatoire botanique national de Bailleul situé dans le Nord de la France permet l’emprunt d’une vingtaine d’espèces de semences comme la carotte sauvage ou le coquelicot pour inciter les particuliers à réintroduire ces espèces. Les emprunteurs s’engagent à restituer des graines au conservatoire.

Le marché des semences

Les semences commercialisées sont catégorisées selon :

  • La technologie de sélection, hybrides, à pollinisation libre ou hybrides dérivés ;
  • Le contexte de culture, en champ ou en culture protégée ;
  • La région de la culture.

Le marché des semences est actuellement valorisé à plus de $65 milliards et les estimations fixent la valeur du marché à $92 milliards pour 2028. Les semences de céréales constituent le marché le plus attractif, leur culture est rentable, la consommation est croissante et la filière biocarburant soutient la demande.

Les États-Unis restent le principal pays producteur concernant les céréales et l’adoption des semences hybrides. Celles-ci restent attractives en raison de leur rendement et de leur résistance aux stress divers.

Le progrès biotechnologique permet aux semenciers de proposer des sélections de plus en plus ciblées, notamment des variétés améliorées adaptables aux milieux arides. Ils sont cinq à détenir près de 40% du marché

  • BASF SE
  • Bayer AG
  • Corteva Agriscience
  • KWS SAAT SE & Co. KGaA
  • Syngenta Group

Le challenge est de préserver la diversité des semences malgré l’intérêt économique de leur standardisation.

 

Sources : Modor Intelligence et Ça M’intéresse