Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’Afrique de l’Ouest connaît diverses crises politiques. L’instabilité des territoires trouve avant tout sa source dans les difficultés économiques que rencontrent les populations rurales, éloignées des opportunités urbaines et privées des leviers de résilience : accès à la formation, aux marchés… A titre d’exemple, au Bénin le taux de scolarisation est de 95% pour la ville de Cotonou contre 25% pour la région rurale du Nord. Offrir une agriculture durable est donc un levier essentiel pour un développement stable. L’objectif passe par des investissements massifs sur l’appareil agricole, réducteur d’inégalité, pourvoyeur de ressources financières et garant de la sécurité alimentaire. A ce jour, le potentiel agricole est largement sous-exploité, la région importe la majorité des produits élaborés qu’elle consomme. Pour profiter des ressources dont elle dispose et éviter les pertes de denrées, l’Afrique de l’Ouest doit lever des financements et établir de nouvelles chaînes de valeur agroalimentaires.

Il faut noter que le financement public local s’est considérablement réduit alors que le secteur fait face à plus de challenges (conflits, sécheresses, appauvrissement des sols…). Dans le domaine agricole, l’aide publique au développement (APD) s’élevait à presque 20% il y a une quarantaine d’années contre moins de 5% aujourd’hui. Et les prêts commerciaux actuels continuent de soutenir des projets autres qu’agricoles.

L’Institut Montaigne a publié un rapport intitulé « Sécurité en Afrique de l’Ouest – Investir la filière agricole » qui formule 12 propositions pour une coopération économique franco-africaine favorable à la promotion d’une agriculture ouest-africaine performante, capable d’assurer confort économique et stabilité politique.

En complément de ses recommandations, l’auteur du rapport, Jonathan Guiffard, expert associé au sein de l’institut pour les questions stratégiques africaines et moyen-orientales, propose aussi la mise en place de deux types de structures d’accompagnement :

  • Des écoles nationales à vocation régionales (ENVR) ;
  • Des coopératives intégrées.

Les propositions sont organisées autour de quatre axes.

Axe 1 : sécuriser le foncier, les intrants et la capacité de valorisation

Il apparaît prioritaire de structurer les éléments fondamentaux d’une agriculture performante.

(1) En Afrique de l’Ouest, le foncier agricole ne bénéficie pas d’un cadre réglementaire suffisant. Pour préserver la capacité productive de cette région, les États doivent mettre en place un système d’identification et de titrisation des parcelles de terres arables.

(2) Ensuite, la politique relative aux semences et autres intrants (engrais, phytos) doit comprendre un volet Recherche pour l’élaboration de variétés spécifiques et certifiés adaptés ainsi qu’un circuit de distribution traçable.

(3) Et enfin, les denrées produites doivent pouvoir subir une transformation locale, en combinant les opportunités locales (zones franches, aides publiques) et l’expertise d’agroindustriels capables d’exporter leur savoir-faire en Afrique.

Le principe d’une coopérative locale paraît adapté à ces actions, elle permet de favoriser le financement et de regrouper les compétences en un seul lieu.

Axe 2 : améliorer l’efficacité des exploitations

Les agriculteurs ouest-africains sous-exploitent leur outil de production, faute d’équipements, d’intrants et de formation. Leurs efforts ne produisent pas un rendement optimisé.

(4) L’objectif de la coopération est de soutenir des pratiques durables en matière de ressources (eau, énergie), en installant des panneaux solaires et des équipements d’irrigation modernes.

(5) Les infrastructures permettant la logistique (stockage, manutention) et le transport des denrées doivent être améliorés à tous les niveaux, local, régional et national. Des ambitions continentales sont déjà exprimées dans le cadre du développement de la ZLECAF, zone de libre-échange africaine.

(6) L’accompagnement des pays partenaires portera prioritairement sur le volet agronomique appuyé par leur politique respective de coopération.

Dans cette action, l’École nationale à vocation régionale (ENVR) servira de levier aux travaux scientifiques et à la formation d’experts locaux.

Axe 3 : soutenir financièrement la transformation

Les agriculteurs ne sont pas formés à une agriculture optimisée en termes de rendement mais ils sont aussi en difficulté pour accéder aux financements nécessaires à une telle transition.

(7) En soutenant les projets locaux, les partenaires européens agissent à deux niveaux, ils rassurent les investisseurs et favorisent l’émergence d’établissements de financement agricole.

(8) La présence de partenaires expérimentés et la communication autour des projets visent aussi à rendre attractif le secteur agricole vis-à-vis de la diaspora et faciliter la conversion de ses devises vers les projets agricoles ouest-africains. A titre d’exemple, pour 2020, la diaspora a contribué à hauteur de $21 milliards pour le Nigéria et $2,2 milliards pour le Sénégal selon l’avocat Alain Gauvin, docteur en droit, conférencier et spécialiste de la bi-bancarisation. Les flux financiers des diasporas africaines pèsent jusqu’à 10 % du PIB du pays bénéficiaire et 30 % des dépôts bancaires.

(9) En parallèle de ces opportunités financières, l’aide publique au développement destinée à la filière agricole ouest-africaine doit représenter un ratio minimum de 0,2% du Revenu national brut (RNB) français d’ici 2030.

(10) Pour faire face aux dépenses nationales de transformation des systèmes agricoles, les États ouest-africains font face à un challenge, fiabiliser leurs recettes fiscales en incitant le secteur informel à contribuer à l’objectif national.

Axe 4 : encourager les initiatives des pays industrialisés

Les pays industrialisés disposent d’une expertise avancée sur l’agriculture digitalisée, la formation professionnelle et la transformation agroindustrielle. Tous les acteurs de l’écosystème agroalimentaire doivent être sollicités pour investir leur expertise ou fonds en Afrique de l’Ouest.

(11) Le projet Compact with Africa (CwA), initié en 2017 par les pays membres du G20, vise à promouvoir l’investissement privé en faveur des infrastructures africaines. Les États africains intéressés, ainsi que les organisations internationales et autres partenaires du G20, sont invités à collaborer pour un dispositif d’allègement des échanges commerciaux et financiers. Dans le cadre de ce projet, les membres du G20 s’engagent à soutenir les politiques nationales et à communiquer auprès des investisseurs privés potentiels. Une quinzaine de pays africains ont d’ores et déjà adhéré au projet CwA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Égypte, Éthiopie, Ghana, Guinée, Maroc, Rwanda, Sénégal, Togo et Tunisie.

(12) Et enfin, l’ensemble des acteurs de la coopération doivent favoriser les investissements, notamment français, en faveur de projets agroindustriels durables qui impliquent le secteur privé africain à travers des partenariats locaux.

La mise en œuvre de ces recommandations et des structures d’accompagnement représentent un projet sur le long terme, horizon 2040. L’intérêt d’une telle initiative est de répondre à la problématique de stabilité territoriale, en même temps qu’à celle de la sécurité alimentaire.

La question du financement est centrale mais elle doit répondre à un enjeu politique, celui de la construction de relations diplomatiques et économiques sereines. Seule cette volonté réciproque de la part des pays partenaires permettra de rassurer les investisseurs et de donner au monde agricole un cadre favorable de transformation.

Des organisations internationales comme la Banque mondiale, aujourd’hui missionnée pour des opérations d’urgence, sera en mesure de soutenir par son expertise et son financement la réalisation de ces objectifs.

 

Source : Institut Montaigne