Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’invasion  de l’Ukraine ruine ce pays, ses agriculteurs mais aussi les agriculteurs russes par effet de boom rang. L’an passé, aucun d’entre eux n’a profité des prix record mondiaux des céréales et des oléo-protéagineux.

Malgré la guerre, l’économie de l’Ukraine n’a pas cessé de fonctionner, ne serait-ce que pour financer le conflit qu’elle subit. Lors d’une réunion gouvernementale, le Premier ministre ukrainien Denys Shmyhal a déclaré que les agriculteurs ukrainiens avaient déjà semé plus de 10 millions d’hectares sur les 13 prévus. « Le 19 mai dernier, les agriculteurs ukrainiens avaient déjà semé plus de 4,693 millions d’hectares de céréales et de légumineuses de printemps dans les zones contrôlées par le gouvernement, rapporte Ukragoconsult. Cela satisfait pleinement la demande intérieure de notre marché et laisse une place importante aux exportations et, par conséquent, au soutien de l’économie ».

Denys Shmyhal a aussi souligné :« le travail de déminage, identifié comme l’une des principales priorités pour cette année, est également en cours». Jusqu’à présent, 110 000 hectares ont été inspectés et plus de 600 000 engins explosifs ont été découverts. Mais environ 470 000 hectares de terres agricoles dans les régions de Dnipropetrovs’k, Zaporizhzhia, Kiev, Mykolaiv, Sumy, Kharkiv, Kherson, Chernihiv et Cherkasy doivent encore être inspectés.

Dès l’automne passé, dans les exploitations ukrainiennes, les agriculteurs s’étaient résolus à ce que leurs récoltes 2023 soient faibles…tant est qu’il était  possible de cultiver les terres.

« Habituellement, les agriculteurs ukrainiens planifient les zones de semis et les travaux de printemps au champ dès l’automne, mais cette année, la décision devra être prise juste avant les semis», expliquait au mois de décembre dernier Sergey Feofilov, directeur général d’UkrAgroConsult lors du webinaire « Faciliter la réintégration de la région de la Mer Noire dans le marché mondial des céréales » organisé par l’IGC, le Conseil international des céréales (CIC).

A la tête d’une exploitation en Ukraine de 4 500 hectares à Buky (40 km d’Uman), Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubny ont emblavé à la mi-octobre 1 200 hectares (ha) de blé et semé 1 100 ha colza.

Les années passées, seuls 800 ha de blé étaient implantés, et l’ensemble des cultures de colza, de pois et de soja couvraient 1300 ha. Mais dans le contexte actuel, le blé et le colza sont les deux cultures les plus faciles à implanter. Pour les 2 200 hectares restants, l’assolement a été fixé au gré de la disponibilité des intrants, de leurs prix et des moyens disponibles financer les mises en cultures. Beaucoup de tournesol a été semé.

Le marché ukrainien des céréales s’est effondré depuis le début de la guerre. Les prix de vente ne couvrent pas les coûts de production et de séchage, les fermages et les salaires des 130 employés salariés. La culture de blé n’était donc plus rentable et de plus, les stocks de céréales et d’oléo-protéagineux s’accumulaient.

Très vite, la viabilité de l’exploitation d’Yvan Melnyk et d’Oleksandr Pidlubny a été conditionnée par la capacité de leur pays à exporter les céréales et les oléo-protéagineux produits en 2021 et courant 2022, condition sine qua none pour désengorger le marché intérieur et espérer alors une hausse des prix agricoles.

L’ouverture du corridor maritime sur la Mer Noire au mois de juillet n’a pas permis à l’Ukraine de retrouver les capacités d’exportation d’avant le conflit qu’offraient la région d’Odessa en matière de volume, de mobilité et de vitesse de chargement.

Mais plus de 20 Mt de grains ont cependant été embarquées depuis le mois de juillet 2022.

Et surtout, le corridor a très vite réduit le risque que représente le conflit russo-ukrainien. Les prix des céréales ont commencé à refluer l’automne passé.  Les mises sur le marché des récoltes abondantes australiennes et brésiliennes durant l’automne et l’hiver 2022 ont été des opportunités, saisies par les pays importateurs, pour s’approvisionner. Elles ont contribué à faire baisser les cours.  Par ailleurs, le corridor est devenu au moins autant indispensable pour la Russie et la Turquie que pour l’Ukraine.  Au mois de novembre 2022, puis en février 2023, la Russie n’avait pas d’autre choix que d’accepter sa reconduction.

Pendant de nombreux mois, « les contraintes financières et logistiques persistantes ont plafonné les expéditions russes en deçà du potentiel d’exportation », souligne le CIC. Et selon Sovecon.ru, les opérateurs russes de blé auraient été victimes de la défiance des pays importateurs à leur égard et de la difficulté d’affréter des navires, d’assurer la marchandise et d’opérer des paiements.

Sur le marché intérieur russe, la fin du corridor aurait aggravé les difficultés économiques des agriculteurs déjà confrontés à un effondrement des prix agricoles, faute de débouchés suffisants à l’export. Au cours des trois premiers mois de campagne 2022-2023, seules 10,4 Mt de blé russes avaient été vendues à des pays tiers, soit 22,4 % de moins qu’en 2021-2022, alors que la récolte était faible. Les taxes aux exportations et les frais logistiques avaient amputé les prix de vente sortie ferme alors que ceux des intrants flambaient.


Photo : Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubny