Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’invasion russe a ruiné l’économie ukrainienne et son agriculture. Mais elle a aussi ruiné  les agriculteurs russes par effet de boom rang. L’an passé, aucun d’entre eux n’a profité des prix record mondiaux des céréales et des oléo-protéagineux. Les pays méditerranéens ont payé très cher les importations de grains indispensables pour nourrir leurs populations. Et comme ils sont une nouvelle fois confrontés à des épisodes de sécheresse, ils accroîtront leurs achats de céréales au cours de la prochaine campagne commerciale 2023-2024. Toutefois, ils profiteront du retour à des niveaux équivalents à 2021 des prix des céréales.

48 millions de tonnes (Mt), c’est la production ukrainienne de céréales estimée par le Conseil international des céréales (CIC) dans son dernier rapport paru le 18 mai dernier. Deux ans, plutôt, l’Ukraine avait récolté 86 Mt de grains, un record !

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine au mois de février 2022, les prix de l’ensemble des céréales avaient flambé.   Le marché du maïs a été plus affecté que celui du blé et de l’orge par le retrait de l’Ukraine du marché mondial. Le pays avait déjà exporté ses 19 Mt de blé et les 6 Mt d’orge récoltées en 2021. En cette fin de campagne, 2021-2022, l’enjeu portait sur le maïs : 27 Mt de grains devaient alors être expédiées d’ici la fin du mois de juin 2022.

C’était en fait la crainte de ne plus avoir accès à l’ensemble des ports de la Mer Noire,  aussi bien russes qu’ukrainiens, pour charger les cargos, qui avait affolé les marchés des céréales.

A l’époque, la Russie devait alors écouler, à elle-seule, une quinzaine de millions de tonnes de blé d’ici la fin du mois de juin 2022.

L’Ukraine débutera la prochaine campagne 2023-2024 avec des stocks proches de la normale. Mais la Russie est handicapée par sa récolte pléthorique de blé de plus de 100 Mt (source Ukragroconsult). Elle parvient difficilement à exporter ses 45 Mt de blé compte tenu de la défiance qu’elle a suscitée auprès de certains de ces clients durant l’année 2022.

Aussi, la Russie débutera la nouvelle campagne 2023-2024 avec des stocks de blé pléthoriques de 17 Mt. Et elle devra de nouveau exporter près de 45 Mt.

 La Russie croule sous plus de 100 Mt de blé

Toutes céréales confondues, la Russie produira 125 Mt de grains (- 15 Mt sur un an) et elle devrait en exporter 54 Mt, comme l’an passé en raison là encore de ses stocks pléthoriques!

Depuis l’automne dernier, les cours mondiaux de céréales décroissent et deviennent inférieurs à  leur niveau de 2021. Cette baisse de prix profite évidemment aux pays africains,

premières victimes de la flambée des cours des grains lorsque le conflit russo-ukrainien a débuté.

Pour ne pas affamer leurs populations, ils n’ont pas réduit leurs achats alors que les prix des grains flambaient. Durant la prochaine campagne de commercialisation 2023-2024, ils achèteront 56 Mt, un record ! Pour le maïs, 19 Mt seront aussi importées par l’Afrique, un volume identique à l’an passé.

A l’échelle mondiale, 410 Mt de grains seront échangées dans le monde, soit autant que la campagne passée ,alors que la guerre en Ukraine se poursuit. Mais près de 2 295 Mt de grains seront produites, soit 40 Mt de plus que l’an passé (essentiellement du maïs) alors que l’Ukraine aura réduit de moitié sa production de céréales. Le maïs qu’elle n’est plus en mesure de produire et de vendre est dorénavant fourni par le Brésil et les Etats-Unis.

En fait, l’évolution des cours des céréales est de nouveau guidée par les fondamentaux.

« Le conflit en Ukraine ne constitue plus un risque pour les opérateurs, analyse Philippe Chalmin, coordinateur du Cyclope 2023 présenté le 23 mai dernier. Sur les marchés, les cours n’intègrent plus aucune prime de risque géopolitique ». De plus, l’importance géostratégique du corridor sur la Mer Noire s’est fortement amoindrie depuis l’été dernier.

 

Tous liés au corridor

Bien que la Russie ait soufflé le chaud et le froid, les négociations sur sa prolongation de l’accord sur le corridor n’ont eu aucun réel impact sur l’évolution des cours des grains. Après un sursaut de quelques euros les jours précédant l’échéance du 18 mai, les prix poursuivent leur repli entamé l’automne passé jusqu’à atteindre des niveaux équivalents, voire inférieurs, à ceux de 2021.

Par ailleurs, les Ukrainiens ont su prendre les mesures nécessaires pour exporter par la route, par train ou par voies fluviales, jusqu’à 50 Mt de céréales et de graines oléo-protéagineuses en 2023-2024.  La logistique des ports de Reni et d’Izmail sur le Danube s’est énormément développée. Et en Roumanie, le port de Constanza est, à lui, seul en mesure d’expédier jusqu’à 10 Mt de grains ukrainiens.

Pour sa part, la Turquie, partie prenante dans l’accord onusien, a redoublé d’efforts pour que l’accord sur le corridor soit reconduit. Elle a besoin d’importer des millions de tonnes de blé bon marché pour approvisionner son industrie meunière. En 2023-2024, elle sera même le 3ème pays importateur au monde de grains (9,5 Mt).

En attendant, la Russie est pressée d’écouler sa dernière récolte avant d’avoir à exporter de nouveau 45 Mt blé, une fois les prochaines moissons achevées. Ses prix de vente orientent l’ensemble des marchés des grains à la baisse. Ses concurrents s’y alignent pour tenter de rester compétitifs. Cependant, la Russie remporte quasiment toutes les offres de marché lancées par le GASC en Egypte depuis l’hiver dernier. Sur les 6,3 Mt importées par Le Caire depuis le mois de juillet dernier, 4,6 Mt sont russes.

 

Combattre la flambée des prix 

Durant la crise céréalière, l’Union européenne, l’Australie, et les pays américains exportateurs de grains, ont expédié toutes les céréales dont ils disposaient pour enrayer la flambée des prix et pour fluidifier les transactions commerciales. Près de 48 Mt de grains européens auront ainsi été exportées durant la campagne 2022-2023 et 51 Mt le seront au cours de la prochaine. Mais l’Union européenne aura entre temps importé 26 Mt de maïs!

Depuis le début de la campagne de commercialisation 2022-2023, un tiers du blé et les deux tiers de l’orge exportés par l’Union européenne ont été expédiés depuis la France.

Le Maroc est le premier pays importateur de blé européen (4,2 Mt) devant l’Algérie (3,9 Mt).
Dans le même temps, l’Ukraine a bénéficié de l’ouverture du marché européen pour y expédier 4,9 Mt de blé, 13,1 Mt de maïs et 0,8 Mt d’orges. Mais dans l’Union européenne, l’afflux de grains ukrainiens (plus de 8 Mt de blé, de maïs, de colza et de tournesol) a engorgé les marchés des pays frontaliers de l’Ukraine.

 

Photo : A Buky (40 km d’Uman), hall de stockage dans la ferme d’Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubny  )