Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le ciel est désormais un poste d’observation idéal pour tout ce qui se passe sur terre. Les progrès dans la précision des images satellitaires permettent une analyse de plus en plus fine des phénomènes naturels et des activités humaines, notamment l’exploitation des sols à des fins agricoles. L’intérêt de l’agriculture pour ces précieuses informations satellitaires a grandi avec l’apparition des objectifs de développement durable, en particulier la protection de l’environnement et la sécurité alimentaire. L’imagerie spatiale offre des applications agricoles intéressantes pour l’exploitation des ressources et des sols mais pourrait, demain, aussi intéresser la distribution et la consommation.

L’association Union of Concerned Scientists (UCS) estime que plus de 2000 satellites tournent autour de la terre. Le plus ancien est américain et a été mis en orbite en 1974 : Amsat-Oscar 7 (AO-7).

Les lancements s’accélèrent ces dernières années avec plus de 300 satellites pour les années 2017 et 2018. La plupart du temps, ils sont mis en orbite dans le cadre de lancements multiples. Le record appartient à l’Inde qui a opéré un lancement simultané de 104 satellites en un seul tir de fusée.

L’homme observe la terre depuis les années 50, cet angle d’observation permet un constat sans frontière, politique ou géographique. Depuis la fameuse photo capturée par la mission Apollo 17 en 1972 et surnommée blue marble, la science a progressé. En 2015, le satellite DSCOVER permet une observation complète de la terre et une transmission quotidienne de sa face éclairée.

Selon UCS, ces satellites en orbite visent principalement les objectifs suivants :

  • 38% : observation de la terre ;
  • 37% : communication ;
  • 13% : technologie ;
  • 7% : navigation.

En termes de nombre de satellites détenus, le podium est occupé par les États-Unis (887), la Chine (296) et la Russie (150) selon le dernier recensement de 2019.

L’imagerie satellitaire, combinée à l’intelligence artificielle, ouvre de nombreux marchés prometteurs pour les opérateurs tels que Nasa Earth Observatory ou European Space Agency : agriculture, assurances, transports, environnement, sécurité, urbanisme…

L’exploitation de ces images requiert une expertise : résolution, fréquence…. Certains établissements, comme le CNRS, sont en mesure d’apporter un service clé-en-main pour les professionnels.

Le CNES met les données spatiales au service de l’agriculture

Que ce soit pour développer des systèmes de santé, de mobilité ou d’exploitation agricole, le Centre national d’études spatiales (CNES) met à disposition du monde professionnel des leviers de transition agroécologique et numérique.

Thierry Chapuis, expert en applications spatiales, est le référent agriculture pour le programme Connect du CNES. Ce programme traduit la data spatiale pour en faire une ressource exploitable par les entreprises, les startups ou les entités de recherche.

Concernant les professionnels du monde agricole, le CNES les accompagne grâce à un bouquet de services qui couvrent plusieurs types de ressources, l’imagerie spatiale bien sûr, mais aussi l’expertise météorologique, la géolocalisation et la communication satellite. Les exploitants agricoles peuvent s’appuyer sur le CNES au stade de la conception de la solution jusqu’à son développement, son financement ou son exploitation par la dispense de formations.

L’ensemble des services proposés par le CNES permet la mise en œuvre d’une agriculture de précision, antichambre de l’agroécologie. Le système de communication par satellite facilite les échanges de données via des capteurs implantés sur site.

Le programme européen Copernicus, avec les satellites Sentinel 1 et 2, constitue la principale ressource d’imagerie. Ces satellites réalisent l’exploit de mesurer différents paramètres utiles aux grandes cultures : taux de chlorophylle, indice de végétation, stress hydrique… A partir de ces données, l’exploitant contrôle la densité des plantations, les besoins en irrigation, en traitement phytosanitaire ou en fertilisants. C’est aussi l’occasion de mesurer les effets des couverts intermédiaires sur les émissions de GES, entre deux périodes de cultures principales. Ces mesures sont menés en collaboration avec l’INRAE.

Plusieurs startups françaises font aussi appel aux services du CNES pour lancer ou développer leurs activités basées sur l’imagerie satellitaire :

  • TerraNIS et son service WAGO, pilote d’irrigation ;
  • SpaceSense avec sa récente levée d’un millions d’euros qui entend simplifier l’exploitation de l’imagerie ;
  • Kermap et son appli Nimbo de cartographie haute résolution et sans nuage qui offre un référencement depuis 2017 pour suivre l’évolution des espaces dans le temps ;
  • MyEasyFarm qui modélise les données consolidées issues de satellites, drones et capteurs ;
  • Naïo Technologies et son désherbeur piloté par géolocalisation des sols à traiter.

Les compagnies d’assurances s’intéressent aussi à la ressource satellitaire lorsqu’il s’agit de réaliser un état des lieux après catastrophe : gel des cultures ou sécheresses… afin d’estimer le montant indemnitaire. Elles se réfèrent à l’indice national de production de prairie (IPP) d’Airbus, validé par le ministère de l’agriculture et établi sur la base d’un historique de production des vingt dernières années. L’indice renseigne si l’année est en excès ou en carence de production.

Pour rendre la data Copernicus plus lisible, le CNES utilise sa plateforme PEPS qui permet d’accéder à une bibliothèque d’images et de logiciels pour les traiter.

L’objectif du CNES est d’intégrer le maximum de données satellitaires collectées dans un large éventail d’outils numériques à forte plus-value pour leurs utilisateurs, une mission facilitée par la gratuité des services Copernicus.

Les promesses du recours aux satellites en agriculture

L’imagerie satellitaire modifie considérablement l’approche culturale et ouvre de nouvelles perspectives pour les agriculteurs sur lesquels pèsent un double objectif de durabilité et de rentabilité.

L’agriculture de précision ne concerne pas seulement l’optimisation des ressources ou des intrants, c’est aussi une assistance à la récolte et au guidage d’engins. Le dispositif satellitaire garantit à l’agriculteur 100% de recouvrement que ce soit pour le semis, l’irrigation ou l’épandage phytosanitaire. Couplé avec l’achat de prévisions météorologiques précises, il promet encore une amélioration de la production.

Les satellites Spot et Pléiades, ancêtres de Copernicus, promettaient déjà de partager avec les agriculteurs français cette vue « élargie » de leurs surfaces exploitées. Mais le programme Copernicus réserve deux des six satellites à l’usage agricole. D’autres pays utilisent leurs programmes satellitaires pour aider leurs agriculteurs, à l’image du programme américain Landsat qui prévoit le lancement d’un neuvième satellite le 16 septembre prochain.

La France est plutôt en avance en matière d’agriculture de précision, selon Emmanuelle Paganelli, chargée du programme d’expertise agronomique Farmstar au sein d’Airbus. Né en 1990, d’une collaboration Arvalis-Airbus, ce programme combine l’imagerie en provenance des satellites avec des données agronomiques collectées sur le terrain pour apporter du conseil sur la fertilisation. Très innovant dans les années 90, ce programme Airbus couvre aujourd’hui 630.000 hectares. La clientèle, initialement composée de quelques agriculteurs et coopératives, compte désormais les chambres d’agriculture et de nombreuses coopératives ou groupements agricoles.

L’imagerie satellitaire ouvre aussi la voie à une meilleure maîtrise de la production alimentaire pour prévenir l’insécurité alimentaire. Ainsi, NASA Harvest, détenteur de données satellitaires, s’est associé avec CropX, une startup isarélienne qui collecte des données sur les sols.

Les différentes applications de l’imagerie spatiale démontrent son fort potentiel vis-à-vis de l’agriculture.

Sur la problématique de l’irrigation, le projet Maiseo, mené par la coopérative Vivadour, a permis d’économiser 20% d’eau à rendement égal pour des cultures de maïs. Ces résultats laissent espérer de belles perspectives pour ces solutions, une fois déployées à plus grande échelle. La technologie permet de surveiller l’évolution thermique et visuelle de la plante pour programmer son besoin en eau et prévenir son jaunissement. La France et l’Inde préparent le lancement du satellite Trishna qui disposera de capteurs optiques et thermiques pour proposer ce service de surveillance et de prévision. Enrichi de données météorologiques, la solution préconisera des périodes d’irrigation. La mise en orbite est prévue pour 2025.

La limite de ce service satellitaire réside dans l’investissement en temps, en connaissances et en outils digitaux pour l’exploitant alors qu’il a aussi à sa disposition des solutions intermédiaires comme les drones. Leur usage ne requiert pas de tiers même si la réglementation à leur égard se durcit (autorisation de survol).

Cartographier les plantes aquatiques grâce à des images satellites et des algorithmes

L’agriculture a aussi besoin de données indirectes qui renseignent les exploitants sur l’évolution des ressources planétaires et sur les phénomènes impactants pour les cultures. La gestion de la ressource hydrique en fait partie.

Des chercheurs ont mis au point une méthode de mesure de la couverture végétale en milieu aquatique grâce à de l’imagerie satellitaire. Jusqu’à présent, les images étaient collectées par avion ou drone et retranscrites en données cartographiques.

Ce groupe de recherche est composé de chercheurs issus de plusieurs entités publiques et privées :

  • Le laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement de Toulouse (CNRS) ;
  • Le laboratoire géoscience environnement Toulouse (CNRS, IRD, Université Toulouse III/CNAP et CNES) ;
  • L’unité mixte de recherche Dynafor.

Grâce au satellite Pléiade, ils ont photographié, depuis le ciel, les plantes aquatiques et restitué une cartographie par algorithme, des résultats publiés dans le journal Water Research. Concrètement ce sont 800 repères placés dans la Garonne, aux abords de Toulouse, puis photographiés par le satellite, qui ont permis aux chercheurs de concevoir la formule algorithmique pour lier l’imagerie spatiale à la réalité du terrain. La marge d’erreur est de 11% mais le système permet de scanner d’importantes surfaces, et surtout, de renseigner les gestionnaires de ces zones aquatiques.

Les chercheurs attendent de pouvoir mettre en application leur algorithme sur d’autres cours d’eau même s’ils doivent encore améliorer l’outil, notamment en raison des variations de profondeur des cours d’eau dues aux pluies intenses.

Les herbiers en milieu aquatique servent d’habitat (ponte, nourriture…) mais aussi de filtres en retenant les sédiments. Ils sont bénéfiques au milieu aquatique jusqu’à une certaine densité, au-delà, ils peuvent gêner l’activité humaine et le fonctionnement des barrages électriques. Leur arrachage se fait mécaniquement ou manuellement.

Le suivi de ces milieux aquatiques sera donc grandement facilité par l’imagerie spatiale.

Les satellites offrent de belles perspectives pour le milieu agricole, à condition de traduire ces données pour en faciliter l’usage par les professionnels du secteur.

La marge de progression scientifique est importante, les progrès en termes de capture de la data et de modélisation de celle-ci est un formidable levier d’innovation soutenu par une amélioration constante de la qualité des images.

Source : techniques-ingenieur.fr, futura-sciences.com