La déforestation du Cameroun s’accélère au profit de la culture intensive du palmier à huile et au détriment des Pygmées dont la forêt constitue l’habitat principal. Désarmée et peu organisée jusqu’à aujourd’hui, cette communauté tente de résister à cette agro-industrie dévoreuse de forêts.
En 2020, la forêt primaire humide a cédé 100.000 hectares aux cultures de palmiers à huile et l’exportation de grumes a sextuplé en 10 ans. Les tribus Baka, Bagyeli, Bedzang et Bakola comptent sur l’éducation des générations futures pour préserver leur habitat et organiser un écosystème résistant et viable.
Nomédjoh, village situé dans la partie Est du pays, dispose d’une infrastructure d’enseignement dans laquelle des adolescents rêvent d’un avenir professionnel brillant (médecin, militaire, enseignant…) mais s’inquiètent aussi de voir leur famille touchée par la destruction de cette forêt. Emmanuel Essoko, élève issu de la tribu Baka, veut devenir maire pour protéger cet environnement qui fournit aux siens des ressources issues de chasses, de cueillettes ou de pêches.
En l’absence de recensement officiel, on estime que la communauté pygmée compte 120.000 membres, ce qui représente 0,4% du peuple camerounais. Leur sédentarisation par campement de 10 à 100 individus est remise en question par les grands projets agro-industriels.
Les populations locales constatent que la faune et certaines essences de bois se raréfient. La redevance forestière annuelle, collectée auprès des exploitants de forêt pour compenser cette dégradation, n’est pas redistribuée aux intéressés selon l’ONG Forêts et Développement rural (FODER).
Les autochtones ne servent que de prétexte à cette collecte de taxe, ils sont tenus à l’écart des concertations préalables aux grands projets alors qu’ils connaissent parfaitement l’écosystème forestier, ajoute un chef de campement bagyeli.
Apprendre à la jeunesse à défendre ses intérêts
Il faut dire que cette mise à l’écart est facilitée par l’absence d’organisation des populations pygmées, peu scolarisées et absentes des instances représentatives du pays. Charles Madjoka, président de l’association des représentants Bagyeli de la région sud, regrette que les populations ne fassent pas valoir leurs droits lorsqu’elles sont chassées de leurs terres ou qu’elles bradent leurs exploitations pour des montants dérisoires et sans contrepartie.
Nelli Ntsam, 16 ans, est élève au foyer Notre-Dame de la Forêt, un des principaux sites de scolarisation. Elle confirme que dans son entourage, la majorité ne sait pas lire ou écrire et craint les autorités locales. En attendant, elle projette de devenir infirmière et de valoriser les vertus des plantes de la forêt tout en sensibilisant le monde à la cause pygmée à travers les réseaux sociaux.
La jeunesse est consciente de l’exploitation abusive des propriétaires terriens qui contraignent les Pygmées à travailler en échange de nourriture (riz, sel, huile…), cigarettes ou alcool. Les tribus de la forêt détruisent leur propre habitat pour le compte de riches exploitants sans aucune rétribution financière.
Depuis une vingtaine d’années, Jean-Paul Gouffo, pasteur de la mission chrétienne internationale, motive les populations à développer l’élevage, l’agriculture, l’apiculture et la pisciculture pour organiser la vie économique de ces tribus et créer des espaces exploités protégés. Un projet de collège agricole, financé par des mécènes, est en route. Il forme des jeunes bakas aux techniques d’exploitation agricole, avec l’espoir qu’ils poursuivent cette activité comme support de développement de leur propre communauté.
Le chemin vers l’enseignement généralisé est encore long. Au foyer Notre-Dame de la Forêt (Fondaf), les familles peinent à régler les 8 euros annuels dédiés aux frais d’internat demandés par la direction. L’implication des parents est un prérequis à la réussite du projet éducatif. Parmi la jeunesse, de futurs leaders pourront peut-être peser sur les décisions politiques et économiques du pays dans les 20 prochaines années, et sauver ce qu’il reste de la forêt.
Recenser les ressources son territoire pour le protéger
Les Baka et Bagyeli commencent un fastidieux travail de recensement des
parcelles grâce au GPS avec l’objectif d’établir une cartographie participative.
Regroupés autour des cartes, ils désignent tour à tour les rivières, forêts et parcelles qu’ils reconnaissent comme pour confirmer leur droit sur ces sols.
En tout, ce sont près de 2000 hectares de forêt scannée et chérie pour ce qu’elle offre à ses habitants. Elle soigne, nourrit et finance leur vie. Cette reconnaissance géographique permet une reconnaissance géopolitique. Les Baka ne se laissent plus chasser de leurs terres par les Bantous.
Ces opérations de cartographie sont en partie rendues possibles grâce à Rainforest Foundation, une ONG qui a lancé un programme de formation au Cameroun et en République du Congo. 7000 cartographes ont ainsi été formés à l’exercice et définissent les zones à épargner pour préserver les autochtones, une forme de résistance à l’accaparement sauvage du foncier. La procédure comprend une reconnaissance de terrain en présence des populations, croisée avec une localisation GPS. A partir de ce travail, une carte provisoire est soumise à la population puis à la validation des autorités.
Certains villages, comme celui de Nomédjoh au Cameroun, ont même obtenu le droit d’exploitation sur des forêts communautaires cédées par l’Etat. D’autres, comme Assok, dans le sud, cherchent à reconstituer l’écosystème forestier détruit.
Même si ces cartes ne sont pas encore prises en compte par les services fonciers publics, la reconnaissance publique permet de justifier de l’existence de communautés et de ressources dans des zones menacées par des projets d’ampleur.
La forêt soigne
Au Cameroun, la forêt est guérisseuse. Les autochtones y trouvent des extraits de feuilles, d’écorces et de fruits qui soignent leurs maux.
Dans le campement Bagyeli de Bella, au sud du Cameroun, Jean Bihiya, surnommé « Docta », cherche les matières premières nécessaires à la confection de potions. Stérilité, fièvre, dents, cœur…, tout le Cameroun compte sur ce guérisseur pour ses problèmes de santé. Sève, tiges, racines ou feuilles remplacent les comprimés. Ces dernières années, Docta peine à trouver certaines essences sauf à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres.
Le parcours du malade comprend en général une première étape d’automédication à base de plantes puis une consultation chez un tradipraticien comme Docta. Les centres de santé sont trop éloignés des communautés de la forêt.
François Bingono, anthropologue et porte-parole africain des tradithérapeutes, regrette que ce savoir-faire n’inspire pas les médecines modernes. Pour traiter les nombreuses pathologies, la médecine traditionnelle dispose d’environ 500 espèces de plantes.
Le Moabi, par exemple, est un arbre vénéré aussi connu sous son nom scientifique Baillonella Toxisperma. Mature à 50 ans, il atteint les 70 mètres de haut à 600 ans et procure graine, fruits, écorces ou feuilles dont sont extraits des huiles, beurres et traitements contre la typhoïde, le paludisme, l’empoisonnement… Malheureusement cet arbre fait partie des essences les plus exploitées pour la qualité de son bois et disparaît du paysage camerounais.
Selon Achille Wankeu du Centre pour l’environnement et le développement (CED), le Moabi fait partie des quelques espèces exportées alors que la forêt en compte une centaine d’autres commercialisables et moins utiles à la pharmacopée. Pour cet analyste, un recensement des essences exportables est indispensable à la préservation du rôle de la forêt, d’autant qu’une partie des bois exploités sont abandonnés.
Jusqu’à présent la forêt joue le jeu de la durabilité en offrant à sa population des soins gratuits. En échange, la population prélève raisonnablement les ressources nécessaires à sa survie. Ce modèle durable, encensé par les instances internationales, est mis en péril. A Soumbele, près de la frontière congolaise, Daniel Dindo, atteint de paludisme, ne trouve plus les écorces et les feuilles nécessaires à son traitement. Il craint pour l’avenir de sa communauté dont le niveau de vie ne permet pas d’accéder à des soins payants.
La guerre aux palmiers à huile
Les Bagyeli ont décidé d’entrer en résistance face à l’industrie du palmier à huile, notamment par des actions à l’encontre de Cameroun Vert (Camvert) dont les projets sont qualifiés d’écocide par Greenpeace.
Dans la région de Campo, la forêt a cédé la place à des étendues de palmiers à huile à perte de vue. A terme, le projet couvrira 60.000 hectares au grand désarroi des locaux qui chassent ou récoltent le miel dans cette zone.
D’autres effets se font ressentir, les éléphants du Parc national de Campo-Ma’an, chassés de leur habitat, se rabattent sur les espaces cultivés avec des risques accrus d’attaques en raison de la proximité entre l’homme et l’animal.
Mathieu Massamela qui vit dans l’un des campements bagyeli, explique que son champ va jouxter l’exploitation de Camvert. Il n’aura plus de forêt pour chasser, ses cultures ne bénéficieront plus de la biodiversité environnante. Et pourtant, comme les autres, il a accepté le riz, le poisson et les promesses de développement du porteur de projet.
Les ONG alertent sur la gestion de ce dossier Camvert. L’Etat camerounais a déclassé les 60.000 hectares de forêt au profit de l’agro-industriel sans déterminer l’intérêt public du projet et avant la production du rapport d’impact environnemental.
La société Camvert assure qu’elle agit en toute légalité et en accord avec les populations qui se verront attribuer 5000 hectares de plantations financées par l’entreprise. En effet, le Ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncières a donné son accord pour l’exploitation des premiers hectares du projet, sans toutefois attendre la dérogation spéciale accordée par le Président de la république.
En attendant, la forêt disparaît et, avec elle, les chances de survie de ses habitants.
Des ONG ont visité des exploitations existantes de palmiers à huile, en compagnie de tribus bagyeli et bantou, pour mesurer les impacts de cette agro-industrie sur les habitats forestiers. Les populations soumises à ces exploitations n’ont quasiment plus de bois pour cuisiner.
Selon un visiteur bantou, chef traditionnel, cette visite est traumatisante et inquiétante pour l’avenir de sa propre communauté mais il dit être menacé et ne pas disposer des ressources pour s’opposer à des projets de l’ampleur de celui de Camvert. Une impuissance fataliste qui se répète d’un village à l’autre.
Certes, Camvert a financé des routes, de l’emploi, une école mais pour un avenir incertain y compris pour la faune. A Ebodjé, sur la côte océanique, les tortues marines sont menacées par les éventuels rejets de produits chimiques utilisés pour la culture des palmiers à huile.
Quelques villageois ont saisi le Comité des Nations Unies quant à la discrimination raciale dont ils sont victimes et ont déposé une requête auprès des domaines pour l’annulation du déclassement des zones forestières.
Les Pygmés espèrent encore convaincre que leur peuple n’est rien sans sa forêt et ce malgré les aménagements compensatoires proposés par les agro-industriels. Une marche symbolique est prévue en direction du palais présidentiel de Paul Biya, en fonction depuis 39 ans.
Source : Le Monde