La 42e édition de la conférence sur la transformation des systèmes agroalimentaires organisée par la FAO s’est tenue en mai 2021. Cette session était dédiée à l’élaboration de stratégies et d’actions concrètes. Pénurie, famine ou malnutrition frappaient déjà les populations avant la pandémie. La crise du Covid n’a fait qu’aggraver la situation ajoutant aux malheurs un écosystème meurtri par l’homme et le changement climatique. L’objectif de la FA0 est d’élaborer un nouveau mode de production plus durable en matière de nouvelles pratiques, de nutrition, d’environnement et de vie des populations. La FAO appuie sa nouvelle stratégie sur les dernières avancées technologiques : enrichissement des connaissances par la data et la modélisation, évolution des technologies et progrès en matière de bonne gouvernance. Si le progrès technologique autorise l’adoption d’ ambitieux projets, une réflexion autour d’un nouvel écosystème agroalimentaire semble incontournable pour espérer de meilleures perspectives alimentaires.
Malgré la préoccupation des instances internationales vis à vis de la faim et les diverses initiatives engagées, plusieurs centaines de millions de personnes en souffrent, sans parler de l’effet aggravant de la pandémie qui sévit depuis 2020.
Le constat est que le système mondial produit suffisamment de denrées alimentaires mal réparties entre des populations sur ou sous-alimentées, provoquant carences et surpoids. Les experts s’accordent sur l’inquiétante accélération du phénomène de dégradation de la sécurité et de la qualité alimentaire à la fois en nombre d’individus touchés et dans l’élargissement des catégories socio-démographiques concernées.
Le système agroalimentaire mondial expose ses faiblesses : 14% des denrées sont perdues et 17% gaspillés tandis que sa stabilité est menacée par le stress hydrique, les ravageurs, les maladies, les catastrophes, les conflits et la perte de biodiversité.
Qu’appelle-t-on un système agroalimentaire ?
Il concerne le circuit des denrées alimentaires tels que légumes, céréales, poissons, fruits et viande depuis leur lieu de production jusqu’au lieu de consommation :
- Culture ;
- Récolte ;
- Transformation ;
- Conditionnement ;
- Transport ;
- Distribution ;
- Commercialisation ;
- Achat, préparation, consommation et élimination.
Le système agroalimentaire embrasse aussi les activités connexes comme l’élevage, la consommation de ressources, la gestion des forêts…pour produire d’autres denrées, non alimentaires.
La FAO considère désormais le système agroalimentaire comme un élément indissociable d’une transition durable vers une population productive, alimentée et rémunérée au sein d’une biodiversité préservée.
L’amélioration de la productivité est favorisée par l’effet combiné de la connaissance et du progrès technologique. L’optimisation consiste en une moindre consommation des ressources pour une même production et un accès facilité aux échanges grâce à la technologie digitale.
En parallèle le système agroalimentaire intègre d’autres leviers comme les biotechnologies ou des pratiques agricoles alternatives :
- Agriculture de conservation ;
- Agriculture intégrée ;
- Agriculture de précision ;
- Agroforesterie;
- Agroécologie.
La technologie digitale, qui offre les plateformes de logistique, de distribution et de commerce en ligne, est aussi clivante, entre les producteurs riches ou formés et les autres. Ce risque est à prendre en compte dans l’élaboration des futures politiques agricoles, notamment lorsqu’elles prévoient l’intégration du numérique dans les systèmes agroalimentaires.
De la même façon, les mesures sanitaires nécessaires à la protection des populations, peuvent constituer, pour certains producteurs, un frein à la commercialisation des denrées.
La facilitation des échanges n’est pas qu’une question de sécurité financière pour les producteurs, c’est aussi un pas vers plus de sécurité alimentaire, en évitant notamment les pertes de denrées dues à la méconnaissance de la demande.
Le système agroalimentaire est donc un levier important d’actions pour :
- Garantir la fourniture suffisante de denrées alimentaires ;
- Rémunérer à leur juste valeur les producteurs ;
- Attirer l’investissement qui financera la transition
Les facteurs influents
Ces facteurs peuvent peser sur l’offre et la demande, le contexte économique, l’accès à la nourriture, la subsistance, le processus de production et les ressources naturelles.
Démographie et urbanisation
Sur un plan général, l’accroissement de la population augmente la tension sur la demande de denrées alimentaires, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Mais d’autres facteurs plus qualifiés influencent aussi les systèmes agroalimentaires :
- Le vieillissement en zone rurale productrice ;
- La consommation croissante en zone urbaine ;
- Le déséquilibre homme/femme provoqué par les conflits ou l’exode urbain forcé….
L’ONU prévoit une urbanisation croissante de 53% à 70% entre 2020 et 2050. Associée à l’augmentation démographique, elle sera défavorable à la sécurité alimentaire, à la préservation des espaces naturels et au vivier d’emplois.
Changement climatique
L’activité économique, dont l’agriculture, est responsable d’une grande partie des émissions de GES et de la dégradation de l’écosystème (ressources, intrants chimiques) qui nuit en retour aux capacités du système agroalimentaire et facilite les pénuries alimentaires.
Au sud de l’Amérique latine, les producteurs doivent composer avec le stress hydrique et, dans le monde, les populations côtières affrontent déjà l’élévation du niveau des océans ainsi que leur réchauffement et acidification, sans oublier la multiplication des ouragans et autres événements climatiques.
L’agroalimentaire engendre aussi la déforestation et la consommation d’énergie fossile dont la combustion émet des GES nocifs au climat.
Les quelques optimisations des pratiques agricoles ne satisfont pas. Selon le GIEC, l’absence de transition réelle des pratiques va inexorablement conduire la planète vers un réchauffement de 1,5 degré. La décarbonation, sous forme de rachat de crédits, autorise les acteurs de la chaîne de production et de distribution à poursuivre leurs activités, en compensant.
Croissance économique
La croissance économique contribue à réduire la pauvreté, à condition d’une réelle distribution des fruits de celle-ci. L’Afrique subsaharienne est en forte croissance depuis vingt ans mais son modèle économique, inchangé, ne permet pas un bénéfice équitablement réparti.
L’Afrique subsaharienne, par exemple, attend toujours une transformation économique profonde malgré la très forte croissance qu’elle a connue ces deux dernières décennies. Et la pandémie persistante gèle d’autant les opportunités de transition.
Les économistes prédisent que, faute de transformation des systèmes vers des dispositifs plus redistributifs, l’économie mondiale connaîtra une récession d’ici 2030 avec une réduction des opportunités d’emploi et, par ricochet, des dépenses des ménages. Une perspective qui ralentit d’autant l’attraction du système agroalimentaire vis-à-vis des investisseurs.
Même si les pays compensent leurs déficits par les échanges et les importations de denrées essentielles, la suffisance alimentaire est le pilier des États et de leur stabilité à bien des égards. Les rapports de la FAO sur la faim dans le monde mettent en évidence un lien entre les pays en insécurité alimentaire et leur faible capacité de production. Ainsi 80% des pays dégradés sur ce plan n’ont pas leur indépendance alimentaire et, pour les moins structurés publiquement, cette situation alimente des flux financiers illicites au détriment des populations. Les accords commerciaux sont donc une réponse à la pénurie de denrées mais ils entretiennent aussi une interdépendance qui ralentit la mise en place de nouvelles politiques de transition pour les pays importateurs et entame leur souveraineté économique et politique.
De plus, les plateformes de mégadonnées qui soutiennent logistiquement ces échanges internationaux sont aussi perçues comme une menace, elles offrent à certains des informations de consommation indisponibles pour les plus petits acteurs du système agroalimentaire. La FAO engage les États à encadrer les dispositifs de collectes et traitements et à sensibiliser leur population sur la consommation et la nutrition.
Les conflits
Les zones soumises à des conflits liés à la quête de ressources et de terres sont les plus concernées par la défaillance des systèmes agroalimentaires. Dans 40 à 60% des cas, les ressources naturelles seraient elles-mêmes le moteur de ces conflits qui affament les populations et intensifient l’attractivité de ces mêmes ressources, un cercle vicieux.
Les populations touchées sont, de plus, « abandonnées » sur le plan sociétal et ne disposent pas de soutien économique ou de protection sociale. Leur résilience endémique atteint sa limite et leur situation se dégrade jusqu’à un point de non retour.
Pour la FAO, l’extrême urgence concerne ces pays où les facteurs se cumulent. Les actions doivent permettre de renforcer l’indépendance des populations en leur offrant la capacité à rebondir, appuyées par des structures et de la formation. Or, aujourd’hui, toutes les institutions notent, au contraire, une diminution dans les investissements publics engagés, notamment pour soutenir et dynamiser les systèmes agroalimentaires locaux. Et la course (bio)technologique creuse le fossé entre les gros acteurs, attractifs pour les investisseurs, et les autres.
Il existe toutefois quelques éléments prometteurs, comme « l’économie bleue » qui regroupe toutes les activités liées aux océans et qui occupe une place grandissante dans les politiques des petits États insulaires ou des États disposant de vastes espaces de pêche. Une opportunité à ne pas gâcher. Selon le GIEC, l’industrie océanique peut jouer en faveur d’une réduction des émissions de GES et l’aquaculture peut s’avérer providentielle si les installations sont exploitées durablement (alimentation animale, consommation des ressources,….).
La FAO estime que d’ici 2030, le taux de malnutrition doit être ramené à 5% et que l’accès à la nourriture saine est un élément central, particulièrement pour les enfants dont la situation est alarmante :
- 7% souffrent d’émaciation ;
- 5,6% sont en surpoids.
L’agroalimentaire est le système économique le plus enraciné dans la société, au niveau des emplois, des revenus et des interactions environnementales. La majorité des 700 millions d’individus privés de nourriture travaillent pourtant à la production de denrées dont la chaîne de valeurs leur échappe.
Stratégie de transition
Dans sa feuille de route, la FAO articule sa stratégie autour de l’amélioration de quatre pierres angulaires du système : production, nutrition, environnement et conditions de vie pour contribuer à certains ODD :
- ODD 1 Réduction de la pauvreté
- ODD 2 Faim « zéro »
- ODD 10 Réduction des inégalités
La stratégie prend appui sur des catalyseurs tels que la technologie, l’innovation, les données, le capital humain et les institutions.
Les producteurs peuvent, par exemple, limiter le recours aux intrants s’ils connaissent mieux leur exploitation grâce à l’intelligence artificielle. Les moyens de communication en temps réel sont aussi une opportunité en facilitant l’écoulement des denrées produites. Et enfin, l’évolution des services aux agriculteurs (financements durables, coopératives inclusives…) peut accélérer les transitions vitales pour une agriculture vivrière, très répandue dans les pays touchés par l’insécurité alimentaire.
Pour travailler, la FAO s’appuie sur sa plateforme géospatiale et son laboratoire de megadonnées qui lui permettent de croiser des informations sociales, économiques et alimentaires. Elle peut, par exemple, orienter ses actions et ses investissements selon l’identification de zones où la part de ressource hydrique réservé à l’agriculture est trop basse.
Pour espérer aboutir, la FAO doit compter sur des gouvernances nationales fortes et transparentes qui s’assurent de la capacité des populations à agir, sans exclusion de sexe, de condition sociale ou d’accès à la formation.
Une vingtaine de priorités ont été identifiées par la FAO pour élaborer des actions à entreprendre dans l’optique d’améliorer la production, la nutrition, l’environnement et les moyens de subsistance.
La transformation numérique
Dans le cadre de l’initiative « Intelligence artificielle, nourriture pour tous », la FAO va sélectionner un millier de villages destinés à être équipés d’un centre numérique. L’implantation de ces nouveaux outils permettra d’améliorer l’inclusion de ces zones et favorisera leur développement par un commerce facilité. Le circuit entre les besoins urbains et les offres rurales sera plus court et efficace. Les femmes seront associées au projet, notamment par une formation aux outils numériques, ces mêmes outils qui devraient susciter l’intérêt de la jeunesse qui déserte le monde agricole et rural. Un village deviendra le point de développement des autres villages. Sa sélection s’effectuera grâce aux data collectées par la plateforme géospatiale et le laboratoire de données. Le projet s’inspirera de Villages intelligents, une initiative déjà déployée au Niger.
La priorité sera de dématérialiser une partie de l’écosystème agricole : la gestion, le social, le financier, les assurances, la formation, l’écotourisme et la commercialisation, puis d’apporter la numérisation au niveau de l’exploitation des cultures (agriculture intelligente).
En facilitant le lien entre producteurs et consommateurs, le risque de perte et de dégradation sanitaire diminue et les moyens de subsistance s’améliorent. Par ailleurs, l’image du producteur en tant qu’acteur entrepreneurial du territoire est valorisée.
Le potentiel aquacole
A son apogée dans les années 90, la pêche ne faiblit pas mais l’aquaculture est venue grandement soutenir ce secteur de « l’économie bleue » et en deviendra peut-être la locomotive.
L’action consiste à accompagner ce développement pour faire de cette activité, un maillon fort du système agroalimentaire tout en s’assurant du respect des objectifs, entre une intensification durable de l’aquaculture et une pêche respectueuse des ressources halieutiques.
Les océans restent fragilisés, y compris par des activités non agroalimentaires, comme les forages et les travaux sous-marins, qui dégradent leur faune et leur flore.
Sur le plan environnemental, le ratio protéine-pollution est meilleur dans l’élevage de poisson que dans celui du bétail : le kilo d’alimentation animale produit un kilo de poisson contre 150 à 280 grammes de viande animale.
Partager l’espace, entre ruraux et urbains
La FAO rappelle l’importance de la préservation des espaces verts et agricoles dans les plans d’extension des zones urbaines. A surface égale, le changement climatique réduit déjà sa capacité productive.
Agricultures urbaines, périurbaines, rurales et forêts sont des remparts contre les crises sanitaires et agricoles. La FAO a lancé le programme Villes Vertes, qui vise à faciliter et favoriser l’accès à des produits ou services verts issus des systèmes forestiers et agricoles. D’ici 2025, la FAO compte appliquer cette initiative à 15 métropoles et 90 villes petites ou moyennes.
Elle met déjà son expertise aux services de pays dont la situation économique et alimentaire freine la transformation en profondeur des systèmes agroalimentaires. Elle apporte ses connaissances et fait un diagnostic des inégalités locales pour faciliter la prise de décision des gouvernants et viabiliser les politiques.
En conclusion, si l’écosystème agroalimentaire est le plus à même de résoudre les maux dont souffre une partie de la population mondiale, il est aussi le plus impacté par une multitude de facteurs, humains ou environnementaux, qu’il faut maîtriser localement mais exploiter à une échelle mondiale et collective pour espérer aboutir à une production alimentaire respectueuse, rémunératrice et distribuée équitablement.
Source : FAO