Comme beaucoup de secteurs, la pêche connaît des difficultés du fait de la pandémie. Selon leur taille, les pêcheurs ne sont pas tous logés à la même enseigne. Les navires industriels semblent s’affranchir des règles pour augmenter les captures tandis que les petits pêcheurs locaux sont contraints de rester à terre, par restriction sanitaire et d’assister, impuissants, à l’épuisement des ressources halieutiques. Entre crise sanitaire et concurrence déloyale, les petits pêcheurs ont peu de moyens d’action. Ils attendent toutefois plus de transparence de la part de leurs dirigeants mais trouvent, cependant, un appui auprès des ONG environnementales.
Les vendeurs du marché aux poissons de Soumbédioune, au Sénégal, sont de ceux-là. Si certains rapportent encore quelques poulpes, carpes ou dorades, les clients ne sont pas au rendez-vous. Certains avancent qu’ils vendaient jusqu’à 200 kilos de marchandises quotidiennement, notamment aux usines de Dakar qui, habituellement, transforment et expédient les produits halieutiques. Celles-ci ont dû freiner leurs exportations en raison des fermetures de frontières.
Pour le Sénégal, les exportations liées à aux produits frais issus de la pêche représentent 16% des exportations totales et une rentrée non négligeable de devises. Le coup de frein sur l’activité fait chuter le PIB, impacte les emplois et affecte directement la capacité du pays à importer.
Les sociétés de distribution importantes achetaient les pêches aux bateaux industriels chinois ou espagnols. Chaque débarquement pouvait rapporter plusieurs milliers d’euros. Les produits étaient exportés vers le Bénin, le Mali mais aussi par voie aérienne vers l’Espagne. Cette baisse d’activité impacte toute la chaîne avec des réductions d’effectifs au niveau des usines de transformation mais aussi des sociétés de logistique et des services aéroportuaires.
Le Sénégal estime que la pandémie a supprimé 600.000 emplois directs ou indirects, elle affecte particulièrement la situation des informels qui vivent au jour le jour. Pour eux, sans épargne, la situation est critique. En 2020, le Président du Sénégal, Macky Sall, avait débloqué un fonds de 1,5 millions d’euros, abondé par le Fonds monétaire international (FMI) à hauteur de 400 millions d’euros, pour venir en aide à tous les secteurs touchés par la crise dont celui de la pêche. Ce soutien officiel, s’il est salvateur, ne parvient toutefois pas jusqu’au secteur de l’informel qui, par définition, reste en dehors du maillage économique recensé.
Si cette pandémie bouscule les équilibres économiques, elle ne fait que s’ajouter à d’autres dysfonctionnements du secteur de la pêche, moins visibles mais plus déstabilisants.
La pêche illégale
Pour certains pays africains, la lutte contre la pêche illégale est une mission rendue difficile par la faiblesse des moyens disponibles.
En Gambie, par exemple, l’ONG Sea Shepherd, vouée à la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité, apporte son aide au pays pour lutter contre ce fléau. Ils sont une petite dizaine de pays africains à faire appel à l’ONG pour jouer l’avant-poste de la police maritime : le Gabon, la Gambie, l’État insulaire de Sao Tomé-et-Principe, le Liberia, la Tanzanie, la Namibie et le Bénin.
L’ONG supporte la politique de contrôle par la mise à disposition de ses propres moyens, un ancien baleinier et des hors-bords pneumatiques, à l’occasion d’opérations de traques nocturnes. Ainsi, elle sillonne l’océan, la nuit venue, en quête de lumières, preuves d’une éventuelle activité illicite de pêche. Son objectif, surprendre des bateaux industriels en activité à moins de neuf milles nautiques de la côte, soit à moins de 16 km des côtes.
En effet, le pays réserve à la pêche traditionnelle et artisanale cette bande côtière pour ses eaux poissonneuses à la jonction entre le fleuve Gambie et le courant des Canaries. L’intrusion illégale de navires industriels dans cette zone réservée met en danger les petits pêcheurs qui utilisent des pirogues mal éclairées, entraîne des dégradations sur leur filet et pille la ressource locale.
L’intervention de l’ONG n’est que préventive et dissuasive car elle ne dispose pas de pouvoirs de police. En cas d’infraction constatée, elle doit demander l’intervention des garde-côtes gambiens qui opèrent sous le contrôle d’un Inspecteur ministériel de la pêche. Armés, ils investissent le navire arraisonné et demandent la relève des filets. L’Inspecteur contrôle alors les mailles des filets, la cargaison en chambre froide et le journal de bord où sont recensées les prises et activités. Ce dernier est souvent incomplet, notamment pour les navires hors-la-loi. Seul le flagrant délit à moins de 9 milles des côtes permet de caractériser l’infraction et de poursuivre les contrevenants. Les pratiques illégales ne concernent pas que les zones ou les quotas de pêche, il y a aussi le braconnage de requins pour leur aileron.
Ces patrouilles nocturnes coûtent 100.000 euros par mois à l’ONG qui tire ses ressources financières de donations. Afin d’optimiser ses actions, l’ONG souhaiterait étendre sa collaboration à d’autres pays, voisins des sept États partenaires. Une patrouille mutualisée serait moins coûteuse et plus efficace, elle limiterait l’effet de report des infractions sur le pays voisin, moins surveillé.
Les interventions de Sea Sheperd, et leur coordination avec les autorités maritimes d’un pays, impliquent la signature d’un contrat. Pour la Gambie ce contrat permet au pays de bénéficier d’une surveillance inaccessible à sa flotte réduite à trois petits navires avec un budget inexistant et des marins parfois sujets au mal de mer.
L’organisation des Nations-unies (ONU) tire un bilan alarmant de la pêche illégale. A elle-seule, elle serait responsable de 40% des poissons capturés en Afrique de l’Ouest.
Les licences de pêche mises en cause
Les pêches illégales sont majoritairement réalisées par des bateaux sous licence. Ils sont donc en règle administrativement mais ne respectent pas les modalités d’exercice de l’activité.
Chaque pays africain concerné par la pêche illégale délivre des licences à ces compagnies qui vont aussi assurer des pêches légales et alimenter l’économie à terre pour les différents acteurs de la filière de distribution, de transformation et de commercialisation. Le pays ne peut pas se passer de cette activité même si les autorités ont connaissance des comportements hors-la-loi de certaines compagnies et de l’épuisement des ressources halieutiques qu’ils induisent.
Le Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (GAIPES) a adressé un courrier au Président sénégalais pour dénoncer des attributions de licences illégales à des compagnies dont les navires ciblent des catégories déjà surexploitées : les espèces pélagiques côtières ou de fond, comme le merlu.
Après enquête, Greenpeace confirme que le Ministère sénégalais de la pêche a récemment octroyé 4 licences à une compagnie chinoise. Des attributions discutables que le Sénégal réfute en avançant qu’il s’agit de renouvellements. Selon l’ONG, l’un des bateaux a obtenu sa « nationalité » sénégalaise en 2020, il ne peut donc pas s’agir d’un renouvellement. De plus, les dossiers de certains navires n’ont pas été soumis à la Commission consultative d’attribution des licences de pêche (CCAL) conformément aux obligations.
D’autres militants écologistes, comme Amadou Scattres Janneh, ancien ministre gambien de l’information, en disgrâce et exilé aux États-Unis, estiment que compte tenu de la faiblesse des contrôles dans cette zone ouest africaine, toute attribution de licence revient à une autorisation de pêche, à la fois légale et illégale.
Sea Sheperd insiste sur l’importance d’une présence dissuasive permanente pour combattre le sentiment d’impunité de certaines compagnies. Les opérations récurrentes qu’elle a menées au large de la Tanzanie ont fini par dissuader les bateaux indésirables et permis aux pêcheurs locaux de retrouver une activité normale en termes de volume et de taille des individus capturés.
Quelques compagnies profitent de la surveillance réduite actuelle en raison de la pandémie pour s’approcher encore plus près des côtes gambiennes. Des bateaux ont été interceptés à moins de 2 kilomètres des plages au lieu des 16 requis.
La menace environnementale
Au-delà des risques économiques, la pêche illégale dégrade la faune marine du golfe de Guinée, du fait principalement d’une surpêche aveugle dans un écosystème marin déjà en danger, selon Greenpeace.
Le golfe de Guinée subit une surpêche depuis plusieurs décennies : d’abord les bateaux industriels japonais et européens dans les années 2000 puis les bateaux usines chinois, turcs et coréens.
L’ONG alerte les pays côtiers, comme le Sénégal, sur le gain réel à autoriser ces pêches industrielles en distribuant de manière opaque des licences à des partenaires peu disposés à respecter les règles du pays. Ainsi, durant le printemps 2020, huit navires chinois sont soupçonnés d’avoir pratiqué une pêche illégale dans la Zone économique exclusive (ZEE) sénégalaise. L’absence de contrôle ne permet pas de connaître leur régularité administrative mais leur comportement traduit une volonté de se soustraire aux règles territoriales : utilisation du même nom pour tous les navires, silence des positions satellitaires, voire modification des données AIS qui renseignent la position réelle du navire de pêche. Ces allégations font suite au constat par l’ONG Greenpeace de positionnement irréaliste d’un même navire d’une compagnie chinoise, localisé au milieu de l’antarctique puis dans le golfe du Mexique à quelques jours d’intervalle tandis qu’il était suspecté de pêcher dans les eaux sénégalaises au même moment.
Ces activités non régulées et non contrôlées vident les eaux de leurs ressources halieutiques et mettent en danger les populations en les privant d’une source alimentaire principale.
Selon le Dr. Aliou Ba, conseiller auprès de Greenpeace, ce pillage alimente la filière de l’alimentation animale, notamment pour la production de farines et d’huiles de poissons. Des pays pauvres, déjà fragilisés par la pandémie, sont ainsi privés de leurs richesses naturelles pour alimenter des animaux de compagnie ou d’élevages dans les pays industrialisés.
Le constat est toujours le même. Les gains financiers obtenus par les pays africains émetteurs de licence de pêche ne sont pas soumis à l’épreuve d’une stratégie durable et les répercussions économiques de cette pêche d’ampleur ne sont pas forcément aux bénéfices des populations locales.
Aujourd’hui, les pêcheurs du village de Kayar, au Sénégal, peinent à ramener des pêches suffisantes. Certaines espèces de poisson se raréfient comme le Pageot, l’espadon ou le yaboy (sardine). Ils ne comprennent pas l’annonce de leur gouvernement qui promet avoir gelé l’attribution des licences. Vrai ou faux, les pêcheurs locaux assistent au pillage des ressources marines par des navires en situation régulière ou non, voire par des bateaux détenus par des sociétés-écrans sénégalaises. Pour les pêcheurs de Kayar, les revenus ont été divisés par deux en quinze ans.
La raréfaction des petits pélagiques, maquereaux, anchois, sardines privent les Sénégalaises de leur source de revenu. Maty Ndao, présidente des femmes transformatrices de Kayar, regrette l’inertie du gouvernement face à cette disparition des ressources.
Tous attendent du gouvernement sénégalais qu’il établisse une stratégie de gestion durable de l’océan et qu’il publie un audit transparent de l’état de la flotte sénégalaise sous licence.
De son côté, Greenpeace a publié un rapport « Mal de mer : pendant que l’Afrique de l’Ouest est verrouillée par le Covid-19, ses eaux restent ouvertes au pillage » qui met à jour les dangers des politiques menées actuellement par les États africains qui donnent sur la façade atlantique. Une conduite irresponsable, facilitée par la pandémie alors qu’elle met en évidence la nécessaire souveraineté alimentaire de chaque pays. Les petits pêcheurs sont privés d’une activité vitale et à faible impact environnemental tandis que les pêcheurs industriels ont tout le loisir de prélever à outrance sans se soucier de la pérennité des ressources halieutiques.
Il reste à espérer que les dispositions environnementales prises dans le cadre de l’accord de libre-échange dans la zone africaine (ZLECAF) s’imposent aux États-membres et les incitent à prendre des mesures plus protectrices envers les territoires et les populations s’ils veulent commercer avec leurs homologues africains.
Sources : Le Monde et France-TV-Info