D’après les chiffres du PNUD, 31 pays à IDH (Indice de développement humain) faible sur 36 se trouvent dans l’espace subsaharien. La région abrite plus de la moitié des pauvres de la planète qui vivent en dessous de 1,90 $ par jour et travaillent dans le domaine de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. L’agriculture étant le pilier des économies africaines, la question est de savoir si une politique d’accroissement durable de la production alimentaire pour faire face à la faim et la pauvreté extrême est en mesure d’améliorer le score des pays africains. Nous pensons que oui.
Certains exemples montrent que nous avons des raisons d’espérer. Ainsi les projets d’agriculture climato-intelligente au Mali et au Cameroun facilitent l’émergence de villages amis de la nature. En Éthiopie, les potagers agroécologiques libèrent le potentiel des femmes rurales, réduisent les inégalités sociales et ouvrent le chemin d’une meilleure nutrition.
La sécurité alimentaire au-delà des traumatismes écologiques
La première mission de l’agriculture consiste à s’assurer que ceux qui cultivent et exploitent la terre en retirent une nourriture suffisante et parviennent à ravitailler correctement le marché. L’Afrique est loin du compte, puisque 2,3 habitants sur 10 y souffrent d’une sous-alimentation chronique, alors que 1,28 milliard de personnes pâtissent d’une insécurité alimentaire modérée (FAO, 2019) alors que le continent est pourtant considéré comme un bassin céréalier majeur de la planète.
La représentation de l’Afrique comme une terre d’abondance aux ressources illimitées ne serait-elle donc qu’un mythe ? Doit-on prêter foi à l’avenir d’un développement fondé sur la croissance agricole ? À l’heure où le changement climatique s’aggrave, où la sécheresse grignote plus d’hectares de terres et où les organisations environnementales appellent à la sanctuarisation des espaces naturels, l’équation alimentaire de l’Afrique n’a jamais été aussi complexe.
Bien qu’elle soit difficilement conciliable avec la préservation des sols et des écosystèmes, la résurrection de la productivité agricole est la voie royale pour jeter les graines d’un développement égalitaire et équitable.
Dépasser les arguments anti-productivistes
Les discours alarmistes sur la disparition de la biodiversité vont maintenant bon train, remettant en cause l’avenir des fermes agro-industrielles mécanisées et grandes consommatrices d’engrais chimiques et de pesticides. « Une agriculture qui ne peut produire sans détruire porte en elle les germes de sa propre destruction », nous fait remarquer Pierre Rhabi. Mais si les limites de l’agrochimie sont évidentes, ne tombons pas dans le piège de la doctrine anti-productiviste. L’idée du biologiste américain Edward O. Wilson, qui encourage à restituer 50 % des surfaces habitables à la nature afin de protéger 85 % de la faune et de la flore sauvage, va à l’encontre de la souveraineté alimentaire.
Une agriculture raisonnée et résiliente
La gestion responsable des sols, des forêts et des ressources en eau est une thématique dominante des politiques agricoles. Dans le cadre de la réduction de l’empreinte carbone, les pratiques de production intelligentes donnent le ton. Elles incluent la sylviculture douce, l’exploitation des énergies renouvelables et l’agroécologie. D’après Graziana Da Salva, le directeur en chef de la FAO, « l’agriculture intelligente face au climat apparaît comme un moyen d’augmenter la production alimentaire tout en s’adaptant aux changements climatiques, de façon à réduire et éliminer les émissions de gaz à effet de serre ». Des expériences couronnées de succès au Cameroun, en Ouganda, au Mali et en Éthiopie sont là pour le prouver.
Quand l’agriculture joue la carte des énergies vertes
Dans le Cameroun méridional, 500 producteurs de Ngoulemakong ont découvert en 2018 l’art du séchage à l’énergie solaire. Auparavant, ils étaient obligés de brader le manioc durant la période d’abondance. L’apparition des séchoirs solaires a permis de conserver les récoltes et de les vendre à un prix plus rémunérateur, tandis que les distributeurs de matériels solaires ont accès à un marché de proximité. La culture du manioc s’inscrit dans une économie solidaire : peu de pertes, moins d’émissions de carbone, le circuit d’acheminement des produits ne franchissant pas la limite de la commune.
Une expérience analogue est rapportée au Buganda, un royaume dépendant de l’Ouganda. Les autorités locales ont mis en place des pompes à eau solaires à des fins d’irrigation. Les bénéfices du projet sont immédiats : à la stabilité des rendements de manioc s’ajoute la satisfaction de réduire les pertes et d’étaler les récoltes sur plusieurs mois grâce au séchage. Les producteurs ont conclu un accord commercial avec Uganda Breweries pour un montant exceptionnel de 150 millions d’euros.
Un projet d’éducation environnementale novateur
Le Mali ambitionne d’aller encore plus loin en introduisant la question de l’agriculture climato-intelligente au cœur de l’apprentissage. Sous l’égide de l’Unesco et du Fonds Climat, le gouvernement malien a récemment mis en route le « Projet de renforcement de la résilience du système éducatif comme alternative de prévention et de lutte contre les changements climatiques ». Interrogé sur la raison d’être du projet, le ministre malien de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable explique : « La détérioration de la biodiversité et de l’écosystème constitue l’un des facteurs contributifs de l’insécurité alimentaire dans notre pays ». Il reconnaît aux communautés le droit d’information sur l’ampleur des stress environnementaux vécus au quotidien et sur les stratégies d’adaptation, et cela commence à l’école. Le bras opérationnel du projet est constitué par le personnel enseignant, les instituteurs, les associations de parents d’élèves ainsi que les comités d’administration des écoles. A eux incombe la charge de transmettre aux citoyens les techniques innovantes de culture, d’irrigation et de gestion de la fertilité. Le projet se fixe comme objectif de renforcer la résilience des groupes socialement vulnérables.
Le potentiel des jardins maraîchers agroécologiques
Le village d’Awra Amba, mondialement réputé pour sa société égalitariste, est aussi un pionnier de l’économie verte en Éthiopie. Les 500 agriculteurs qui y vivent se conforment totalement aux principes agroécologiques. Chassés, méprisés, persécutés par les clans voisins à cause de leurs idées révolutionnaires, ils ont compris que l’autosuffisance en vivres est leur gage de survie. D’où l’installation d’un jardin communautaire recensant des espèces potagères d’une grande diversité : tomate, laitue, chou frisé, patate douce, bette à carde, blette, cucurbitacées, etc. La rotation des cultures joue à fond dans le recyclage des nutriments, en autorisant deux ou trois récoltes annuelles sans abuser en aucun cas de la fertilisation chimique. Le compost est pratiqué de manière systématique pour rendre à la terre ce que les plantes ont prélevé. Pour faire face aux 7 mois de saison sèche (octobre à avril), la communauté d’Awra Amba a aménagé un système d’irrigation solaire à même d’exploiter les nappes souterraines.
Résultat : Le jardin communautaire a servi de site de démonstration, en ce sens qu’aujourd’hui les potagers familiaux fleurissent dans l’arrière-cour des maisons. Le maraîchage crée pour les femmes une activité génératrice de revenu, mais, grâce à l’autoconsommation des récoltes, il réduit également l’impact des fluctuations des prix des denrées de base tout en autorisant la préparation de repas variés et équilibrés.
John Mahrav