Comprendre les enjeux de l'agriculture

4- Assurer un revenu satisfaisant à tous les agriculteurs

Il n’y a pas d’agriculture sans agriculteurs. Ceux-ci doivent disposer d’un revenu suffisant, sinon ils produisent moins, n’investissent plus ou quittent la terre. On a vu qu’il sera pourtant nécessaire d’augmenter, dans un contexte climatique difficile, la production agricole. Pour cela, il faudra mobiliser toutes les énergies, quelle que soit la taille des exploitations, leur mode de faire valoir ou leur implantation.

Une des conditions est que les prix de vente des produits agricoles soient suffisamment élevés pour rémunérer tous les producteurs. Or quel est le juste prix d’un produit qui permet d’atteindre cet objectif ? Est-ce le prix de revient observé dans une société agricole brésilienne gérant des dizaines de milliers d’hectares (et employant de nombreux ouvriers agricoles médiocrement rémunérés), celui d’un agriculteur moyen européen à la tête de d’une centaine d’hectares ou celui d’un petit paysan indien vivant sur deux hectares ou moins encore ?

Mais aujourd’hui, la mondialisation des grands marchés agricoles s’est imposée partout. Elle a comme conséquence une uniformisation des prix pour les différents producteurs, en sachant que le plus souvent ce prix est celui des plus compétitifs. C’est évidemment insupportable pour tous ceux dont les conditions de production sont très éloignées de celles des régions les plus favorisées.

Comment permettre à tous les agriculteurs du monde de vivre de leur travail ?

Seules des politiques agricoles différenciées peuvent éviter le recul, voire la disparition, de l’agriculture dans les régions où des conditions de production sont par trop médiocres. Faut-il encore que les gouvernements aient décidés de choisir cette voie et qu’ils ne soient pas tenus par des engagements internationaux antérieurs. Une fois décidées, ces politiques devraient s’adapter à la taille des structures de production, au niveau de formation des agriculteurs et à la fraction de la production qu’il est souhaitable d’exporter sur les marchés internationaux.

Un équilibre compliqué et fragile à édifier

Il est évident que le système agricole mondial est dans l’incapacité de satisfaire à tous les objectifs qu’on prétend lui assigner. Sans renoncer à aucun d’entre eux, car tous sont essentiels, il faudra faire des choix évidemment difficiles.

Tout d’abord, la production agricole devra certes croître, mais dans des proportions sans doute moins élevées que celle retenue par la FAO (et observée depuis un demi-siècle). Car une inflexion s’avèrera nécessaire afin d’éviter les dommages collatéraux les plus importants. Quelle forme devra-t-elle prendre ?

 L’augmentation des rendements doit se poursuivre, mais sans doute moins rapidement que prévu, quand cela ne serait-ce qu’en raison des changements climatiques qui affecteront durement certaines régions. En revanche, la priorité est de renoncer à de nombreux défrichements, en particulier de forêts tropicales.

Pour leur part, mieux informés par les diététiciens, et sans doute contraints par les prix de marché, les consommateurs vont modérer leurs achats alimentaires. En particulier, la consommation de viande, notamment de viande rouge, baissera fortement dans les pays « riches » et ne pourra guère conquérir de nouveaux clients[4].

Les agriculteurs peuvent eux aussi contribuer de manière très significative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, ils devront modifier en profondeur beaucoup de leurs pratiques agronomiques habituelles. Certains changements sont relativement simples à réaliser, d’autres exigeront des modifications plus complexes à mettre en œuvre.

La protection de l’environnement et de la biodiversité nécessitera plus de temps. Ainsi reconstituer la flore et la faune des sols ou repeupler les campagnes avec à nouveau des oiseaux ou des abeilles sont des objectifs essentiels même s’ils s’avèrent difficiles à réaliser. Il en est de même de la protection des eaux souterraines et des rivières.

 Dans toutes les exploitations, les objectifs précédents vont s’imposer malgré l’extraordinaire diversité des situations dans le monde. Et leur mise en œuvre doit s’effectuer en sécurisant les revenus des agriculteurs les plus modestes. En revanche, il nous semble juste que les plus grandes exploitations soient fortement incitées à prendre une part significative dans les efforts à réaliser, non seulement pour nourrir le monde mais aussi pour sauver la planète.

Par André Neveu de l’Académie Agricole 

[1] En effet malgré l’étendue des pâturages naturels dans le monde (3300 millions d’hectares, soit pratiquement deux fois plus que les superficies cultivées), leur potentiel de production est très faible car ce sont souvent des zones désertiques ou semi-désertiques.

[2] D’après les observations satellites, la déforestation s’accélère même dangereusement au Brésil (+278 % entre 2018 et 2019)

[3]  Rappelons qu’en agriculture biologique les rendements sont réduits par rapport à ceux d l’agriculture conventionnelle, d’où des coûts de production et donc des prix de vente plus élevés.

[4] Certains sont persuadés que la production de viande « artificielle » cultivée en laboratoire a un grand avenir et va prendre le relais de celle issue d’animaux. C’est possible. Mais n’oublions pas que ce mode de production implique un substrat, sans doute constitué de protéines végétales ou peut-être de céréales.

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