Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’offre mondiale de blé et de maïs est amenée à se tasser. L’Australie, l’Argentine et le Brésil mettent en vente leurs nouvelles récoltes moins abondantes que l’an passé. D’ici la fin du mois de juin, la Russie doit exporter plus de 25 Mt de blé pour débuter sereinement la campagne de commercialisation 2024-2025. Même affaiblie, l’Ukraine est indispensable pour équilibrer les marchés mondiaux. Les mauvaises conditions climatiques altèrent d’ores et déjà le potentiel de récolte des céréales d’hiver implantées en Union européenne.

Depuis les ports russes, plus de 20 Mt de blé ont déjà été expédiées en six mois de campagne. Le rythme des affaires s’est ralenti ces dernières semaines.

L’automne dernier, les tempêtes sur la Mer Noire ont impacté le trafic commercial et les prix sortie ferme des céréales exportées (environ 130 € la tonne au début du mois de décembre) n’incitent pas les agriculteurs à faire des affaires.

Or si le quota d’exportation de fin de campagne, fixé cette année à 24,0 millions de tonnes (Mt) de céréales, n’est pas atteint, la Russie commencera la nouvelle campagne 2024-2025 avec des stocks de report importants.

L’Ukraine même affaiblie reste un pays exportateur majeur de céréales. A la mi-décembre, 302 navires ont emprunté le nouveau corridor maritime ouvert le long des côtes maritimes de la Romanie et de la Bulgarie, selon Ukr Agro Council (UAC). Sur les 10 Mt de marchandises transportées, 5 Mt sont des céréales.

Depuis que le marché européen est ouvert aux produits agricoles ukrainiens, Kiev a exporté d’importantes quantités de grains sans droits de douane en Union européenne ou les a faits transiter par les Vingt-sept avant de les expédier vers d’autres pays tiers.

Selon la Commission européenne, l’Ukraine est devenue le premier partenaire commercial sur l’ensemble des marchés des céréales, hormis celui du  blé dur puisqu’elle n’en produit pas.

7,5 Mt de blé, d’orges et de maïs ukrainiennes ont été livrées depuis le 1er janvier dernier. Et pour remporter des appels d’offres, l’Ukraine n’a pas hésité à les commercialiser à des prix défiants toute concurrence.

L’hémisphère sud de retour sans éclat

Cet hiver, l’Australie ne produirait que 25,5 Mt de blé et 5,5 Mt d’orges, soit 17 Mt de moins que l’an passé. Elle n’exportera que 22 Mt de blé (-10 Mt sur un an). En conséquence, l’ile-continent n’a pas les moyens d’engorger les marchés de céréales comme l’an passé à la même époque. Elle avait alors contribué à faire refluer les cours des grains après avoir flambé courant le printemps et l’été 2022.

Les pays maghrébins resteront très actifs sur le marché du blé en mettant en concurrence la Russie, l’Ukraine et l’Union européenne.

Pour autant, quatre pays africains ont d’ores et déjà acheté 5,5 Mt de blé européen depuis le début de la campagne de commercialisation, le 1er juillet dernier. En tête, le Maroc (2 Mt) est suivi par le Nigéria (1,37 Mt), l’Egypte (1,15 Mt) et l’Algérie (1,06 Mt).

En comptant l’Egypte parmi ses clients, l’Union européenne montre qu’elle sait être au moins aussi compétitive que la Russie sur certains appels d’offre.

Mais l’Algérie préfère le blé russe au blé européen pour des raisons géopolitiques. Du reste, la Russie a remporté au début du mois de décembre l’appel d’offre de 900 000 tonnes lancé par l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC).

Le maïs fait sa loi sur les prix

Sur le marché du maïs, les Etats-Unis et l’Ukraine seront concurrencés dans quelques semaines par l’Argentine et le Brésil, deux poids lourds !

Même si l’USDA et le CIC ont d’ores et déjà anticipé  une baisse de la production brésilienne de maïs de 8 Mt par rapport à l’an passé, les prévisions de récolte (124 Mt) publiées par l’USDA semblent optimistes.

Au Brésil, les semis de la première récolte de maïs (pleine saison) ont été compliqués par de fortes pluies dans le sud du pays, selon le CIC. Et la superficie de la Safrina, la seconde culture de maïs de la campagne 2023-2024, pourrait être inférieure de 10 %, de 20 % voire 50 % à celle de l’an passé selon UAC. En effet, le soja sera moissonné tardivement.

Les agriculteurs pourraient aussi réduire les doses d’engrais habituellement épandues. Les intrants sont trop chers à l’achat.

En Argentine, les conditions de cultures sont devenues plus favorables depuis que l’El Nina ne sévit plus. 61 Mt de maïs pourraient être récoltées (+47 % sur un an).

Même affaiblie, l’Ukraine (21 Mt de maïs exportables en 2023-2024) contribue à l’équilibre retrouvé des marchés des grains. Sans sa production de maïs, la planète serait déficitaire en tout.

A l’échelle mondiale, l’abondante production de maïs (1 222 millions de tonnes ; + 65 Mt sur un an) pèse sur l’ensemble des prix des céréales. Or elle est en même temps la seule à être excédentaire. Les autres céréales à paille sont déficitaires, y compris le riz.

Bon marché, le maïs ouvre l’appétit des pays importateurs. Ils ambitionnent d’acheter 194 Mt, soit 20 Mt de plus que l’an passé. Par exemple, la Chine produira 277 Mt comme l’an passé et pourtant, elle prévoit d’en importer 23 Mt (+5 Mt sur un an). L’Empire du milieu n’a pas l’intention de puiser dans ses stocks (202 Mt, – 4 Mt sur un an) pour transformer et consommer les 303 Mt de grain nécessaires pour relancer ses filières animales.

En Afrique, les pays de la rive sud de la Méditerranée pourront être tentés de mettre en concurrence du maïs sud-américain et ukrainien. Durant la campagne de commercialisation 2023-2024, leurs besoins sont estimés à 16,7 Mt de grains. A contrario, l’Afrique sub-saharienne produit 83 Mt de maïs qu’elle consomme. Elle n’en importera que 2,4 Mt.

En fait, l’Afrique du Sud est le seul pays du continent à en exporter des quantités significatives (3 Mt).

 

L’Afrique sub-saharienne compte sur le sorgho

Les pays sub-sahariens pourront compter sur la production de sorgho (28,8 Mt) pour couvrir une partie de leurs besoins alimentaires. « La demande en Afrique pourrait atteindre un pic en partie imputable à des moteurs démographiques, l’utilisation régionale dans l’alimentation humaine étant placée en légère hausse d’une année sur l’autre, à 24,9 Mt », explique le CIC.

Les échanges commerciaux de la céréale (7 Mt sur les 9 Mt échangées dans le monde) portent essentiellement sur du sorgho américain produit à la fin de l’été et exporté en Chine.

Outre l’arrivée sans éclat des céréales produites dans l’hémisphère sud, quelques indices laissent penser que l’offre mondiale de grains va se tarir. Dans l’hémisphère nord, le potentiel de récolte des céréales d’hiver implantées, qui seront moissonnées en 2024, est déjà entamé.

Les conditions sont donc réunies pour observer une remontée des cours des céréales dans les prochaines semaines. Toutes les productions mondiales de grains sont déficitaires, le maïs mis à part. Mais sans la récolte ukrainienne, la filière serait aussi déficitaire.

En France, l’Institut Agreste mentionne que les surfaces des céréales d’hiver implantées pour la récolte 2024 baisseraient de 5,1 % par rapport à l’an passé pour atteindre 6 395 milles hectares. La superficie du blé dur diminuerait même de 10,5 % pour atteindre 205 000 ha. Elle serait la plus faible des six dernières années. En fait, tous les pays d’Europe du Nord ont rencontré des difficultés pour emblaver leurs terres. Et les précipitations ont noyé une partie des céréales levées.

Au printemps prochain davantage de cultures de printemps seraient semées, notamment du maïs sur les parcelles dépourvues de céréales d’hiver.

En Ukraine, les agriculteurs rencontrent des difficultés pour acheter les intrants nécessaires pour leurs cultures. Les sucreries approchent les céréaliers pour implanter plus de betteraves aux dépens de la culture de céréales.
Aux Etats-Unis, les farmers seraient d’ores et déjà tentés de semer du soja au détriment du maïs, peu rentable. Le prix de la tonne de maïs a fortement baissé alors que celui du soja est resté stable.

Mais si la Russie est de nouveau en mesure d’exporter 50 Mt l’été prochain, les cours des céréales peineront à se redresser lorsque la nouvelle campagne de commercialisation 2023-2024. Ils sont actuellement inférieurs à leurs niveaux de 2021.