Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’OCDE et la FAO anticipent des hausses de la production et de la demande de viande dans les pays émergents. Afin de combattre la malnutrition, la FAO et d’autres organisations mondiales encouragent la consommation de produits carnés et laitiers. Mais pour atténuer le dérèglement climatique, ces mêmes organisations internationales vilipendent l’élevage, émetteurs de gaz à effet de serre !  

L’Inde, son 1,4 milliard d’habitants et ses centaines de millions d’agriculteurs est le modèle de souveraineté alimentaire pris en exemple dans le monde. Le régime alimentaire des Indiens est en très grande partie végétarien.

Pour autant, la consommation de produits carnés et laitiers est appelée à croître comme dans tous les autres pays émergents. A l’horizon de 2032, 15 % de viande de volaille  et 10 % de viande bovine en plus seraient consommées dans le monde, selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Dans dix ans, la viande de volaille compterait pour 41 % des apports en protéines animales en Inde, au Pakistan, dans les philippines et au Vietnam notamment, souligne l’OCDE.

Chaque année, la consommation de viande et de protéines animales par habitant croît dans les pays émergents. Ses moteurs sont la croissance démographique et l’augmentation du pouvoir d’achat des classes moyennes.

La hausse des revenus pousse aussi les consommateurs à changer leurs habitudes alimentaires en achetant plus de viande de volaille, de viande bovine et de viande porcine (dans les pays qui ne sont pas de confession musulmane) au détriment de la viande ovine, pas très attractive.

A l’échelle mondiale, la consommation moyenne de viande par habitant aura progressé de 700 g par an d’ici 2032. Elle atteindra 28,8 kg, selon l’OCDE. En pourcents, la hausse sera plus forte dans les pays en développement puisque la consommation de viande aura augmenté de 9,6 % en dix ans contre 2 % dans les pays riches.

A l’horizon de 2032, la consommation de viande sera alors en moyenne de 22,9 kilogrammes équivalent carcasse (Kg éc) par habitant dans les pays émergents, selon l’OCDE. Cependant, cette moyenne masque de fortes disparités.

Si on se concentre sur la seule viande bovine, moins de 4-5 kilogrammes par habitant sont consommés chaque année dans les pays les plus pauvres (Egypte, Pakistan). Elle sera supérieure à 16-17 kg parmi les pays de l’OCDE (jusqu’à 30 Kg aux Etats-Unis).

La consommation de viande et de produits laitiers est promue par la FAO et les autres organisations internationales en pointes pour combattre la malnutrition. L’enjeu : équilibrer le régime alimentaire des populations malnutries.

Pour autant, ces mêmes organisations internationales les activités d’élevage et l’essor des échanges commerciaux de produits animaux, émetteurs de gaz à effet de serre.

Mais tous les pays n’ont pas les moyens d’être souverains sur leur sol pour couvrir les besoins de leur population! Et la guerre en Ukraine a mis en exergue leur faiblesse dans la douleur.

Continent africain aux pratiques vertueuses menacées

En Afrique, l’élevage africain devra produire plus de viande pour nourrir 2 milliards d’hommes en 2050.

A ce jour, aucun pays africain ne fait partie du club fermé des grand pays exportateurs de viandes ou d’animaux hormis l’Afrique du Sud, le 6ème producteur au monde de viande ovine (170 000 téc) d’après l’OCDE, l’organisation de développement économique.

La viande produite en Afrique est d’abord de la viande produite pour être consommée localement. Mais le continent importe la viande bovine bon marché – notamment d’Inde – qu’il ne produit pas en quantités suffisantes pour pourvoir à ses besoins. Les achats de poulets croissent régulièrement.

L’Afrique du Nord se distingue de ses voisins sub-sahariens par des importations massives de bovins vifs expédiés majoritairement d’Europe du Nord ou pour l’Egypte, du Soudan. L’élevage de ruminants hors sol représente une faible part de la production totale de viande bovine.

Le dérèglement du climat de la planète : l’Afrique en est bien plus la victime et que la cause. Il menace la souveraineté alimentaire du continent alors que la population ne cesse de croître. Aussi, l’Afrique ne peut pas ne pas se mobiliser pour produire plus de viande.

Par ailleurs, le continent sait qu’il ne pourra plus compter, comme par le passé, sur les pays exportateurs de viande pour être approvisionnés.

En effet, ces mêmes pays exportateurs, pourraient être tentés (ou contraints) de produire moins de viande pour atteindre, à leur niveau, leurs objectifs climatiques ambitieux (baisse des émissions de gaz à effet de serre, neutralité carbone).

Sans renoncer à produire plus de viande pour répondre à des besoins croissants tout à fait compréhensibles, il serait judicieux de prioriser l’élevage ruminant aux dépens de l’élevage de monogastriques.

En Afrique, le pastoralisme, la transhumance et la polyculture-élevage sont des pratiques d’élevage, « bas carbone » par essence, qui préservent la biodiversité.

Le Cirad a même démontré que le pastoralisme est neutre en termes de gaz à effet de serre.

En matière d’élevage de ruminants, les gains de productivité sont énormes. Les gouvernements devront investir dans la génétique et dans le conseil pour accroître les capacités de production et produire plus d’animaux et de fourrages.

En plus de produire de la viande et du lait, l’élevage de ruminants fournit la matière organique nécessaire pour enrichir les sols et pour accroitre leurs capacités de rétention en eau. Les bovins viande sont aussi une force de travail importante dans les champs.

En commerçant leurs animaux, les agriculteurs s’inscrivent aussi dans l’économie de marché. Leurs animaux sont vendus pour nourrir les urbains.

Mais le pastoralisme et la transhumance sont affectés en Afrique par l’extension urbaine, par l’enclosure, par les rivalités entre les différentes activités agricoles (cultures vivrières, plantations etc.).

Ces dernières années, ces pratiques d’élevage ont été en partie désorganisées en Afrique sub-saharienne par l’instabilité politique induite pas des coups d’Etat à répétition, par les fermetures de frontières qui empêchent les troupeaux de circuler et par les guérillas qui rendent les campagnes peu sûres.

 

Projections mondiales déséquilibréesL’ensemble des pays émergents produira plus de viande au cours des dix prochaines années. Mais l’essor de la production de viande dans les pays émergents est déséquilibré.Sur les 38 millions de tonnes équivalent carcasse (Mtéc) de viande produites en plus d’ici 2033, moins d’un quart sera issu d’élevages bovins (7 Mtéc) et ovins (2 Mtéc), selon l’OCDE.Mais l’élevage ovin manque d’attractivité. Le phénomène est planétaire. Or c’est le mode d’élevage le plus extensif et le plus écologique qui existe.

Selon toujours l’OCDE et la FAO, l’augmentation de la production de viande sera d’abord une hausse de la production de viande de monogastriques aux cours des dix prochaines années. A eux seuls, les pays émergents produiront 15 Mtéc de viande de volailles et  13,8 Mtéc de viande porcine de plus en 2032 qu’en 2023. Autrement dit l’élevage industriel, émetteur de gaz à effet de serre, progressera davantage que l’élevage extensif.

Mais peut-on seulement empêcher la majorité de la population de manger mieux?

(1) PERSPECTIVES AGRICOLES DE L’OCDE ET DE LA FAO 2023-2032 © OCDE/FAO 2023