Comprendre les enjeux de l'agriculture

Lors de la table-ronde qui s’est tenue le 27 février au Salon international de l’agriculture, la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM) a présenté une note sur les enjeux de la filière ivoirienne du palmier à huile, fruit d’une mission de terrain visant à poser un diagnostic et suggérer des pistes d’action pour relever les multiples défis posés au secteur.

La filière ivoirienne du palmier à huile fait vivre directement ou indirectement près de deux millions d’Ivoiriens – soit 10 % de la population – et exporte près de la moitié de sa production dans d’autres pays africains, doit, pour garantir sa pérennité, s’engager dans une trajectoire plus durable sur les plans économique, social et environnemental. Les clés de cette transformation sont notamment : l’augmentation des rendements des petits planteurs, pour répondre à une demande croissante, sans déforester ; l’amélioration des services offerts par les coopératives, mises à mal par la concurrence croissante des intermédiaires ; enfin, la mise en œuvre d’une plus grande traçabilité des régimes de palme, pour contractualiser plus étroitement avec les entreprises de transformation et appliquer une certification efficace. De ces changements dépend la compétitivité de l’huile de palme ivoirienne par rapport aux importations d’Asie du Sud-est. Ils ne pourront être accomplis qu’avec un renforcement des disciplines collectives sous la houlette de l’interprofession, l’appui de l’Etat ivoirien et le soutien des bailleurs internationaux.

Une filière performante, mais confrontée à une crise de durabilité économique, sociale et environnementale

En Côte d’Ivoire, la filière palme est porteuse d’énormes enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

L’Association interprofessionnelle du palmier à huile (AIPH), cheville ouvrière de la filière : l’équilibre de la filière repose sur la complémentarité des productions industrielles et villageoises. L’AIPH regroupe de grandes sociétés agro-industrielles travaillant avec environ 40 000 petits planteurs, qui détiennent deux tiers des surfaces plantées et sont encadrés par des coopératives, très actives en matière de collecte, formation et entretien des pistes. Elle agit à plusieurs niveaux : accroissement de la productivité des planteurs villageois, grâce à l’utilisation de matériel végétal amélioré et l’adoption d’itinéraires techniques adaptés ; formation et la sensibilisation des producteurs au problème de la déforestation, au regard notamment du changement climatique ; fixation et lissage des prix payés aux planteurs ; recherche et promotion.

Une production au cœur de la lutte contre la déforestation : vu de France, le débat sur l’huile de palme tend à se polariser sur les importations provenant des pays d’Asie du Sud-est. Pourtant, à l’échelle de la Côte d’Ivoire et, plus largement, de l’Afrique de l’Ouest, la très grande majorité des productions d’huile de palme ne sont pas exportées en Europe mais sont consommées localement, presque exclusivement pour l’alimentation. Le problème de la déforestation n’en est pas moins réel, puisque la Côte d’Ivoire a déjà perdu la majorité de ses forêts, sous l’influence notamment de l’expansion des surfaces cultivées.

Une filière majeure avec un fort potentiel de croissance : la quasi-intégralité des régimes de palme sont transformés localement, par une filière qui contribue à sa sécurité alimentaire, fait vivre directement ou indirectement 10 % de la population et fournit environ 2 % du produit intérieur brut de la Côte d’Ivoire. L’expansion démographique en Afrique subsaharienne et la hausse de la consommation de matières grasses par habitant, liée à l’augmentation des revenus, offre aux producteurs ivoriens un formidable marché potentiel, menacé toutefois par les exportations d’huile de palme asiatiques.

Une filière impactée par une concurrence accrue et la forte baisse des prix mondiaux des huiles végétales : le faible niveau des prix, divisés par deux au regard du pic historique, compromet l’équilibre économique de la filière. Bien qu’à court terme, un rééquilibrage s’effectue grâce au mécanisme interprofessionnel de lissage des prix, la viabilité des plantations villageoises et des coopératives est remise en question par une gestion à perte. Le problème est exacerbé par l’explosion du secteur informel, qui fausse la concurrence et prive l’Etat et la filière de ressources financières, et le manque de dispositions réglementaires permettant de faire respecter les accords interprofessionnels par l’ensemble des opérateurs.

Une amélioration nécessaire de la durabilité par l’augmentation de la productivité, la traçabilité de la production et la mobilisation de tous les acteurs

Les perspectives de forte hausse de la consommation d’huile de palme, sur le marché national comme dans la sous-région, sont propices à l’économie de la filière, mais son développement doit s’accompagner d’une plus grande durabilité sociale et environnementale. Les clés de cette transformation sont notamment l’augmentation de la productivité des petits planteurs, pour améliorer leur revenu et répondre à la hausse de la demande sans accentuer la déforestation, l’amélioration des services offerts par les coopératives et la mise en œuvre d’une plus grande traçabilité des régimes de palme, pour contractualiser plus étroitement avec les entreprises de transformation et appliquer une certification efficace.

La productivité des petits planteurs, enjeu crucial : les rendements des plantations villageoises sont trois à cinq fois inférieurs à ceux des plantations industrielles. Leur augmentation dépend notamment de l’accès aux engrais, elle-même conditionnée par un accès au crédit à un coût abordable par les petits producteurs.

L’amélioration des services des coopératives : mises à mal par le détournement d’une part significative de la production de régimes vers le secteur informel et la concurrence croissante des intermédiaires, les coopératives doivent offrir aux producteurs des services à plus forte valeur ajoutée. Leur rôle est en effet essentiel en matière de formation et de sensibilisation des planteurs aux enjeux technico-économiques et environnementaux.

Une plus grande traçabilité des régimes de palme : la capacité des industriels à garantir l’origine des régimes de palme, par parcelle et par producteur, peut favoriser une coordination plus étroite entre les différents acteurs de la filière. Elle est en outre indispensable à la mise en œuvre d’une certification efficace, garantissant le respect des normes sociales et environnementales.

La nécessité de renforcer l’interprofession : pour relever avec succès les multiples défis qui lui sont posés, la filière doit pouvoir mobiliser l’ensemble de ses acteurs, afin d’éviter les actions des « passagers clandestins » qui créent des distorsions de concurrence et nuisent à sa représentativité auprès des pouvoirs publics.

Le besoin d’un Etat plus régulateur : les défis du développement durable ne relèvent pas uniquement du secteur privé. Le rôle des pouvoirs publics est crucial pour limiter le secteur informel grâce à une fiscalité adaptée, faire respecter la protection douanière sur les huiles importées, garantir la sécurité sanitaire des huiles mises sur le marché et protéger efficacement les forêts. Les opérateurs demandent en outre à l’État de mieux accompagner la régulation de la filière en veillant à l’application effective, par tous les acteurs, des accords interprofessionnels.

L’indispensable soutien des bailleurs : la filière palmier à huile contribue à la sécurité alimentaire du pays. Elle fournit un revenu stable à près de 200 000 personnes, à savoir les planteurs villageois et leur famille. Elle permet aux ménages de scolariser leurs enfants et d’accéder aux équipements et services de base – électricité, eau potable… -, ainsi qu’aux infrastructures de santé mises en place par certains industriels. Cette filière crée également de nombreux emplois dans la transformation, ainsi que dans les services connexes à l’industrie (transport, manutention, entretien, etc.); elle est au cœur des enjeux d’aménagement du territoire. De son développement durable dépend la fourniture de biens publics essentiels, via la conservation de la forêt et de la biodiversité.