Le boom économique de l’Afrique de l’ouest est agricole et agroalimentaire. Nourrir 500 millions d’Africains d’ici 2030, de plus en plus urbanisés, stimule l’essor de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire. Lors du colloque annuel de Farm-Pluriagri – à Paris, le 12 décembre – les intervenant ont montré que la création et le partage de la valeur ajoutée reposent sur une multitude d’initiatives privées et publiques très structurantes.
Au Sénégal, Sylvie Sagbo Gommard est directrice de la société . Son entreprise fabrique du beurre d’arachide et de noix de cajou avec des matières premières achetées à des producteurs locaux. Au Burkina Faso, la Fondation Avril, dirigée par Philippe Leroux, a créé une filière de production et de transformation de soja afin rendre le pays progressivement plus autonome en protéines végétales et animales (en développant la production de volailles).
Ces deux responsables d’entreprise et de fondation participaient au colloque annuel organisé par Farm (1) et Pluriagri(2) le 12 décembre 2019 à Paris. Le thème en était la création et le partage de valeur ajoutée dans les filières agroalimentaires en Afrique de l’Ouest notamment.
Dans ce sous-continent, 80 % de la production agricole transite par les marchés locaux. Ces derniers approvisionnent des villes qui ne cessent de s’étendre. Le Niger compte soixante-huit villes de plus de 10 000 habitants contre dix en 1968. L’augmentation de la population urbaine y est due à une croissance démographique interne et non aux migrations. Peu de paysans quittent leur village pour chercher un emploi dans les grandes villes, comme ce fut le cas au 19ème et au 20ème siècle dans les pays occidentaux.
Aussi, les campagnes s’urbanisent-elles et les paysans sont de moins en moins éloignés des centres urbains et des marchés qu’ils approvisionnent. Par ailleurs, la population urbaine est de plus en plus influencée par des habitudes alimentaires importées qui provoquent des importations.
En conséquence, l’agriculture et la transformation agroalimentaire sont les piliers de l’économie ouest-africaine et elles le resteront encore de nombreuses années.
En 2030, la production agricole et agroalimentaire (y compris le transport et la restauration) représentera encore 33 % du PIB. 131 millions de femmes et d’hommes, soit 62 % des actifs, exerceront une activité professionnelle dans ces secteurs.
En 2000, on dénombrait déjà 98 millions d’actifs (65 % de l’emploi total), aux deux tiers des femmes. Les trois quarts des emplois étaient en zone rurale et un quart en ville.
Créer de la valeur ajoutée en produisant plus
Dans ce contexte, « créer de la valeur », le premier thème du colloque Farm-Pluriagri, qu’est-ce que cela veut dire ?
En Afrique de l’Ouest, créer de la valeur ajoutée consiste d’abord à produire des denrées agricoles pour nourrir la population. Il ne s’agit pas d’ajouter de la valeur à un produit déjà élaboré en le différenciant des autres produits concurrents.
C’est à partir des recettes familiales à base d’arachides et de noix de cajous que les produits sont fabriqués et commercialisés par la société Lysa and Co.
Lydie SAGBO, la mère de Sylvie qui a repris les rênes de la société familiale en 2015, vendait en 1977 du beurre d’arachide et de noix de cajou « home made » sur le pas de la porte de sa maison. Ses produits étant devenus très appréciés, elle a constitué, cinq ans plus tard, la société SENAR pour répondre à la demande de sa clientèle.
La gamme de produits s’est alors étoffée. Ils ont été les premiers à être vendus dans des supermarchés. Leur consommation illustre les changements d’habitudes alimentaires des Africains amateurs de produits transformés.
Pour autant, l’Afrique de l’Ouest n’est pas un bloc de pays homogènes. Plus les pays sont riches, plus la part de l’agriculture dans le secteur agroalimentaire est faible.
Au Burkina Faso, l’autonomie alimentaire est très faible. La création de valeur ajoutée est intrinsèquement liée à la croissance de la production agricole. C’est pourquoi la fondation Avril a créé une filière soja en associant des organisations de producteurs et de transformateurs au sein d’une organisation interprofessionnelle baptisée « Association de Promotion et de Développement de la filière Soja » (APDS-B).
La production de soja est contractualisée. Un cahier des charges a été élaboré, engageant les producteurs sur un niveau de qualité et de prix.
En Colombie aussi, la question de la création durable de valeur ajoutée est d’actualité. Invité à participer au colloque, Rafael Isidro Parra Pena Somoza, du ministère de la planification, a montré que la création de valeur ajoutée repose sur des initiatives publiques visant à organiser des producteurs et des entreprises en filières.
Les nouvelles technologies accessibles dans les régions les plus retirées sont des éléments structurants de l’économie agricole et agroalimentaire. Elles étendent le champ d’activité des paysans dans des proportions inimaginables il y a encore 20 ans. Citons par exemple le stockage de carbone organique dans le sol rémunéré jusqu’à 15€/t par l’entreprise américaine Indigo.
Stockage de carbone rémunéré
Quelques explications sont nécessaires pour comprendre le projet. L’enfouissement d’effluents et de biomasse enrichit le sol en humus et les nouvelles technologies actuellement disponibles peuvent mesurer chaque année les tonnes de carbone organique ainsi stockées.
Partant de là, il est tout fait possible d’imaginer, dans un proche avenir, des paysans ouest-africains rémunérés pour avoir stocké chaque année un peu plus de carbone organique dans leur sol. En effet, en ayant adoptant des pratiques agricoles qui accroîtraient la quantité d’humus contenue, ils auraient à la fois enfoui plus de carbone organique dans leur sol tout en renforçant sa fertilité.
Ce stockage de carbone serait contractualisé, l’opération étant alors financée par les droits d’émissions de gaz à effet de serre, de crédits carbone et de quotas carbone, payés par les entreprises polluantes de la planète qui les émettent.
Dans le monde, plus de 13 millions d’acres (5 millions d’hectares environ) sont déjà engagés dans le projet de stockage de carbone porté par la société Indigo. La superficie couverte augmente de 2 hectares par seconde !
La création de la valeur ajoutée est intrinsèquement liée à son partage, deuxième sujet traité durant le colloque Farm-Pluriagri. Et comme pour le premier thème, différentes initiatives ont été présentées pour illustrer ce deuxième thème.
L’IECD, dirigée par Arnaud Britsch, pilote au Cameroun des groupements de maraichers qui contractualisent les ventes de leurs productions avec la grande distribution. Les contrats conclus leur garantissent une marge fixe de 30 % environ. L’initiative est financée par la société Bonduelle.
Rendre plus formel le secteur informel
Les dirigeants des grandes surfaces camerounaises apprécient la facturation et l’approvisionnement fiable et ponctuels de leurs magasins par ces groupements de producteurs. Aussi, ils n’hésitent plus à acheter plus cher des produits pour valoriser les services rendus.
Le partage de la valeur ajoutée est aussi initié par des organisations publiques. Proparco, la filiale d’Agence France pour le développement (AFD) finance et accompagne des projets d’entreprises et d’institutions financières dans les pays en développement et émergents. En Inde, 65 000 producteurs éleveurs laitiers se sont organisés pour livrer 800 000 litres de lait par jours à Prabhat Dairy, une société indienne de produits laitiers. Elle a pour cela développé un vaste réseau d’approvisionnement proche des agriculteurs, prêts à adopter des pratiques d’élevage en phase avec les standards environnementaux en Europe.
En Ouganda, une unité de cogénération, couplée à une sucrerie, valorise, à Scoul, la bagasse, un résidu fibreux issu du broyage des cannes à sucre livrées par les producteurs. Elle s’inscrit complètement dans l’économie circulaire promue par Proparco puisqu’elle valorise l’ensemble des cannes livrées en produisant de l’électricité « verte ».
La répartition de la valeur ajoutée peut aussi être une action engagée par des consommateurs soucieux de manger des produits (lait, huile d’olive thé) payés à des prix suffisamment élevés pour rémunérer le travail des paysans. Au Maroc par exemple, Nawal Slamti a présenté « Dyalna La » qui repose sur le même concept que « C’est qui le patron ».
Sur cette plateforme, « les consommateurs ont la possibilité de créer ensemble les produits de leur choix, c’est-à-dire des produits qualitatifs, plus équitables et plus responsables. Le concept en cours de réalisation », explique Nawal Slamti, à l’origine du projet.
Enfin, la création de valeur ajoutée et son partage conduisent naturellement à la structuration de filières en rendant plus formelle l’économie informelle. C’était le troisième thème du colloque Farm-pluriagri. Pour autant, cette formalisation ne doit pas briser le fourmillement d’initiatives des paysans et des transformateurs d’Afrique de l’Ouest en transposant des modèles occidentaux d’organisations et de distribution inadaptés.
Frédéric Hénin
- La fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde a été créée en 2005 est un think-tank dont la mission est de promouvoir les agricultures et les filières agroalimentaires, durables et respectueuses de l’environnement avec une approche entrepreneuriale.
- Pluriagri est une association d’entreprises et d’organisations de filières françaises des grandes cultures (Terres inovia, Unigrains, Cgb, ARTB)
https://www.indigoag.com/for-growers
https://markatelmoustahlik.ma/fr/
http://www.senardelices.com/about/notre-histoire/
http://www.fondationavril.org/projects/filiere-soja-au-burkina-faso/