Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le riz est la céréale la plus consommée au Sénégal devant le mil et le maïs. L’offre locale ne couvre cependant que 35% des besoins de consommation, estimés entre 1,8 et 1,9 million de tonnes (équivalent riz blanc), soit une consommation moyenne annuelle d’environ 100 kg/par habitant. Pour lever la dépendance rizicole vis-à-vis des marchés extérieurs, essentiellement asiatiques, l’Etat sénégalais s’est donné comme objectif d’atteindre l’autosuffisance en riz. Cet objectif est d’ailleurs une constante depuis l’indépendance du pays, même si le schéma général des politiques publiques a connu des variantes selon les périodes.

Ferme semencière ISRA de riz pluvial à Nioro du Rip, Région de Kaolack (© Mendez del Villar)

Dans les années 1980, les politiques rizicoles ont été fondées sur un interventionnisme étatique très présent et fort couteux au vu des résultats obtenus. Puis, dans les années 1990, on a assisté à une politique de désengagement de l’Etat du secteur productif, en lien direct avec les programmes d’ajustement structurel imposés par les grands bailleurs de fonds internationaux à l’ensemble des pays en développement. Ces mesures ont eu pour effet, dans un premier temps, de réduire les importations. Mais, la libéralisation des importations, à partir du milieu des années 1990, a entrainé un accroissement spectaculaire des achats à l’étranger du Sénégal, passant d’une moyenne de 400 000 t/an au début des années 1990, à plus 800 000 t. au début des années 2000. Aujourd’hui, elles atteindraient environ 1,3 million de t., soit un triplement en moins de 30 ans.

Durant cette période, la production a aussi progressé, surtout depuis le début des années 2010, grâce aux programmes de soutien à la riziculture inscrits dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté définie notamment dans le deuxième Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP II) et dans celle de la Grande d’Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA) initiée en 2008. Ces programmes ont ainsi permis de restaurer le taux d’auto-approvisionnement, tombé à moins de 20% à la fin des années 1990, à 35% environ aujourd’hui. Mais, ces résultats, bien qu’encourageants, sont encore bien loin des objectifs affichés d’autosuffisance. En cause, les progrès décevants de la riziculture irriguée dans la Vallée du Fleuve Sénégal malgré les investissements publics et l’appel très appuyé aux investisseurs privés nationaux et internationaux.

Relance de la riziculture pluviale depuis 2014

La riziculture pluviale, de son côté, toujours présente dans les régions Sud du pays en Casamance, ainsi que dans la région du bassin arachidier au centre du pays, n’a que très peu profité des mesures de soutien de l’Etat et des investissements publics. Ce faible soutien est aussi une constante dans l’histoire du Sénégal, et en particulier dans la région de Casamance pourtant considérée, jusque dans les années 1980, comme l’un des greniers à riz du pays.

Un renouveau semble toutefois se dessiner depuis 2014, grâce à l’Initiative Riz qui a permis de relancer la riziculture pluviale avec l’introduction de nouvelles variétés améliorées de riz, notamment les variétés Nerica (New Rice for Africa) spécialement destinées aux écosystèmes pluviaux et de bas-fonds mises au point par la recherche africaine (AfricaRice) avec ses partenaires internationaux, ainsi que les variétés Sahel issues de la recherche nationale (ISRA) avec ses partenaires régionaux et internationaux. Des subventions pour la multiplication des semences ont été mise en place et des producteurs multiplicateurs se sont organisés en réseau, appuyés par des structures publiques de la recherche et du développement et des ONG soutenues par la coopération internationale. Les subventions pour l’achat des semences[1] seraient aussi des incitations fortes pour les producteurs à augmenter leur production par extension des surfaces et des meilleurs rendements. Les programmes de soutien comportent également un volet mécanisation avec la subvention de matériel agricole (tracteurs, motoculteurs, batteuses…) et de matériel pour la transformation (décortiqueuses). Ces mesures devraient se poursuivre dans le cadre du 2e Programme de Relance et d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture sénégalaise (PRACAS2) couvrant la période 2019-2023.

Aujourd’hui, on estime que la production de riz pluvial pourrait représenter plus de la moitié de la production nationale[2], alors qu’il y a encore une dizaine d’années, on ne l’estimait guère qu’à 20%. La Casamance serait même redevenue la première région rizicole du pays, devant la Vallée du Fleuve. Les rendements restent cependant assez faibles, ne dépassant pas les 1,8t/ha, avec seulement 10% des producteurs qui atteindraient ce niveau de rendements sur un potentiel de 3 à 3,5t/ha. Ces résultats s’expliquent en grande partie par des contraintes agro-climatiques et socio-économiques qui limitent la portée des programmes de soutien et d’accompagnement à la relance de la riziculture pluviale.

Parmi les limitations au développement de la riziculture pluviale, on peut citer: i) la faible utilisation d’intrants, engrais et produits phytosanitaires ; ii) des calendriers culturaux pas toujours bien respectés avec des retards dans les semis, ce qui entraine une baisse des rendements à cause du déficit de pluies en fin de cycle de la culture ; iii) la salinité des sols et l’ensablement des parcelles et des canaux, ce qui expliquent aussi la faible fertilité des sols ; iv) Le manque de sécurisation des parcelles mettant en cause la divagation des animaux non maitrisée qui affecte les cultures. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des parcelles entièrement détruites ou fortement endommagées.

Développer la mécanisation

Une autre contrainte majeure à lever porte sur les temps des travaux. Libérer de la main d’œuvre, notamment par la mécanisation, est un facteur qui peut s’avérer crucial dans la mesure où le riz n’est pas la culture prioritaire des producteurs. Elle vient généralement en 3e place après l’arachide et les céréales sèches (mil et maïs). Il y aurait aussi le « phénomène anacarde » qui concurrence les cultures vivrières, et retarde leur mise en culture, mais qui en même temps, permet, entre autres cultures (huile de palme, nététou[5]…), de cofinancer la culture du riz.

La mécanisation permettrait ainsi de mieux respecter le calendrier cultural et de diminuer le risque production (baisse des rendements à cause du manque d’eau en fin de cycle végétatif). La mécanisation pourrait aussi permettre d’accroitre les surfaces cultivées par individu afin d’espérer dégager des surplus commercialisables qui justifieraient des investissements en amont et aval de la filière. Mais, la taille réduite des parcelles constitue une entrave à la mécanisation. Des remembrements seraient nécessaires pour mieux gérer les parcelles afin d’accroitre les sites de production aussi bien sur les plateaux et les bas-fonds que dans zones de mangrove. Toutefois, les problèmes fonciers limitent fortement les actions de remembrement. A cet égard, le coût du foncier peut aussi limiter l’extension des surfaces cultivées par actif. En effet, en cas de paiement d’un fermage, cela peut représenter plus de 10% du coût de production.

La mécanisation trouve également des limites agronomiques en raison des difficultés à gérer les adventices. En effet, après un labour mécanique, on constate l’apparition de beaucoup de mauvaises herbes difficilement gérables sans utilisation d’herbicides, et le désherbage manuel prend beaucoup de temps. Aussi, la mécanisation et l’augmentation des surfaces par individu ne pourra se faire que si des herbicides chimiques sont disponibles, et utilisés par les producteurs.

Les dynamiques en cours sur le riz pluvial suscitent des attentes prometteuses dans la perspective de renforcement de la sécurité alimentaire, mais elles soulèvent aussi des questions à la fois d’ordre agronomique, économique, social et territorial, ainsi qu’en termes environnementaux et d’aménagements hydrauliques. Avant tout, c’est la nécessité d’un changement d’échelle réussi qui constitue le défi majeur au développement de la riziculture pluviale, et des cultures vivrières en général. Cela suppose en effet un changement du modèle économique et des pratiques culturales. Une petite mécanisation permettrait de réduire les temps de travaux et/ou faire appel à une main d’œuvre salariée. En même temps, il faudra trouver des débouchés pour écouler les excédents commercialisables. Or, si les risques production ne sont pas levés, ou atténués, les risques économiques peuvent conduire à une fragilisation des systèmes de production, et à augmenter, in fine, les risques d’échec et d’abandon de la culture.

Juin 2019

Patricio Mendez del Villar

Pour en savoir plus

  • Hathie I. Diouf L., Diouf M., Kama M. 2013. Recherche-action sur les moyens de subsistance des agriculteurs et options d’interventions de Global Water Initiative, Rapport final, Septembre 2013 (UICN, IIED, IED)
  • Kouakou K. 2017. Evaluation des possibilités de culture du riz pluvial et risques climatiques associés au Sénégal. Thèse unique de Doctorat. Univ. Cheikh Anta Diop, Dakar. 20 mars 2017.
  • Manzelli M, Fiorillo E, Bacci M, Tarchiani V, 2015. La riziculture de bas-fond au sud du Sénégal (Moyenne Casamance) : enjeux et perspectives pour la pérennisation des actions de réhabilitation et de mise en valeur. Cah Agric 24 : 301-312. doi : 10.1684/agr.2015.07
  • Zucchini E., Manzelli M., Tarchiani V., Di Vecchia A. 2017. La filière et le marché de semences de riz pluvial dans la Moyenne et Haute Casamance : enjeux et perspectives. Programme Agricole Italie Sénégal (PAIS), Rapport n°1, https://www.researchgate.net/publication/318653706

[1] Pour chaque kg de semences de riz, le producteur rembourse l’équivalent de 1,5 kg de riz paddy, soit environ 300 Fcfa, contre 700 Fcfa/kg de semence au prix de marché.

[2] A Ziguinchor (Basse Casamance), par exemple, la production de riz s’élèverait à 146 000 tonnes de paddy, soit 22% de la production nationale (source : ministère sénégalais de l’agriculture et de l’équipement rural).

[3] En Moyenne Casamance, le riz irrigué peut être conduit en double culture

[4] Le développement de la riziculture de plateau atteste aussi l’implication accrue des hommes, et des jeunes, dans cette culture, ce qui amène à poser la question sur les relations de genre et trans-générationnelles.

[5] Condiment traditionnel d’Afrique de l’Ouest, appelé aussi soumbala en Guinée et au Mali.