On le sait, la volatilité des prix, handicape lourdement les agriculteurs africains et fragilise leurs revenus. C’est l’une des causes principales de la faiblesse des investissements, pourtant indispensables au décollage de l’agriculture du continent. Pierre Jacquemot passe en revue les différents outils susceptibles de protéger les fermiers contre ce fléau.
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La volatilité des prix sur les marchés agricoles est structurellement importante. Ce caractère conjoncturellement instable et imprévisible des prix des denrées agricoles et alimentaires sur les marchés trouve son explication dans plusieurs phénomènes, parmi lesquels les sécheresses ou les précipitations trop abondantes, les attaques de parasites et les maladies des cultures, l’augmentation du coût des engrais liée à celle du pétrole… S’ajoutent aux dérèglements de l’offre, certaines caractéristiques qui tiennent à l’imperfection des marchés particulière à ces denrées : existence de rentes de situation et de monopoles cachés, spéculation financière croissante sur les marchés dérivés, constitution de stocks de réserves par les pays pour protéger leurs populations contre le renchérissement des produits…
Les risques pour les agriculteurs
Lorsque ces divers phénomènes se conjuguent, la situation devient « hypervolatile », les prix subissent d’amples fluctuations. Cette instabilité est source d’incertitude et de risque. Pour les agriculteurs, la difficulté réside dans le fait qu’ils ne peuvent pas anticiper leur prix de vente et qu’ils adoptent des positions sous-optimales, en raison de leur aversion face à un risque-prix devenu excessif. Les consommateurs sont de leur côté affectés dans leur pouvoir d’achat.
Du côté des agriculteurs, la difficulté réside dans le fait qu’ils ne peuvent pas anticiper leur prix de vente et que leur production est peu flexible. Ils adoptent des positions sous-optimales, en raison de leur aversion face à un risque-prix devenu excessif. L’investissement s’en ressent. De leur côté, les consommateurs sont affectés dans leur pouvoir d’achat et l’insécurité alimentaire risque de s’installer. La demande de produits alimentaires est elle aussi peu élastique et les prix se répercutent de plein fouet sur le pourvoir d’achat (loi de King-Davenant).
Les réponses
Face à ces risques, deux réponses peuvent être apportées, conciliant les intérêts tant des producteurs que des consommateurs : la hausse de la productivité de l’agriculture afin, dans la durée, de diminuer les prix alimentaires en valeur réelle ou l’introduction de mécanismes de garantie et de stabilité des prix.
Les caisses de stabilisation et les marketing boards qui avaient constitué des institutions centrales des politiques agricoles après les indépendances, ont été démantelées durant la décennie 1990, parallèlement à la mise en application des politiques de dérégulation et d’ajustement structurel. Depuis, l’intérêt d’une recherche de nouveaux outils de gestion des risques s’est renforcé, avec des applications dans certains pays. On distingue deux principaux modes de gestion :
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La gestion de la volatilité des cours à l’exportation, avec divers remèdes :
– Les systèmes d’assurance-récolte, d’assurance-bétail ou d’assurance-sinistre sont surtout privés. Ils existent par exemple au Malawi (Commodity risk management group), en Ethiopie, au Kenya, en Tanzanie, mais ils sont encore peu nombreux.
– On associe souvent à ce système de couverture des risques liés aux prix les « contrats à livraison différée » : l’agriculteur peut vendre à échéance une certaine quantité de sa production, pour un prix donné, dans le cadre d’un contrat à terme négocié sur un marché à terme organisé.
– La « régulation par le lissage des prix » autour d’un prix de référence (calculé sur des moyennes passées) peut être organisée par la profession agricole pour réduire l’impact des fluctuations trop brutales des cours. Cette modalité s’inscrit dans le cadre de l’agriculture contractuelle. Le cas du Burkina Faso au bénéfice de ses producteurs de coton est le plus souvent cité.
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La gestion de la volatilité des prix à l’importation, avec plusieurs mécanismes :
– La « régulation par le stockage » est depuis longtemps considérée comme un instrument d’atténuation des risques à l’importation. Les stocks nationaux de sécurité, physiques ou financiers, sont anciens, nombreux, mais coûteux et rarement efficients dans la durée. Un tel mécanisme est régulièrement évoqué pour être établi à l’échelle régionale du Sahel sur une base mutualisée (CILSS).
-Les « filets de sécurité » sont mis en place pour les situations critiques de pénurie et de fortes hausses des prix ou de catastrophes (tornade, tremblement de terre). Ils consistent à financer des mesures de soutien aux agriculteurs ou des consommateurs, le plus souvent sous la forme de prix subventionnés. Elles sont souvent financées par des aides alimentaires ou par des prêts contracycliques de bailleurs extérieurs à décaissement rapide.
Les modalités de régulation des prix
Stock régulateur | Filet de sécurité | Assurance privée | Régulation interprofessionnelle | |
Impact sur la volatilité des prix | Retarde la hausse des prix | Sans influence directe | Sans influence directe | Lisse les variations des cours sur les prix intérieurs |
Impact sur la protection des consommateurs | Très faible et à très court terme | Favorable avec subventions fortes | Partiellement | Favorable pour limiter les hausses |
Impact sur la production | Atténuation des variations saisonnières | Indirectement en garantissant le revenu du producteur | Indirectement en garantissant le revenu du producteur | Stabilise et permet de la prévision autour d’un prix indicatif. |
En situation non critique, les mécanismes de régulation ne sont plus guère recommandés par les institutions de Bretton Woods. Elles affirment, par principe autant que par doute sur l’efficacité envers toutes les options étatistes, la pertinence du seul recours aux mécanismes du marché pour compenser les incidences de la volatilité des cours des produits agricoles. Cette position se heurte pourtant à la dure réalité quand les marchés, loin de diminuer cette volatilité, l’utilisent au contraire pour attirer des opérations purement spéculatives et qui ensuite l’amplifient. Les agriculteurs qui ne bénéficient pas d’une couverture – et ils sont majoritaires – en sont alors les premières victimes.
À l’expérience, c’est probablement dans la combinaison de plusieurs mesures que des solutions peuvent être trouvées, associant des mesures commerciales de soutien des prix et de stockage régulateur, tant au niveau national que régional.
Notes bibliographiques
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Daviron B., N. Dembele, S. Murphy et R. Shahidur (2011), Volatilité des prix et sécurité alimentaire, Rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, CSA-HLPE, Rome
Maître d’Hôtel E. Alpha A., Beaujeu et al 2011) Gestion de l’instabilité des prix agricoles en Afrique : quatre conditions d’efficacité des politiques, CIRAD, Perspectives sécurité alimentaire, n°12.