Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’humanité est en passe d’enfoncer le seuil de pauvreté hydrique – 1 000 m3 d’eau par an  et par habitant – en deçà duquel sa sécurité alimentaire serait gravement compromise. La science est mise au défi de combler le déficit hydrique de la planète sans porter atteinte aux écosystèmes, marin en particulier. En dépit d’avancées majeures, elle semble marquer le pas. 

La FAO pense que l’humanité doit affronter un immense défi : la demande en eau de l’agriculture devrait augmenter de 20 à 30% d’ici 2050, faute de quoi notre sécurité alimentaire en souffrirait.  Effectivement, si la population mondiale devait continuer à augmenter au même rythme que pendant les 30-50 dernières années, nous aurions besoin, mécaniquement, de quelque 20 à 30% d’eau en plus d’ici 2050. Cependant, il convient d’être toujours prudent avec des prédictions sur une aussi longue période.  

 Les besoins en eau changent d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Ils changent même au sein d’un même pays, d’une même région, d’un même village. Cette prévision, peu précise, fait d’ailleurs état d’une possible marge d’erreur de 10%. Par ailleurs, le changement climatique contrbue, de son côté, à rendre quelque peu aléatoire tout exercice de prédiction. 

Nous avons théoriquement les moyens de relever le défi hydrique. Nous en avons les moyens technologiques et scientifiques. Le vrai problème est celui du coût. Si le climat continue à se dérégler, nous devrons faire appel aux ressources non conventionnelles, c’est à dire au dessalement d’eau et à la réutilisation des eaux usées. Évidemment, les pays disposant des moyens financiers et technologiques nécessaires se tireront d’affaire bien plus facilement que les pays démunis. Si, par miracle, le changement climatique devait être passager, il nous suffirait de mobiliser les ressources conventionnelles : eaux de surface, eaux pluviales et eaux souterraines. 

Aujourd’hui, on ne parle que de ressources non conventionnelles (dessalement et réutilisation des eaux). Mais beaucoup d’autres recherches non-conventionnelles prometteuses sont en cours, fussent-elles encore embryonnaires.   

 

Distinguer seuil et pauvreté hydriques 

Pour l’instant on ne peut que constater que la quantité des eaux conventionnelles, utilisables à l’échelle de la planète, est limitée.  La quantité d’eau disponible par habitant a fortement chuté depuis un siècle, quand elle était alors pléthorique.  Nous nous trouvons actuellement en situation, non de pénurie mais de  pauvreté hydrique. Elle est évidemment variable d’une région du globe à l’autre. Et cette pauvreté s’aggrave au fil des ans. Le seuil de pauvreté se situe entre 1000 à 1300 m3 par an et par habitant. Le seuil de stress est généralement évalué 1700 m3 par an et par habitant. Le stress hydrique renvoie au problème de disponibilité physique de l’eau. La pauvreté hydrique renvoie, elle, aux problèmes d’accès à l’eau et à la gestion des ressources hydriques. Il convient de tirer la sonnette d’alarme car nous ne sommes pas loin du seuil de pauvreté. Si la population mondiale continue à croître au rythme actuel, nous risquons, toutes conditions étant égales par ailleurs, d’enfoncer rapidement le plancher des 1 000 m3. 

Le coût des investissements nécessaires pour échapper à cette fatalité aggravera la fracture planétaire entre pays riches et pays pauvres et mettra en danger la sécurité alimentaire dans des continents comme l’Afrique ou l’Asie. Cette fracture peut provoquer une déstabilisation géopolitique (dont les migrations massives) qu’une organisation comme les Nations-Unies a le devoir de traiter. À l’ère de la mondialisation, la solution ne peut être que globale. La réflexion doit commencer par porter sur une amélioration de la gestion des ressources conventionnelles (eaux souterraines et pluies). 

Quant aux ressources non conventionnelles, on ne peut que constater que les pays riches ont diminué leurs investissements en infrastructure dans les pays pauvres alors même que les sols se dégradent dans les continents comme l’Afrique. L’Europe, dont les moyens financiers ont décliné, a-t-elle les moyens d’offrir des usines de dessalement d’eau à l’Afrique ? On peut en douter. Mais cette situation ne dispense pas tous les pays, riches ou pauvres, d’engager une réflexion globale sur la pauvreté hydrique. 

Nombre de pays développés disposent pourtant d’un grand savoir-faire. La France – via ses deux grands groupes que sont Veolia et la Lyonnaise – s’accapare 30% de part du marché mondial de l’eau. Ce pays n’a pourtant pas une seule usine de dessalement. C’est aussi le cas de la Grande-Bretagne qui construit nombre d’usines de dessalement d’eau et de stations de recyclage des eaux usées de par le monde. Et n’oublions pas les États-Unis qui ont construit quelques usines de dessalement chez eux. 

Ces pays devraient accompagner les pays du Sud confrontés à une sécheresse devant laquelle ils sont impuissants. Ils doivent les accompagner en matière de maîtrise des politiques de gestion de l’eau et de recherche de solutions alternatives. Les institutions des Nations-Unies – dont la Banque mondiale – et d’autres organisations internationales et ONG peuvent également jouer un rôle important dans le financement des infrastructures hydriques .  

 

La chaîne de valeur de l’eau 

Le coût des investissements pour éradiquer la pauvreté hydrique se mesure en centaines de milliards de dollars. On estime, par exemple que pour atteindre les objectifs de développement durable liés à l’eau, il faudrait investir de 100 à 300 milliards de dollars par an. Le coût d’une usine de dessalement d’eau municipale varie de 100 millions à un milliard de dollars selon sa taille et la technologie utilisée. 

Les opinions publiques et les États sont aujourd’hui conscients de l’urgence de lutter contre le stress hydrique. Pour prendre l’exemple du Maroc, le roi Hassan II a anticipé ce problème par une audacieuse politique des barrages alors que la quantité disponible en eau par habitant était de 3 000 m3. Depuis la crise climatique a fait son œuvre et le royaume en a lui aussi été sévèrement impacté. Le pays a continué à être proactif : il a adopté un plan national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020- 2030 qui fait appel aux ressources non conventionnelles, dessalement et réutilisation des eaux usées. Les pays africains n’ont malheureusement pas les moyens financiers de mener une politique similaire. 

En tout état de cause, l’eau doit être l’objet d’une véritable veille. Il existe une vraie chaîne de valeur de l’eau. On doit veiller scrupuleusement sur chaque maillon de cette chaîne. Chaque goutte d’eau compte. On doit la suivre depuis sa source jusqu’à son utilisation en veillant à éviter le gaspillage et la pollution. Le premier maillon est donc la source de l’eau, le deuxième son utilisation, le troisième l’évitement du gaspillage ou de la pollution et le quatrième son recyclage. 

Cette veille doit particulièrement être attentive aux conséquences catastrophiques sur la santé des hommes que pourrait avoir une pollution non maîtrisée de l’eau. Il est un un cas de rejet de mercure dans l’eau avant son utilisation qui a provoqué de nombreuses crises de folie dans la population exposée. 

Les choix en matière d’investissement dans la lutte contre le stress hydrique doivent se faire hors de tout esprit polémique. Ainsi, certains se hasardent à déconseiller l’installation d’usines de dessalement au prétexte qu’elles constitueraient un gaspillage si les pluies en venaient à devenir abondantes…À l’encontre de ce genre de spéculation, c’est le principe de précaution qui doit prévaloir. Les stations de dessalement, même sous-utilisées sont une forme d’assurance indispensable car le changement climatique est imprévisible. 

 

La recherche sur les usines de dessalement marque le pas 

Fort complexes, ces recherches sur l’eau ne sont l’apanage d’aucune science. Elles concernent l’ensemble des sciences que ce soit la sociologie, le droit, l’économie ou les sciences dures. Le domaine de l’eau est un sujet ultrasensible. Les géopoliticiens ne proclament-ils pas que ce siècle est celui de la guerre de l’eau ? Les veilles technologique, stratégique, politique et économique sont un outil important de toute politique de l’eau. Il convient d’élaborer les scénarii les plus pessimistes pour nous mettre à l’abri d’événements catastrophiques.  

La recherche devrait marcher sur ses deux pieds, le pied académique et le pied développement appliqué et technologique. En terme académique, la recherche s’intéresse à l’évaluation, à la prévision, notamment en matière de changement climatique, et à l’analyse de la chaîne de valeurs. En matière technologique, elle s’intéresse au traitement des eaux usées et à leur recyclage et à la pollution par les effluents industriels. En matière technologique, toujours, les usines de dessalement d’eau sont à elles seules un vaste sujet. Elles englobent la science des matériaux, les process automatisés, la chimie et la biologie.  

Les recherches sur les techniques de dessalement s’orientent vers la réduction de leur impact environnemental sur les écosystèmes marins (rejets de saumure par exemple) et les économies d’énergie. Au départ, dominait le dessalement par distillation de l’eau de mer. Ce processus consiste à chauffer l’eau salée pour la transformer en vapeur puis à condenser cette vapeur pour récupérer l’eau douce. On peut imaginer combien cette technique est coûteuse en énergie). Ce procédé était utilisé par 80 à 90% des usines. Aujourd’hui il est largement supplanté par la technique de l’osmose inverse (elle utilise des membranes pour séparer l’eau et le sel) qui est beaucoup moins énergivore. D’autant plus que  ces usines sont de plus en plus alimentées par des énergies renouvelables. 65 à 70% des usines de dessalement en construction dans le monde sont à osmose inverse.   

Au cours des dernières décennies ont été développées des techniques plus sophistiquées comme l’électrodialyse et la nanofiltration. Le dessalement par absorption ou congélation est encore en phase expérimentale. Surtout,  les recherches avancent beaucoup dans l’utilisation des énergies renouvelables pour alimenter les usines de dessalement. Cependant, il faut reconnaître que la recherche marque le pas. Elle est sur un plateau depuis une vingtaine d’années. Les laboratoires essaient surtout d’améliorer la qualité de l’eau et de réduire les contraintes et les coûts de production.   

 

Impact néfaste sur l’environnement du dessalement 

La problématique est la même pour le traitement des eaux usées. Les techniques de recyclage ne sont pas l’apanage d’une seule science, fusse de la biologie à cause de la présence de bactéries dans l’eau. Le recyclage des eaux usées est tout autant l’affaire des ingénieurs civils, des automaticiens et des équipementiers. Les progrès en matière de recyclage sont plus rapides qu’en matière de dessalement. Les techniques sont complexes. Le recyclage diffère suivant la destination finale des eaux : agriculture, industrie, consommation… 

La quantité d’eau recyclée est plus faible que celle provenant du dessalement. Priorité devrait être donnée au recyclage car il est moins coûteux et réduit la pollution. Le traitement des eaux polluées est beaucoup moins avancé. Le Maroc, par exemple, produit un milliard de mètres cubes d’eaux usées alors que dans certains pays du Moyen-Orient comme la Jordanie ou Israël sont arrivés à un stade de zéro rejet d’eaux usées.  

Cependant, compte tenu du changement climatique et de la sécheresse, il faut parer au plus pressé et produire les milliards de mètres cubes manquants dans les usines de dessalement dans l’Atlantique ou la Méditerranée. Mais alors se pose le problème de la pollution de la mer par le rejet de saumure des méga stations contemporaines. 

Ce n’était certes pas un problème quand le dessalement était pratiqué par les navires militaires américains pour leurs seuls besoins de consommation. De même, les premières usines de dessalement – qui ne produisaient que quelques milliers de mètres cube – avaient un impact insignifiant sur l’environnement. Le saumur était rejeté par des diffuseurs à une vitesse qui limitait son impact sur la qualité de l’eau de mer.  

Le problème est devenu autre quand la sécheresse s’est installé et qu’il fallait faire face aux besoins en eau croissants de l’agriculture. Cette dernière consomme, à l’échelle mondiale, entre 65 et 85% des quantités d’eau disponibles. Les stations de dessalement capables de satisfaire ces besoins sont en même temps d’énormes sources de pollution. Le jeu en vaut-il la chandelle si pour produire un milliard de mètres cubes d’eau douce, il faut rejeter 300 à 500 de m3 de saumure ? Ce rejet augmente la salinité de l’eau de mer localement, perturbe les écosystèmes et affecte la biodiversité. Pour réduire leur impact environnemental, les usines de dessalement pompent l’eau de mer à quelques kilomètres des côtes. Cela permet de protéger les écosystèmes côtiers et de disperser la saumure sur de plus grandes étendues. De plus, en s’éloignant des côtes, on obtient une eau de meilleure qualité. 

 

Recherches pointues sur la valorisation de la saumure et le graphène 

L’autre atteinte à l’environnement du dessalement d’eau est la pollution chimique provoquée pas les usines. Elle provient des produits chimiques utilisés pour traiter l’eau de mer comme les agents coagulants, les désinfectants ou les antitartres, des résidus salins, des métaux lourds (plomb, mercure, arsenic) libérés par les réactions chimiques. Cette pollution chimique peut avoir un impact indirect sur la santé humaine et direct sur la biodiversité.   

Les recherches sur la valorisation des saumures sont encore embryonnaires, mais elles ont fait quelques avancées bien qu’elles ne puissent concerner que de faibles quantités. Elles portent sur la récupération des minéraux (sodium, calcium, magnésium et potassium), la production d’énergie à travers des systèmes comme l’osmose inverse ou l’électrodialyse, l’utilisation en agriculture (pour les cultures tolérant un haut degré de salinité), les applications industrielles (fabrication de produits chimiques ou de glace et la reforestation (création de systèmes écologiques comme les mangroves). 

Les recherches concernent de nombreuses sciences. Certaines pourraient apparaître comme n’ayant aucun rapport avec l’eau. Ainsi en est-il du graphène. C’est une matière innovante qui pourrait révolutionner les méthodes de dessalement de l’eau de mer. Les membranes de filtration à base de graphène peuvent être conçues pour filtrer plus efficacement l’eau de mer. Le graphène peut être fabriqué avec des pores de taille nanométrique qui permettent le passage rapide des molécules d’eau tout en bloquant les ions de sel. Les membranes à base de graphène peuvent être plus durables et plus biodégradables. Grâce à sa haute efficacité de filtration, le graphène est beaucoup moins énergivore que les membranes traditionnelles.