La dégradation des sols en Afrique compromet sa sécurité alimentaire et la durabilité de son développement. Le continent a perdu cinquante millions d’ha de terres fertiles en 50 ans. Chaque année, le continent perd plus de $ 4 milliards en nutriments du sol. Le rendement en céréales est quatre fois moindre que la moyenne mondiale. Contribuent à cette dégradation : l’érosion, la salinisation, la déforestation et l’exploitation excessive des terres. L’absence de rotation des cultures sont des facteurs aggravants. Lors du Sommet africain sur les engrais et la santé des sols, les dirigeants africains ont exprimé leur volonté de rétablir l’équilibre nutritionnel des sols du continent. Cette réunion, intitulée “Écouter la terre”, s’est déroulée du 7 au 9 mai 2024 à Nairobi, au Kenya, et a réuni plus de 4 000 participants, dont des ministres de l’Agriculture, des scientifiques, des représentants du secteur privé et des ONG.
La dégradation des sols
L’appauvrissement des sols est le défi majeur de l’ Afrique. Les pratiques agricoles traditionnelles, telles que la monoculture intensive et l’utilisation excessive d’engrais chimiques, épuisent rapidement les nutriments des sols. Cela conduit à une diminution de la productivité des terres, rendant les agriculteurs de plus en plus dépendants des engrais coûteux.
Le continent aurait perdu 650 000 km2 de terres fertiles en cinquante ans. Le déficit pluviométrique affaiblit la protection des sols, éclaircit couvert végétal et finit par provoquer leur asséchement. La dégradation des sols observée par la télédétection et l’imagerie satellitaire nous apprend que 70 à 80 % des surfaces cultivées du continent sont dégradées et affichent des pertes de 30 à 60 kg de nutriments par hectare et par an. Le rapport 2019 du GIEC, consacré aux relations climat-sols, est également particulièrement alarmiste : 46 % des terres africaines souffrent de dégradation, pouvant affecter les conditions d’existence de 485 millions de personnes.
Les pratiques culturales ont leurs responsabilités. Les mauvaises pratiques agricoles exacerbent les processus d’érosion, de salinisation et d’acidification des sols. Les terres mises en jachère disparaissent massivement dans les zones densément peuplées. La proportion de terres en jachère par rapport au total des terres agricoles en Afrique a diminué, passant de 40 % en 1960 à environ 10 % en 2022. Cela signifie que les disponibilités réelles encore inexploitées, et susceptibles de l’être pour les cultures majeures serait approximativement non pas de 105 millions, mais de l’ordre 50 millions d’ha.
Conséquences sur les rendements et l’environnement
Les rendements des principales cultures céréalières stagnent en moyenne à moins de 25 % de leur potentiel de rendement. On estime qu’au cours des 30 dernières années, sur environ 200 millions d’hectares de terres cultivées dans 37 pays africains, l’appauvrissement de la fertilité des sols par hectare a été en moyenne de 660 kg d’azote, 75 kg de phosphore et 450 kg de potassium (AGRA, 2023). Cette situation est attribuée à la faible utilisation de fertilisants organiques et minéraux sur des sols souvent très pauvres en nutriments, notamment en azote. L’analyse des écarts des rendements agricoles révèle que ceux de la majeure partie des produits agricoles en Afrique sont nettement inférieurs à la moyenne mondiale. Actuellement, la production d’une vache laitière ouest-africaine bien gérée est d’environ 500-1 000 litres par
an, lorsqu’une vache normande produit environ 6700 litres et une vache israélienne ou saoudienne produira 12 000 litres (AGRA, 2023). Pour les céréales, il est fréquent d’observer un écart de 1 à 4,5. La productivité des cultures fruitières (environ 5 tonnes l’hectare) en Afrique orientale, dans les pays côtiers de l’Afrique occidentale et en Afrique centrale n’atteint qu’environ la moitié de la moyenne internationale.
La dégradation des sols en Afrique a des conséquences néfastes sur l’environnement et des répercussions socio-économiques néfastes. La baisse de la fertilité des sols conduit à une diminution de la biodiversité. La désertification et l’appauvrissement des sols contribuent à l’exode rural, au chômage et à l’aggravation de la pauvreté.
Les États africains semblent avoir pris la mesure de l’extrême gravité de la dégradation de leurs sols comme en témoigne la Déclaration de Nairobi.
Les douze engagements de la Déclaration de Nairobi
Lors du Sommet, les chefs d’État et de gouvernement africains ont adopté la Déclaration de Nairobi sur les engrais et la santé des sols. Douze engagements clés ont été pris pour préserver et restaurer la santé des sols africains :
- Tripler la production et la distribution d’engrais de qualité certifiée d’ici 2034. L’augmentation de la production nationale et de la distribution d’engrais organiques et inorganiques est essentielle pour améliorer l’accès et la disponibilité financière de ces produits aux petits agriculteurs.
- Fournir des recommandations agronomiques ciblées aux petits agriculteurs. D’ici 2034, il est essentiel de fournir des recommandations spécifiques sur les cultures, les sols et les conditions climatiques afin d’améliorer l’efficacité et l’utilisation durable des engrais.
- Soutenir les efforts de production d’engrais à base de gaz naturel. Il est important d’encourager les États membres producteurs de gaz naturel à augmenter leur production d’engrais, garantissant ainsi leur disponibilité à des prix stables.
- Inverser la dégradation des terres et restaurer la santé des sols. Il est primordial d’agir rapidement pour inverser la tendance à la dégradation des terres, avec pour objectif de restaurer la santé des sols sur au moins 30% des sols dégradés d’ici 2034.
- Pleine opérationnalité du Mécanisme africain de financement des engrais (AFFM). Le Mécanisme africain de financement des engrais jouera un rôle crucial en soutenant la production, l’approvisionnement et la distribution d’engrais organiques et inorganiques, ainsi que les interventions liées à la santé des sols.
- Mobilisation des ressources financières et techniques par la Commission de l’Union africaine. La Commission de l’Union africaine a été chargée de mobiliser des ressources financières et techniques, en collaboration avec les fonds climatiques existants, pour concrétiser les engagements pris.
- Développer des politiques et des réglementations favorables. Formuler et mettre en œuvre des politiques et des réglementations qui encouragent les interventions en matière d’engrais et de santé des sols est essentiel pour créer un environnement propice à ces améliorations.
- Renforcer les capacités nationales en matière de pratiques et de technologies liées aux engrais et à la santé des sols. Il est important de développer les capacités nationales dans le domaine des pratiques et des technologies de gestion des engrais et de la santé des sols, adaptées aux spécificités locales.
- Promouvoir la solidarité africaine par le partage des connaissances et la formation. La promotion de la solidarité africaine est essentielle. Cela passe par le partage des connaissances, la formation et le transfert des meilleures pratiques en matière de fertilité et de santé des sols.
- Accessibilité aux services de vulgarisation et de conseil. Il est primordial d’assurer l’accès des petits agriculteurs à des services de vulgarisation de qualité sur les engrais et la santé des sols, provenant à la fois du secteur public et privé.
- Intégrer les recommandations de la Déclaration dans les plans nationaux d’investissement agricole. Les recommandations de la Déclaration doivent être intégrées aux plans nationaux d’investissement agricole pour assurer leur mise en œuvre efficace.
- Mobilisation des ressources financières adéquates. Les ministres des Finances doivent mobiliser et allouer des ressources financières adéquates pour mettre en œuvre les recommandations de la Déclaration.
En plus de la Déclaration de Nairobi, un Plan d’action décennal et le Mécanisme de financement du Plan d’action (AFFM) ont été approuvés lors du Sommet. Ces initiatives ambitieuses visent à améliorer systématiquement la santé et la productivité des sols en Afrique