Comprendre les enjeux de l'agriculture

La flambée des prix des engrais réduit considérablement la productivité des petits producteurs africains déjà confrontés aux dégâts du changement climatique. Dans les zones rurales, le triplement du prix des engrais depuis 2020 oblige les agriculteurs à revoir leurs prévisions à la baisse. Le continent africain est particulièrement touché par l’insécurité alimentaire, le monde agricole doit s’organiser pour maintenir la production de denrées alimentaires dans un marché des engrais déstabilisé par le conflit ukrainien. Les difficultés rencontrées par les agriculteurs sont aussi l’opportunité de revoir les pratiques agricoles en place et de promouvoir une fertilisation durable, notamment par le biais des engrais verts.

Les campagnes 2023 et 2024 s’annoncent d’ores et déjà perturbées et la volatilité des prix persiste, limitant les prévisions optimistes. A cela s’ajoutent des politiques nationales qui réquisitionnent la fabrication domestique pour préserver l’autonomie alimentaire.

Contrairement aux agriculteurs subventionnés des pays développés, les petits exploitants familiaux qui représentent la majeure partie du monde agricole africain ne peuvent pas survivre, ni engager les transitions nécessaires, faute de moyens.

Les pays africains doivent s’organiser pour garantir certains approvisionnements d’engrais (ou d’énergie) au profit de leurs agriculteurs. L’objectif est la sécurité alimentaire mais aussi le maintien des ressources pour éviter les migrations de population.

Les dirigeants africains estiment que les pays les plus développés favorisent la pénurie et la flambée des prix en stimulant leur propre consommation par le biais de subventions à l’agriculture ou en stockant des engrais alors qu’ils pourraient revoir leur modèle de consommation.

En Afrique subsaharienne, les agriculteurs utilisent 22 kg d’engrais par hectare contre 146 kg en moyenne dans le monde et jusqu’à 400 kg en Chine ou au Chili. A ces disparités s’ajoute la problématique des pollutions engendrées par ces engrais dont une partie seulement remplit son objectif, la croissance des plantes.

Dynamiser les échanges continentaux

Le continent africain produit annuellement une grande quantité d’engrais, 30 millions de tonnes, mais les difficultés à organiser les échanges continentaux poussent les acheteurs à importer leurs engrais.  Au Nigéria, une des plus importantes usines de fabrication d’engrais à base d’urée exporte sa production vers l’Amérique latine, les agriculteurs locaux sont contraints de trouver d’autres filières d’approvisionnement.

L’établissement de la Zone de Libre Échange Africaine a vocation à faciliter et à normaliser les échanges commerciaux et les déplacements entre les pays d’Afrique signataires.

Quelques initiatives extérieures permettent un approvisionnement ponctuel :

Ces aides, bienvenues, permettent des approvisionnements vitaux pour la sécurité alimentaire en Afrique mais elles ne doivent pas détourner les États de l’objectif d’une souveraineté alimentaire.

Au Kenya, un programme de la Banque mondiale permet aux exploitations familiales de recevoir des bons pour s’approvisionner localement. Ce dispositif a permis d’améliorer la productivité agricole et de dynamiser l’activité locale.

Modifier les pratiques fertilisantes

L’utilisation des engrais en agriculture ne peut se restreindre à une question de subvention à l’achat, leur application doit faire l’objet d’une stratégie au même titre que la main d’œuvre ou les équipements : plus de disponibilité, une meilleure composition et un usage plus ciblé.

L’Afrique peut construire un modèle agricole moins dépendant aux intrants. Les agriculteurs doivent être soutenus dans leur transition vers une fertilisation raisonnée et verte.

La préservation de l’environnement ne peut indéfiniment s’opposer à la production agricole et à la sécurité alimentaire, il existe des pistes pour fertiliser plus durablement les sols. Les politiques en faveur d’une production « aveugle » par le biais d’artifices chimiques conduisent à un appauvrissement des sols, en contradiction avec les objectifs de sécurité alimentaire.

Les avancées scientifiques sur le génome des plantes et sur leurs mécanismes de croissance dans les différents milieux permettent ces innovations en matière de fertilisation et d’application.

La communauté agricole (cultivateurs et éleveurs), régulièrement mise sur la sellette, attend impatiemment ces innovations pour renforcer sa légitimité et échapper à une sentence écologiste plus radicale. Les engrais chimiques sont accusés de tous les maux : émissions polluantes, ruissellements agricoles, surcoûts, risque sanitaire.

Pour rester dans la course, les chimiquiers doivent proposer des fertilisants plus « verts » agissant en synergie avec la nature, à base d’additifs ou d’engrais à vocation environnementale. Les groupes comme Bayer, Corteva ou Archer-Daniel-Midland s’adossent à des startups innovantes qui proposent des alternatives organiques ou microbiennes.

L’action n’est pas seulement motivée par une volonté environnementale, elle est aussi le fruit de la guerre en Ukraine et des aléas liés à l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la fabrication des engrais conventionnels et à la fluctuation de leur cours.

Innovations vertes dans les engrais

Certaines startups conduisent actuellement des travaux sur la capacité des microbes à améliorer l’assimilation des nutriments par les plantes.

Sound Agriculture Co., startup californienne, est l’une d’elles. Soutenue par Bayer, elle fabrique des molécules stimulantes qu’elle commercialise sous le nom « Source ». Celles-ci favorisent le captage d’azote atmosphérique par les microbes, son assimilation par les plantes et la décomposition du phosphate dans le sol.

Les premiers essais démontrent que cet actif stimulant augmente d’un tiers la productivité lorsqu’il est utilisé en complément d’un engrais traditionnel, permettant aussi à l’utilisateur de supprimer 30% d’azote synthétique.  La startup constate un allongement des racines des plantes traitées.

Les investisseurs sont tout aussi optimistes puisqu’ils leurs investissements dans l’AgTech ne cessent de croître depuis quelques années, plus de $10 milliards en 2021 et un record attendu pour 2023.

A l’image de Sound Agriculture Co., le géant Corteva Inc. propose aussi un produit innovant, sous forme de poudre. « Utrisha N » facilite la fixation de l’azote par les plantes et sa conversion en ammoniac.

Un autre groupe, Archer-Daniel-Midland, mène des essais sur un nouveau composant sans traitement chimique et moins polluant à l’usage.

La société norvégienne Yara International ASA programme le lancement d’un engrais à base de déchets organiques, une fabrication assurée par l’énergie hydraulique, 90% moins polluante que celle au gaz. Malgré la guerre en Ukraine, ce leader européen des engrais azotés a affiché un bénéfice net de $2,78 milliards en 2022 contre $449 millions l’année précédente avec un Chiffre d’affaires en hausse de 45%.

Même si Svein Tore Holsether, Directeur de Yara, se félicite de la réactivité de son groupe face aux pénuries d’approvisionnement de gaz et à l’envol des coûts, il s’inquiète des $430 milliards de subventions promis par le gouvernement américain à ses industries vertes dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA).

L’Europe pourrait se faire distancer et l’Afrique voir s’éloigner encore ses objectifs de souveraineté.

Source : ConnaissancedesEnergies.org, notre-planete.info, Maroc Diplomatique