Comprendre les enjeux de l'agriculture

Il y a quelques années, lors du sommet spécial à Abuja au Nigéria, les engrais avaient fait l’objet d’une résolution portant sur leur optimisation en agriculture et invitant les Africains à favoriser les fertilisants organiques.  Dans toute l’Afrique, des initiatives innovantes apparaissent, la plupart du temps lancées par des agronomes ou des paysans. Les expérimentations de fertilisation organique se multiplient répondant à plusieurs attentes : limiter le coût des intrants, en réduire la dépendance, recycler des déchets et redonner de la fertilité aux sols.

Les engrais fournissent aux plantes le support de croissance et la résistance nécessaire à garantir la récolte.

Le microdosage est un premier levier d’optimisation. Phillip Tshuma, agriculteur au Zimbabwe le pratique et constate une amélioration de ses gains sans perte de productivité. Selon lui, cette technique permet de réduire par cinq la quantité d’intrants à l’hectare.

La tendance est à un usage d’engrais organiques, c’est-à-dire des fertilisants contenant uniquement des composants issus des plantes et des animaux : fumier, feuilles, compost…, par opposition aux engrais chimiques.

L’efficacité des engrais organiques est soumise à des contraintes environnementales : plus les sols sont chauds et humides, plus ils sont efficaces. L’Afrique mise beaucoup sur ceux-ci pour améliorer la production agricole de manière durable.

Les calendriers fixés par les organisations internationales en termes d’ODD ou par l’Afrique elle-même à travers l’Union africaine (UA) sont peu respectés.

Les raisons sont structurelles, géopolitiques ou climatiques mais les pays africains doivent continuer à investir dans la recherche et l’innovation portant sur la fertilisation organique, notamment pour les petits exploitants qui gagneront ainsi en résilience.

L’enjeu est important, le paysage agricole africain est composé de nombreuses exploitations familiales de petite taille et l’agriculture africaine est faiblement utilisatrice (12 kg/hectare dans la majorité des pays africains) contrairement à l’agriculture malaisienne (1570 kg).

L’Association internationale de l’industrie des engrais (IFA) qui regroupe plus de 400 membres, producteurs ou distributeurs d’engrais, collabore avec la FAO pour améliorer la connaissance et les pratiques en faveur de la fertilité des sols.

Elle œuvre à la mise en place d’un nouvel écosystème de la fertilisation :

Même si l’Afrique est un marché potentiel important pour les fertilisants, le continent reste un acheteur secondaire comparé au Brésil, à la Chine, à l’Inde et aux États-Unis. D’importants efforts sont à faire sur la productivité et la montée en compétences dans le secteur agroalimentaire.

En 2016, la FAO préconisait déjà dans son rapport « État des ressources en sols dans le Monde » la réintroduction des déchets d’exploitation dans les sols pour maintenir leurs richesses, des résidus de cultures et des matières organiques diverses.

Le 30 juillet dernier, lors d’un webinaire africain intitulé « Agriculture en Afrique et flambée du prix des engrais : enjeux et perspectives », les experts présents ont exprimé la même recommandation, à savoir promouvoir et accélérer la production locale d’engrais organiques.

La hausse des prix des intrants a dissuadé certains agriculteurs à abandonner certaines cultures consommatrices en engrais ou à abandonner leurs cultures, mettant en péril une sécurité alimentaire déjà fragile.

Pour Pascaline Yao, agroécologiste en Côte d’Ivoire, produire soi-même son engrais organique c’est se libérer des contraintes de disponibilité et de prix tout en abordant la transition verte, d’autant que le Centre international pour le développement des engrais (IFDC) prévoit un maintien des prix des engrais, voire une hausse de leur prix en 2023.

Sur le continent africain, des jeunes startupers ou des agriculteurs expérimentent des solutions fertilisantes alternatives.

Recyclage des cheveux en engrais organiques

Des étudiants tanzaniens ont eu l’idée de recycler les milliers de kilos de cheveux pour en faire un engrais distribué aux agriculteurs de la ville d’Arusha.

La startup, Cutoff Recycle, tire profit de la grande quantité de kératine, carbone, oxygène et azote présents dans la fibre capillaire pour fabriquer un intrant naturel riche en nutriments.

L’élaboration de cet engrais liquide a nécessité trois mois d’essais en laboratoire. Le traitement à l’hydroxyde de potassium permet d’obtenir un litre d’engrais liquide avec seulement 50 grammes de cheveux pour un prix de vente inférieur à un euro.

Les deux créateurs espèrent une certification « bio » de leur engrais afin de pouvoir augmenter leur volume de vente.

Les cheveux sont aussi un excellent ingrédient dans la fabrication du compost.

Engrais à base d’herbes aquatiques

Au Burkina Faso, des femmes ont eu l’idée de fabriquer leur propre engrais à partir d’herbes aquatiques qu’elles mélangent à d’autres déchets organiques.

Cette initiative de valorisation s’appelle Jardin Green Hope, une entreprise située à Kaya, dans l’est du pays.

Des jacinthes d’eau qui envahissent habituellement les plans d’eau sont recueillies puis traitées par les femmes du village qui commercialisent le produit fini auprès des agriculteurs locaux, sous forme de sacs de 50 kg vendus 8 euros l’unité.

L’objectif est double, l’apport en nutriments pour les sols et une opportunité pour les femmes des zones rurales de s’impliquer dans le développement économique de la région.

Jardin Green Hope s’est associé à des partenaires pour étendre son activité et assurer le traitement des déchets organiques dans les grandes villes du pays.

Engrais d’urine

A la frontière rwandaise, des agriculteurs cultivent des haricots fertilisés avec de l’urine vendue $6 à $8 le litre.

Olivier Maheshe, habitant de la région, s’est lancé dans la commercialisation. Son bidon de 20 litres s’est vendu 12.000 francs CFA (environ 18 euros).

Les jeunes agriculteurs demandent le soutien du gouvernement pour développer la commercialisation et l’usage de cet engrais naturel. En plus de fertiliser les sols, l’urine tue les insectes.

Un litre d’urine offre au sol de l’azote (6 gr), du potassium (2 gr) et du phosphore (1 gr), les trois nutriments essentiels à la croissance des plantes.

L’application d’urine est possible après 30 jours de stockage afin d’éliminer l’effet de l’acide et sous une forme diluée pour éviter de brûler la plante.

Devant le succès de l’expérimentation, le prix de l’urine devrait augmenter en 2023.

Les ordures ménagères

 Pour faire face à l’usure des sols par l’excès d’intrants chimiques et leur apporter les nutriments nécessaires, un agronome burkinabé produit un engrais biologique qu’il a appelé Nekyam.

Aimé Kaboré utilise cet engrais depuis deux ans et transforme son ancienne parcelle stérile en une surface prolifique où poussent papayes, poivrons, arachides, mangues…

Ses employés récupèrent les déchets organiques et les mettent dans des bassines, ils y ajoutent champignons et matières minérales pour préparer l’engrais qui sera traité dans un séchoir pour obtenir une poudre.

Les déchets organiques proviennent de l’industrie agroalimentaire locale et de la ville de Ouagadougou, 800 kg sont ainsi récupérés chaque jour.

L’agronome compte plus de 2000 clients agriculteurs. Parmi eux, Issaka Ouedraogo, paysan d’une cinquantaine d’années constate aussi la transformation de son sol sablonneux en une terre noire fertile avec un rendement amélioré d’environ 40%.

Le marché potentiel est important, le Burkina Faso comprendrait 9 millions d’hectares de terres agricoles dégradées par les engrais chimiques selon la FAO.

Ces expériences de fertilisation naturelle, accessible à tous, ouvre des opportunités aux populations locales. Celles-ci peuvent espérer produire leurs propres denrées sur des terres apparemment improductives, se nourrir et générer un petit revenu.

L’étape suivante est d’industrialiser les expérimentations pour répondre au besoin des agriculteurs d’un pays, voire du continent.

 

Source : Afrik21, Ecofin, Geneva Solutions, VOA