Comprendre les enjeux de l'agriculture

Chaque innovation suscite des craintes : sécurité, exclusion, monopole…. l’agriculture 4.0 n’y échappe pas. Les agriculteurs conviennent de la nécessité d’établir des pratiques plus résilientes et plus rentables mais ils craignent une agriculture moins inclusive qui concentrerait le principe de sécurité alimentaire aux mains de quelques-uns. La digitalisation des exploitations et des élevages permet une collecte croissante de data qui doit être compensée par une véritable plus value pour l’exploitant.

Les agriculteurs restent les premiers acteurs de la transition et du développement rural avec l’objectif d’améliorer leurs conditions de travail et de vie.

Des collectifs composés d’agriculteurs soutiennent depuis longtemps les pratiques innovantes, à l’image de l’Association des agriculteurs vietnamiens créée en 1989 et qui a déjà accompagné de nombreuses transitions locales sur les trois dernières décennies.

Aujourd’hui, la l’innovation technologique est un levier incontournable des transitions durables, un moyen de préserver les ressources en offrant plus de gains, à tous les niveaux. Les agriculteurs se tournent vers la technologie pour faciliter l’exploitation et améliorer leur productivité.

Ainsi, un élveur piscicole explique que face à la volatilité des prix à la vente, il a réduit le risque en intégrant une chaîne automatisée de transformation du poisson puis en élargissant ses activités à l’agrotourisme. Des diversifications rendues possibles par une meilleure productivité, des gains supplémentaires et une adoption des canaux modernes : réseaux sociaux, réservation en ligne….

Le commerce en ligne est un pan important du développement de l’économie rurale, au niveau de l’écoulement des denrées ou de la communication au grand public.

L’agriculture 4.0 prend différentes formes : automatisation, modélisation des données, modifications génétiques, contrôle des indicateurs environnementaux….

Elle apporte productivité, préservation environnementale, bien-être des agriculteurs et des élevages mais elle contribue aussi à alimenter la connaissance liée au secteur agricole et à la production alimentaire.

Cette compilation de données permet d’établir des politiques publiques plus éclairées ou de lancer des programmes plus pertinents.

Les limites de la numérisation agricole

La préoccupation est d’assurer que ces avancées technologique profite à la communauté rurale sans privilégier quelques exploitants industriels ou acteurs agroindustriels.

Au printemps derniers des agriculteurs français ont manifesté devant l’une des Directions départementales des territoires pour rappeler que si le numérique, la robotique et la génétique sont des outils au service d’une agriculture plus performante ils risquent aussi d’exclure les exploitations de petites tailles.

L’automatisation des exploitations et l’optimisation des ressources visées par l’Agriculture 4.0 impliquent un haut niveau d’investissement en équipements, matériels et logiciels qui produisent aussi des pollutions, à l’image de la pollution numérique.

Les agriculteurs craignent surtout pour leur souveraineté si des acteurs externes détiennent des informations concernant leurs activités et contrôlent les stratégies agricoles, sans réel plus-value pour leur profession. L’OCDE a d’ores et déjà invité les États à pratiquer une surveillance satellitaire pour mesurer les activités agricoles et , éventuellement, sanctionner les exploitants.

Produire en 4.0, la révolution agricole

Ces dernières années, les startups de l’agritech innovent avec des solutions numériques qui visent l’accès au marché, les financements, la formation, parfois le bien-être des animaux comme l’application Ebene  qui permet une évaluation basée sur des critères d’alimentation, de santé et de comportement.

La transformation annoncée succède à la mécanisation survenue dans les années 50 puis à la fertilisation chimique des années 60.

Le soutien des gouvernements au numérique agricole pourrait tenter certains de repartir dans une course aux rendements sous le prétexte d’une optimisation de la consommation des ressources alors que certains experts prônent une autre agriculture, plus raisonnée.

En France, la recherche agricole consomme plus d’un milliards d’euros de budget public. Les pouvoirs publics place le numérique comme vecteur principal du développement et travaille à l’instauration d’un écosystème agricole numérique :

  • La Ferme Digitale, association de promotion de l’innovation et du numérique au profit d’une agriculture performante et durable, a édité un rapport sur les besoins de ce nouvel écosystème. Cet état des lieux des opportunités numériques en milieu agricole a été remis au ministère de l’Agriculture en début d’année ;
  • DigitAg, hub français de la recherche scientifique sur l’agriculture numérique, a reçu une dotation de 10 millions d’euros pour faire converger les recherches agronomiques, informatiques, mathématiques, économiques et sociales en mobilisant quelque 570 experts ;
  • Public Sénat diffuse aussi, via sa chaîne Youtube, des contenus de promotion du numérique dans l’agriculture.

Il semble que la question agricole se résume à la question numérique. L’agritech lève majoritairement des fonds dans le cadre d’innovations liées à la robotique et à l’IA. Ce sont parfois des financements publics qui permettent ces innovations reprise ultéreurement par des multinationales plus intéressées à une indutrialisation agricole.

Dépendance et uniformisation

A son arrivée au pouvoir Joe Biden avait relevé l’abus de pouvoir des fabricants de tracteurs, obligeant les agriculteurs à faire appel à leur SAV en cas de panne. Des décrets avaient été pris pour laisser aux exploitants la liberté de choix de choisir leurs prestataires de service.

En France l’Atelier Paysan veille à la subsistance d’un parc de matériels agricoles réparables librement, ce « droit à la réparation » offre aux agriculteurs plus de résilience et limite les coûts de fonctionnement.

Les craintes du milieu agricole portent aussi sur la manipulation génétique, rendue plus performante grâce au support de l’intelligence artificielle appliquée à une data dont le volume croît. Les objectifs de rentabilité et les critères de sélectivité des variétés (distinction, homogénéité et stabilité), favorisent l’uniformisation du monde végétal alors que la biodiversité apparaît comme l’unique levier de résilience environnementale.

Sur ce thème, ce sont encore des communautés qui veillent comme le Réseau Semences Paysannes pour la France ou La Via Campesina en Amérique latine.

Que ce soit pour la mécanisation, les intrants chimiques ou, aujourd’hui, la numérisation, l’homme impose au « vivant » de s’adapter aux innovations en poussant à l’uniformisation des surfaces et des variétés alors que la diversité est favorable à l’environnement.

Quid des données ?

Les nouvelles technologies produisent une quantité non négligeable de données diverses sur les exploitations :

  • Sols ;
  • Azote et autres nutriments ;
  • Semences ;
  • Engrais et pesticides ;
  • Qualité et quantité des récoltes…

Ces données sont parfois collectées à l’insu des agriculteurs et commercialisées à des tiers. Lorsque les agriculteurs l’acceptent, ce partage de données peut permettre d’élaborer des solutions adaptées aux besoins agricoles. Ainsi AGCO Corp, quatrième constructeur mondial de tracteurs, a modifié sa politique de protection des données à la demande de ses clients désireux de recevoir des conseils ou des solutions personnalisées.

Il existe enfin aussi un risque de perte ou de vol des données par des hackers avec un risque d’actions malintentionnées sur les productions de denrées et l’approvisionnement des marchés.

Dans tous les cas, le consentement à la libre circulation des données dépend de la finalité.

Les opportunités du numérique

L’agriculture 4.0 promet un accès facile à diverses expertises appuyées par des données collectées sur le terrain, tandis que les réseaux sociaux restent un lieu de conseil, de soutien et d’échange.

Si la data générée expose les agriculteurs à la perte du savoir agricole et de la maîtrise des productions, la sécurité alimentaire s’en trouve menacée. La transition numérique doit, au contraire renforcer les communautés paysannes et leurs capacités à rendre accessibles au plus grand nombre les savoir-faire. Le bénéfice sera alors collectif et durable.

Source : Le JDD, Le Courrier du Vietnam