Les échanges commerciaux de grains pour la campagne 2022-2023 sont d’ores et déjà estimés à 407 Mt par le CIC. Les capacités d’exportation des pays exportateurs majeurs de céréales de la planète suffiront à peine pour couvrir les besoins des pays importateurs, méditerranéens en tête. La planète n’est pas à l’abri d’accidents climatiques, d’une extension du conflit entre la Russie et l’Ukraine et des déficits abyssaux qui en résulteraient. L’incertitude est la seule certitude.
La campagne céréalière 2022-2023 ne sera pas un long fleuve tranquille. Le Conseil international des céréales (CIC) estime d’ores et déjà la production mondiale de grains à 2 274 millions de tonnes (Mt) (hors riz) et déficitaire de près de 27 Mt.
Pour répondre à la demande mondiale de céréales au cours des prochains mois, les pays exportateurs de grains savent qu’ils puiseront dans leurs stocks d’invendus de la campagne passée. Mais les experts des marchés n’excluent pas une pénurie mondiale de grains dans les prochains. Aucun pays producteur n’est à l’abri d’un accident climatique.
En France, les cours du blé de l’ancienne récolte, mais aussi de la nouvelle de 2022-2023, ne cessent de battre des records. Car au fil des semaines, ce ne sont pas tant les prix des céréales qui posent problème mais tout simplement leur disponibilité.
Production marocaine à la peine
Depuis que la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine, on ne compte plus les pays structurellement importateurs de grains qui peinent à s’approvisionner.
Dans son dernier rapport le CIC intègre, dans ses prévisions, les premiers impacts de la guerre entre la Russie et l’Ukraine mais aussi les millions de tonnes de blé et d’orges que le Maroc n’est pas en mesure de produire cette année. Depuis l’automne dernier, le royaume chérifien est confronté à une sécheresse sans précédent qui a conduit les paysans à réduire les surfaces emblavées.
Aussi, le CIC annonce une récolte marocaine de blé, d’orges et de blé dur, inférieure de 80 % à celle de l’été dernier. Seules 2,3 Mt de blé (- 69 % sur un an), 0,6 Mt d’orges (2,8 Mt) et 0,6 Mt de blé dur (2,5 Mt) seraient récoltées.
Au cours de la campagne 202-2023, le royaume chérifien devra importer 6,1 Mt de blé (+2,1 Mt), 0,5Mt d’orges (+0,2 Mt) et 1,2 Mt de blé dur (+0.6Mt).
L’ensemble des pays d’Afrique du Nord devra acheter 29 Mt de blé, 2,1 Mt d’orges et 16 Mt de maïs. L’été prochain, ils ne produiraient que 17 Mt blé, soit 3 Mt de moins qu’en 2021, selon le CIC. Chaque année, la croissance démographique de ces pays se traduit par des besoins supplémentaires.
Réduction de 44 Mt des céréales disponibles
En Ukraine, le CIC table sur une production de céréales de 65 Mt, réduite de 26 Mt par rapport à la celle de l’année passée. Seules 20 Mt seraient ainsi disponibles à l’export, en ajoutant les céréales invendues et stockées depuis l’entrée en guerre du pays (environ 5 Mt).
Mais le CIC fait l’hypothèse que le conflit entre la Russie et l’Ukraine n’entravera pas la fluidité des exportations de grains depuis les ports de la Mer Noire et d’Azov. Or le trafic maritime est actuellement interrompu en Ukraine et les sanctions commerciales imposées à la Russie pourraient s’étendre à ses ventes de céréales. A moins que ce ne soit tout simplement les pays importateurs de grains qui décident de s’en détourner pour s’approvisionner.
Le 26 avril dernier, Ukragroconsult, la société d’expertise des marchés agricoles du bassin de la Mer Noire, a publié des prévisions bien plus pessimistes que le CIC. Moins de 50 Mt de blé, d’orges et de maïs seraient produites cette année. En prenant en compte les stocks de blé invendus, le pays pourrait exporter jusqu’à 19 Mt de blé. En période de guerre, l’incertitude est la seule certitude.
Au mois de mars dernier, l’Ukraine avait expédié 3 Mt de blé vers le Maghreb. L’Egypte importe du bassin de la Mer Noire la quasi-totalité du blé qu’elle achète chaque année (12 Mt).
Depuis quelques semaines, les pays maghrébins tentent de revoir leurs stratégies d’approvisionnement en se tournant notamment sur l’Union européenne. Or de nombreuses options ont déjà été posées sur une grande partie des céréales exportables.
Quelques bonnes nouvelles cependant. L’Inde s’impose de plus en plus sur le marché de l’export du blé. Et tout porte à croire que le Canada redeviendra un des pays exportateurs majeurs de grains de la planète après une année de sécheresse torride.
En fait, la prochaine campagne mondiale de céréales s’annonce non seulement déficitaire mais aussi déséquilibrée. En Russie, le potentiel de production est très élevé (82 Mt ; + 7 Mt sur un an) alors que les récoltes des autres pays exportateurs majeurs sont estimées dans la moyenne des campagnes précédentes.
Par ailleurs, l’Ukraine peut toujours être empêchée d’exporter ses céréales et la Russie être tentée de brandir l’arme alimentaire – en ne vendant ses céréales qu’à des pays « Amis ».
Dans ce cas de figure, les quantités de blé potentiellement disponibles à l’export dans le monde seraient réduites de 44 Mt.
Or ces 44 Mt susceptibles de manquer équivalent à l’ensemble des importations de la céréale importées par les pays du pourtour méditerranéens, du Maroc à la Turquie, à une ou deux millions de tonnes près! Or si elles manquent, quel pays prendra le relais ?
Vers une pénurie d’orge au Maghreb
En tenant des raisonnements similaires pour l’orge et le maïs, on aboutirait à des conclusions similaires.
Pour l’orge, seules 29 Mt seront disponibles à l’export dans le monde au cours de la prochaine campagne, dont 5 Mt d’origine russe et ukrainienne.
Or si ces 5 Mt équivalent aux importations de l’Arabie saoudite ou encore à la moitié des achats annuels de la Chine, pas prête à renoncer à ses importations. Et face à ces pays, qui ont les moyens d’acheter leurs céréales chères, les pays d’Afrique du Nord (2,2 Mt d’orges importées) seraient alors dans une mauvaise posture pour pourvoir à leurs besoins.
Enfin, empêcher l’Ukraine d’exporter les 16 Mt de maïs dont elle disposerait l’automne prochain (source CIC), reviendrait à priver d’importations l’Union européenne ou les pays d’Afrique du Nord. Alors que dans le reste du monde, aucun pays ne serait alors en mesure de prendre le relais de l’Ukraine.
La Chine imprévisible
Avec ses stocks dantesques, l’équivalent d’une année de consommation, la Chine brandit à sa façon l’arme alimentaire. Elle est le premier pays importateur au monde de grains et il a les moyens de financer ses achats. Chacune de ses transactions commerciales chinoises portent sur plusieurs millions de tonnes de céréales.
Lors de la prochaine campagne, l’Empire du milieu est susceptible d’importer 53 Mt de grains pour combler une grande partie de son déficit de production.
Dans le contexte géopolitique actuel, l’attitude adoptée par l’Empire du milieu sur les marchés des céréales sera donc déterminante.
Renoncer à une partie de ses achats en puisant sur ses stocks pour couvrir ses besoins rendrait les marchés des céréales plus fluides et ferait baisser les cours. Ce choix serait alors un signe d’apaisement et de soutien envoyé aux pays occidentaux dans l’incapacité de compenser seuls la pénurie de grains qui se profile depuis que le trafic maritime de la Mer Noire est en grande partie fermé. Les pays émergents redoutent de nouvelles émeutes de la faim.
Acheter toujours plus de grains pour sécuriser ses stocks conduirait à penser que l’Empire du milieu prend parti pour la Russie dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. La Chine ferait ainsi fi des besoins de dizaines de millions d’habitants qui manquent de céréales pour se nourrir en achetant et stockant tout le grain disponible sur les marchés mondiaux des céréales.
Encadré :Et l’Afrique ?
La guerre a coupé l’Afrique de deux sources majeures de céréales. Selon la Fao, 14 nations africaines dépendent de la Russie et de l’Ukraine pour moitié de leur consommation de blé. L’Érythrée (100 %), la Somalie (plus de 90 %) et l’Égypte (près de 75 %) figurant en tête de liste. Globalement, les importations de blé représentent 90 % des 4 milliards de dollars d’échanges commerciaux de l’Afrique avec la Russie et près de 50 % de ses 4,5 milliards de dollars d’échanges avec l’Ukraine, selon la Banque africaine de développement.