La politique agricole commune européenne décloisonne les agricultures. Les aides spécifiques au bio laissent la place à une politique d’accompagnement à la transition de tous les systèmes agraires. 35% du budget national de développement rural des États membres devra soutenir diverses mesures liées à l’environnement et au climat quel que soit le modèle agricole pratiqué. L’agriculteur devra faire preuve de résilience et accepter de revoir son modèle agricole.
Le décloisonnement s’opère en amont. Partout le monde de la recherche collabore avec le privé et le public. De nombreuses universités créent des hubs de développement où chercheurs, entreprises et financeurs se rejoignent pour innover et faire évoluer les connaissances et les technologie dans différents domaines.
Du fait de l’insécurité alimentaire, mise en lumière par la pandémie, l’agroalimentaire prend une place privilégiée au sein de ces partenariats. Le contexte se prête à l’adoption de systèmes agricoles adaptables, non figés, capables de maintenir une production suffisante face au triple défi d’une population mondiale croissante, d’un climat défavorable et d’objectifs durables imposés.
Les experts disposent de parcours professionnels hybrides mêlant compétences technologiques et managériales et travaillent selon des schémas nouveaux. En France par exemple, les Chambres d’agriculture interviennent plus profondément dans la vie de l’agriculteur, ne se contentant plus d’être des référents d’information. Dans le plan stratégique 2019-2025 il est ainsi question d’accompagner l’agriculteur dans sa transition vers de nouveaux modèles agricoles ou de faciliter la création de canaux de distribution entre le producteur et le consommateur.
Les territoires deviennent hybrides. En un même lieu, on peut trouver un espace classique de production accolé à un centre de recherche, une startup ou un espace de vente directe aux consommateurs, à l’image de L’Hermitage dans les Hauts-de-France, un lieu partagé entre entrepreneurs, ONG, formateurs, collectivités et étudiants. Le capital humain devient aussi hybride.
Le commerce des denrées alimentaires prend deux formes : distanciel ou présentiel. L’hybridation permet de choisir en magasin pour se faire livrer à domicile ou, au contraire, de choisir en ligne pour retirer sur le point de vente.
Ce phénomène d’hybridation influence nos modes d’organisation, les choix sont provisoires et modulables. Chaque acteur de la chaîne agroalimentaire peut réviser son offre suite à une pénurie de denrées, une restriction de circulation ou un changement de politique publique.
Profil hybride de l’entrepreneur agricole
Le succès de l’entrepreneuriat dans les activités liées au monde agricole est aussi le signe d’une volonté de sortir d’une expertise unique (technique, commerciale, financière…) et se soumettre à la polyvalence requise pour un chef d’entreprise. L’esprit d’entreprise agricole pourrait contrebalancer la tendance à la concentration des exploitations et des emplois. D’ici cinq ans, en France, la moitié des exploitants doit prendre sa retraite et les vocations sont en nombre insuffisant : 70.000 opportunités d’emploi ne trouvent pas preneur dans le secteur agricole français.
Les nouvelles installations d’agriculteurs ne compensent pas les départs mais une tendance apparaît : en Bretagne par exemple, environ 700 nouveaux agriculteurs jeunes mais il en faudrait 1000 pour compenser les abandons.
Selon l’INRAE, la profession a besoin de nouvelles vocations pour assurer le remplacement des partants. En 2018, un peu plus de 60% des nouveaux agriculteurs venaient d’un autre secteur, souvent des urbains en reconversion en quête de sens. Ils acceptent une baisse de leurs revenus mais aussi et doivent réduire leurs dépenses. Ces néo-paysans sont qualifiés de Nima pour « non issus du monde agricole ». Ces profils hybrides arrivent, soutenus par les dispositifs d’aide à l’installation
- Dotation jeune agriculteur ;
- Accélérateur de startups rurales.
Ces profils atypiques imaginent de nouvelles méthodes face aux obstacles qu’ils rencontrent. Ils introduisent dans l’agriculture moderne leurs connaissances et compétences issues de leur précédent parcours professionnel. Ils développent par exemple des activités de transformation à l’intention des restaurants ou proposent un service de drives fermiers.
En sus de leur multi-activité, les exploitations produisent des énergies renouvelables (biomasse, éolien, photovoltaïque). En 2015, l’Agence de la maîtrise des déchets et de l’énergie (ADEME) estimait que 2% des revenus agricoles provenaient de cette production énergétique.
Les nouveaux agriculteurs introduisent des expérimentations et la transition agricole vers de nouveaux :
- Modèles économiques ;
- Circuits de distribution ;
- Partenariats ;
- Manières de cultiver ou d’élever ;
- Modes de vie sur l’exploitation ;
- Modèles organisationnels
La préoccupation du monde agricole s’est aussi diversifiée, l’agriculture a toujours pour but de nourrir la population mais les exploitants considèrent aussi qu’ils passent un pacte avec la nature en embrassant un « métier du vivant ». Ce terme s’applique aux acteurs de l’agriculture , de la pêche, de l’agroalimentaire, des paysages et de la forêt. Leur vision élargie de l’agriculture les rend plus résilients, les sources de profit sont diversifiées, les systèmes sont réactifs, la diversité professionnelle attire les plus jeunes sans parler des opportunités offertes par les nouveaux outils technologiques qui facilitent la collecte, le traitement et l’échange de données.
L’agriculture est le terrain idéal pour pratiquer le learning-by-doing.
Culture et élevage, l’exploitation hybride
Les deux activités se combinent désormais au sein d’une même exploitation, avec plus de respect des terres, de l’animal et de l’humain dans un pacte de bien-être basé sur le respect des rythmes.
L’exploitation peut prendre la forme d’un pâturage tournant dynamique bénéfique pour les cultures et les animaux ou celle d’un élevage laitier avec des rythmes de traite adaptés pour faciliter la vie des ouvriers agricoles (une seule traite, pas de transformation).
La surveillance du cheptel se fait aussi en mode hybride, plus classiquement par une surveillance humaine ou numériquement grâce à l’IA par le biais d’animaux sentinelles au sein du troupeau. L’entreprise Econect propose une solution de capteurs embarqués qui mesurent la pollution émise par l’élevage.
Le tout numérique n’est pas souhaitable car il déshumanise l’activité agricole mais il est utile pour faciliter l’information et améliorer la qualité de vie de l’agriculteur. L’innovation agricole ne se résume pas à l’inclusion du numérique dans les exploitations. Elle est aussi sociale, environnementale et économique.
L’agriculture, au-delà de la simple production alimentaire
Il faut arriver à casser l’image d’une agriculture rurale et donc isolée. Les circuits courts sont un premier lien entre producteurs et consommateurs, ils offrent une notoriété à la filière agricole. A l’instar d’une entreprise qui s’implante dans une région, l’agriculture constitue un socle de développement territorial.
A la ferme du Moulin des Essarts, la fondatrice explique que sa vocation n’est pas seulement la production alimentaire, elle se voit aussi comme un catalyseur pour la communauté, une créatrice de liens sociaux, une formatrice pour les néo-paysans et une source d’information pour le grand public grâce à la diffusion d’une newsletter.
L’impact sur le grand public incite les pouvoirs publics à intégrer les acteurs agricoles dans leur plan de développement territorial lorsqu’ils parlent entreprises, dynamisme ou création d’emplois.
Certains professionnels, comme les restaurateurs et cuisiniers, s’intéressent déjà à l’agriculture, ils créent eux-mêmes des espaces de fermes urbaines. A Chatenay-Malabry, au sud-ouest de Paris, Merci Raymond propose un nouveau lieu dénommé « La Grange », doté d’un restaurant, d’une salle de réception et d’un espace de maraîchage. Au programme : ateliers pédagogiques, visites, formations à la permaculture…
D’autres expériences illustrent le décloisonnement des secteurs. En Haute-Saône, un collège propose des services d’épicerie en produits frais locaux. Le ministère de l’Éducation nationale souhaite créer des liens entre les établissements et les populations locales tout en offrant l’opportunité aux élèves d’effectuer une activité bénévole. Toujours en Haute-Saône, ce collège envisage désormais d’ouvrir sa cantine au grand public en la transformant en brasserie rurale, et son centre de documentation et d’information (CDI) en bibliothèque locale.
Toutes ces initiatives correspondent à un mouvement d’acteurs extérieurs vers le secteur agroalimentaire mais le monde agricole peut aussi s’engager dans la chaîne de valeur de la filière en transformant les produits et en proposant des services connexes. L’objectif est toujours le même, créer du lien pour renforcer le rôle et le pouvoir économique de l’agriculture sur le territoire.
Pour l’avenir, les ambitions agricoles sont elles aussi hybrides, il ne s’agit plus seulement de produire les denrées mais de le faire efficacement et durablement. Ouvrir la porte à l’hybridation des méthodes, des organisations et des acteurs favorise les chances de satisfaire ces ambitions. La société entière a un rôle à jouer dans cette nouvelle approche agricole, pour cette raison, les pouvoirs publics devraient s’impliquer dans cette transition.
Source : Jean-Jaurès.Org