Comprendre les enjeux de l'agriculture

A Libreville, au Gabon, l’immeuble du Ministère des Eaux et Forêts paraît bien modeste par rapport aux autres bâtiments publics -bien plus imposants qui-  témoignent  des fastes période de l’or noir. Pourtant, à la tête de ce Ministère, Lee White, biologiste britannique, dirige un éco-projet d’envergure pour la forêt gabonaise. Ce projet a pour vocation de protéger la biodiversité et le climat. Possédé par cette quête écologique et flatté par son retentissement international, l’homme politique a « oublié » la dimension humaine de son projet. Pour être durable, l’ambition écologique doit prendre en compte l’ensemble le sort des individus d’un territoire. Le gouvernement consacre désormais une partie de son budget à l’accompagnement impactées par la création de zones protégées.

Lee White a dirigé l’Agence nationale des Parcs Nationaux (ANPN), avant d’être affecté au Ministère. Il a lutté contre le braconnage et protégé les dernières grandes populations d’éléphants d’Afrique pendant dix ans. Sa promotion au rang de ministre lui a offert l’opportunité d’agir avec plus d’autorité et d’orienter la politique nationale vers une meilleure prise en compte de la préservation des espaces naturels. Nommé Ministre des eaux, des forêts, de la mer, de l’environnement en 2019, il est aussi chargé du Plan d’affectation des terres (PNAT)

Parce que les profits tirés du pétrole sont appelés à décroître et que la forêt doit regagner du territoire, Lee White ambitionne de placer le Gabon à l’avant-garde du développement écologique. Selon lui, il faut simultanément apprendre à exploiter et protéger la forêt.

Le Gabon attire les bailleurs de fonds responsables

Premier pays africain à s’être impliqué dans le cadre des accords de Paris, en 2015, le Gabon s’est engagé à réduire de 60% ses émissions de GES et à placer 30% de ses terres sous protection de l’Etat pour limiter l’extinction des espèces qui les peuplent.

Le Gabon, suivi du Costa Rica, autre pionnier du développement écologique, a lancé un appel à la signature  d’un nouveau traité international plus soucieux de prévention et plus répressif concernant le Commerce International des espèces en voie d ‘extinction (CITES).

Dans cette région de l’Afrique, le Gabon constitue un allié fiable pour les bailleurs occidentaux qui investissent dans la conservation de la faune et de la flore africaines. Habituellement, ce sont l’Amérique du Sud et l’Asie qui préoccupent les instances internationales en matière de déforestation. En effet, dans ces régions, l’agriculture ou l’élevage intensifs dégradent à grande vitesse les bassins forestiers.

Ainsi, la Norvège s’est engagée à verser $150 millions au Gabon dans le cadre d’un accord dans lequel celui-ci s’engage à lutter contre la déforestation. L’accord « Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale » (CAFI) est une aubaine pour le Gabon alors que les budgets des programmes de protection sont habituellement gérés par des organismes intermédiaires qui les consomment principalement en études auprès de consultants privés ou issus d’ONG, avec finalement peu d’actions visibles pour les populations.

La réputation du ministre gabonais, professeur honoraire de l’université de Stirling, au Royaume-Uni et naturalisé gabonais, a sans doute joué un rôle dans la confiance accordée au Gabon par une Norvège soucieuse d’accompagner financièrement des projets exempts de tout risque de corruption.

Une première enveloppe de $17 millions a été débloquée. Elle reste faible au regard du défi qui attend le Gabon pour protéger sa forêt tropicale de 23 millions d’hectares, capable d’absorber presque 150 millions de tonnes de CO2 par an. Mais, ces fonds vont permettre de lancer les premiers projets de préservation et de créer une offre publique d’achat de crédits carbone. Pour Lee White, les « pollueurs » seront dans l’obligation de saisir des offres comme celle-ci pour compenser leurs émissions et respecter leurs engagements de développement durable.

A l’origine des parcs nationaux, l’expédition Megatransect

Ex colonie française, le Gabon a connu un moment de notoriété  grâce à Mike Fay, ambassadeur de la Wildlife Conservation Society (WCS). En 1999, l’aventurier zoologiste, sponsorisé par la National Geographic Society, organise l’expédition  « Megatransect » entre le Congo et le Gabon. Avec le photographe du journal, Nick Nichols, il s’enfonce dans la forêt durant 450 jours, pour photographier la faune protégée au cœur l’un de ses derniers sanctuaires. Le périple de 3000 kilomètres a permis aux deux hommes de collecter des échantillons et de restituer un témoignage inédit, en images. L’expédition s’est arrêté à la station d’études des primates de la réserve de Lopé, au Gabon. C’est ici que Lee White avait mené, 20 ans plus tôt, ses travaux sur l’impact de la déforestation sur les éléphants et les primates avant d’ouvrir un bureau local de la Wildlife Conservation Society.

Des expériences de Lee White et de Mike Fay, va naître le projet  de création de parcs nationaux pour protéger les espaces encore vierges. En 2002, par le biais de la WCS, Mike Fay rencontre le Président Omar Bongo et lui présente les travaux et photos de l’expédition. Surpris de la richesse insoupçonnée de cette faune, le président tend une oreille attentive au projet et organise un Conseil des Ministres extraordinaire, durant lequel les représentants du World Wildlife Fund (WWF) exposent l’intérêt de l’expédition « Megastransect » et déploient une carte des espaces à protéger en priorité.

Pour Philipp Henschel, qui dirige l’ONG Panthera, protectrice des félins, le Gabon présente deux avantages : une importante faune à préserver et une stabilité politique qui permet d’envisager des projets d’envergure. C’est selon lui LE pays qui porte l’espoir de sauver une biodiversité en danger.

Quelques mois après le Conseil des Ministres, un décret crée 13 parcs nationaux. Une initiative favorable au Président Omar Bongo, qui s’empresse d’exposer son projet national au Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg, en Afrique. La campagne est soutenue par le journal National Geographic qui affiche en une l’initiative gabonaise, la qualifiant de « sauvetage d’un eden africain ».

A partir de cet instant, la notoriété internationale du projet provoque un afflux de fonds de la part des États-Unis et de l’Europe. La jeune Agence nationale des parcs nationaux, créée pour l’occasion, doit s’appuyer sur des ONG locales pour donner vie au projet, former les personnels à la conduite et la surveillance des parcs.

Le parc de Lomé accueille une communauté de scientifiques étrangers et nationaux qui collaborent pour surveiller l’évolution de cet écosystème et conduire leurs travaux. Au cœur du parc, ce « village » de scentifiques s’organise autour d’une grande bibliothèque qui conserve soigneusement tous les travaux compilés depuis des années d’observation.

Au quotidien, l’équipe de scientifiques relève des données concernant l’état de croissance des arbres et plantes et surveille les déplacements de la faune, notamment des pachydermes qui ne sont pas les bienvenus sur les terres des villageois. Il faut gérer la cohabitation.

Les données accumulées depuis plus de 30 ans mettent en lumière le lien entre le changement climatique, la raréfaction des fruits sauvages et l’amaigrissement des individus qui composent les troupeaux d’éléphants.

Une population exclue des ambitions vertes

Lee White continue d’être impliqué dans les compte-rendus des travaux des scientifiques, une façon pour lui d’entretenir l’expertise qui l’a conduit jusqu’au sommet de l’appareil gabonais. Sa politique, qui ignore le volet social, dérange ceux qui  vivent à proximité du sanctuaire ou tirent profit des ressources de la faune et de la flore gabonaise.

Début 2021, un écogarde a été tué par un meurtrier non  identifié, probablement un villageois excédé par les dégradations perpétrées par les éléphants ou un braconnier surpris en pleine action. Le préfet, assailli par des villageois, a dû trouver refuge auprès des autorités locales.

La population reproche à Lee White de protéger la faune plutôt que les habitants.  Il les aurait chassés sans compensation pour créer ces espaces de protection de la faune, avec des retombées économiques quasi-inexistantes.

Selon ses détracteurs, Lee White impose la protection de la faune  à une population qui lutte pour sa survie. Selon Marc Ona Essangui, de l’ONG Brainforest, le projet n’est pas conduit de manière inclusive. Les systèmes de clôtures électriques , d’un coût élevé, ne peuvent être généralisés et les dédommagements aux habitants ne sont pas budgétés par le Ministère.

Jusqu’à présent, la faible proportion de Gabonais impactée par les dégradations des éléphants qui sortent de la forêt pour piétiner les cultures, a poussé les autorités à ignorer le mécontentement. Cette année, un budget de 2 millions et demi d’euros va être programmé pour gérer les dommages causés aux habitants, prévenir leur répétition et, peut-être, organiser les retombées de l’écotourisme promis après les expulsions. Une promesse vaine du fait d’infrastructures routières inadaptées au tourisme.

L’État découvre les limites de son beau projet qui ne considère que la protection de l’environnement dans tenir compte des populations et de leurs besoins.  A la colère des habitants, s’ajoute celle des fonctionnaires du Ministère dont les salaires ne sont pas versés, ou encore des écogardes qui revendiquent le statut d’agents publics et s’interrogent sur la disparition de leurs cotisations retraites.

Les bailleurs s’interrogent et ont d’ores et déjà refusé la demande de transformation de l’Agence nationale des parcs nationaux en Agence nationale pour la protection de la nature, une modification qui étendrait le pouvoir de celle-ci.

Ses liens avec la famille Bongo ont porté Lee White au pouvoir mais ils pourraient le lui faire perdre si les élections de 2023 ne s’avéraient pas favorables à ses protecteurs.

A la COP26, qui se tient à Glasgow jusqu’au 12 novembre prochain,  le Président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, a rappelé que « l’intégrité climatique » des nations paraissait incontournable compte tenu de la situation dégradée de la faune et de la flore et des nouvelles menaces qui pèsent sur les territoires, comme la montée du niveau de la mer.

Source : Le Monde