Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’Afrique est un continent d’initiatives dont la population, jeune, constitue un vivier d’entrepreneurs en puissance prêts à s’impliquer dans leur réussite professionnelle et dans le développement de leur pays. La majorité d’entre eux ne dispose pas d’un financement à la hauteur de leur projet, notamment dans le domaine agroalimentaire gourmand en investissements. Il existe pourtant des pistes pour transformer ces porteurs d’ambitions en entrepreneurs et en faire des acteurs de la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, ils sont soutenus par des organismes solidaires ou caritatifs dont les moyens sont limités. Le secteur a besoin de plus d’engagement de la part des États et de plus de considération de la part des institutions financières.

 

Komi Abitor, directeur de l’ONG Entreprises, Territoires et Développement  (ETD) déploie des actions d’accompagnement, au Togo et au Bénin, pour répartir les richesses créées entre les acteurs  agricoles et les autorités locales, tout en protégeant les ressources et l’écosystème.

Il constate qu’avec les risques de pénurie liés au changement climatique ou à la pandémie, l’offre est fragilisée et les producteurs cherchent des financements pour augmenter leur capacité de production.

Depuis plus de 20 ans, il tente d’instaurer une chaîne de valeur des exploitations familiales de riz, maïs, tubercule ou élevages au consommateur citadin. Le modèle Entreprises de services et organisations de producteurs (ESOP) est un premier outil d’inclusion, le dispositif permet de créer une entreprise qui regroupe producteurs et services de valorisation des produits afin d’en optimiser l’écoulement.

Aujourd’hui ce modèle est confronté à une hausse d’une demande que ne peuvent satisfaire ces structures sans investissements supplémentaires ou sans mise en oeuvre de nouvelles stratégies de développement (nouveaux produits, nouvelles marques).

Faciliter l’accès au crédit

Dans l’immédiat l’ONG a créé Cidea1, une holding togolaise capable de lever des fonds pour proposer aux exploitants des crédits à des taux abordables, remboursables en 7 à 12 ans.

Cette opportunité de financement permet, entre autres :

  • D’agrandir la surface des cultures existantes ;
  • De mieux équiper les exploitations ;
  • De diversifier les cultures pour répartir les risques liés au rendement ;
  • De créer ou d’agrandir des unités de transformation pour maintenir la compétence et la valeur ajoutée de la filière dans le pays producteur.

La structure ESOP essaye aussi d’étendre son action à d’autres régions en proposant des semences à de nouvelles exploitations avec lesquelles elles signent des contrats pour acheter leur production. Les exploitations qui disposent de ce type de contrat peuvent ensuite prétendre à un prêt auprès des institutions de micro-financements (IMF) et remboursent le prêt grâce au fruit de la vente des denrées à la structure ESOP. La confiance n’est toutefois pas acquise, les IMF demandant des garanties de l’Etat, d’une ONG ou de l’Agence nationale de promotion et de garantie de financement (ANPGF).

La Banque mondiale reconnaît toutefois que les IMF ne peuvent à elles seules financer toutes les ambitions agroalimentaires africaines. A défaut d’un engouement des banques privées envers le secteur agricole, les gouvernements s’intéressent aux banques publiques de plus en plus privilégiées par les gouvernements pour financer les projets liés à l’agroalimentaire.

Ainsi, lors du Rendez-vous de l’industrie agroalimentaire qui s’est tenu le 8 juin 2021 au Maroc, la Banque de projets marocaine a indiqué avoir validé 122 projets agroalimentaires pour un montant global de 3,7 milliards de dirhams (environ €336 millions). Un financement qui aurait généré environ 13.000 emplois et permis de réduire les importations de 5 milliards de dirhams(environ €454 millions) tout en réalisant 2 milliards de dirhams( environ €181 millions) d’exportations supplémentaires. Le Président de la Fédération nationale de l’agroalimentaire (Fenagri) a profité de l’événement pour rappeler que le secteur agroalimentaire a un rôle socio-économique central et contribue à la sécurité alimentaire du pays.

Les subventions de démarrage

Les ESOP fonctionnent grâce aux crédits commerciaux mais démarrent grâce à des subventions d’origine privée ou publique :

  • Privée : fondations, producteurs, salariés, ONG ETD… ;
  • Publique : l’Agence française de développement, l’Union européenne, la Banque mondiale, le Fonds international de développement agricole (FIDA).

Les investisseurs solidaires sont aussi sollicités et interviennent principalement sous forme de prises de participation dans le capital des nouvelles structures. Un double avantage pour les entités bénéficiaires qui profitent à la fois d’un apport financier et d’une garantie supplémentaire vis-à-vis des partenaires commerciaux et bancaires. Citons-en quelques-uns  :

Ces investisseurs partagent aussi leurs compétences sur les projets. Finlo, par exemple,  a intégré une entreprise qui transforme les viandes et l’accompagne sur l’élaboration de son business plan pour 2021. L’USAid soutient les initiatives privées en Afrique de l’Ouest, comme la montée en capacité des producteurs de riz et de soja.

Les limites des financements alternatifs

Face aux crises alimentaires, aux contraintes climatiques et aux pressions exercées par les enjeux internationaux (engagements commerciaux, taxes douanières…), les projets sont complexes à mettre en œuvre en termes de capacité de production et d’organisation et peuvent dépasser  les capacités des entités solidaires qui les pilotent.

A titre d’exemple, la holding créée par l’ONG EDT de Komi Abitor dispose d’un capital de 76.000 euros alors qu’elle s’engage dans un projet de 8 millions d’euros. La présence d’investisseurs solidaires à ses côtés permet de répartir le risque et de renforcer la confiance des acteurs locaux.

Les projets de développement durable sont rarement menés par une seule entité au final. Par exemple, le programme Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest (Pafao) est une initiative portée par de plusieurs organismes et entreprises :

  • Le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) ;
  • La Fondation de France ;
  • La Fondation JM Bruneau ;
  • L’Agence française de développement (AFD) ;
  • Seed Foundation ;
  • Jafowa (capitalisation du programme) ;
  • Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) ;
  • Pierson Interepco Export (agent de marques de conserves de légumes, viandes…).

L’ONG EDT envisage désormais de renforcer son rayon d’action en direction de PME plus importantes. Pour bénéficier des allègements fiscaux réservés aux holding, elle doit atteindre une capitalisation à hauteur de 4,5 millions d’euros. Au sein de la La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Togo est le pays le plus incitatif au niveau du financement et de l’aide aux entreprises.

Un autre frein existe. Les gouvernements craignent que les structures d’accompagnement ne prennent trop de poids auprès des acteurs locaux et ne se transforment ainsi en alternative politique concurrente.

Les autres formes de financement

Il existe de multiples autres sources de financement, difficiles à développer en Afrique du fait du niveau de pauvreté des producteurs..

Le crowdfunding est l’un d’eux. Ce financement participatif incite des financeurs, parfois des particuliers apprentis investisseurs, à injecter leur épargne dans un projet qui leur semble porteur ou en adéquation avec leurs valeurs.

Le business angel est un investisseur déjà expérimenté dans les affaires, qui reconnaît et soutient des initiatives qu’il considère à fort potentiel sur le plan économique ou de l’innovation. Rebecca Enonchong en fait partie, cette femme d’affaires camerounaise table sur les startups africaines pour contribuer au développement du continent. Elle possède plusieurs incubateurs et accompagne les porteurs de projets.

Le troc inter entreprise est aussi un moyen, pour des petites structures, de disposer sans financement de compétences nécessaires à leur développement : services, formations, prêt de matériel…

La love money correspond aux capitaux propres apportés à la création d’une entreprise par la famille, les proches, etc., afin de d’aider le créateur. En contrepartie de ces apports, les investisseurs deviennent associés dans la nouvelle structure.

Les concours et autres trophées à l’innovation sont aussi des occasions de trouver un financement pour le lauréat, voire d’être accompagné en termes d’expertises ou introduit auprès d’acteurs de développement (institutions influentes, club acheteurs, …)

Pour les pouvoirs publics, un porteur de projet qui n’est pas en mesure de déployer son idée, c’est un manque à gagner en termes de développement socio-économique, d’emploi et de contribution au service ou à l’innovation. L’accès au financement est un levier pour 7 des 17 ODD fixés par les Nations-Unies. Sur les 193 États membres, 55 se sont engagés à agir et 30 ont déjà intégré la finance inclusive dans leur stratégie, avec des résultats à confirmer.

Les incubateurs sont une première étape car ils permettent de viabiliser le projet au stade conceptuel mais tous les incubés ne parviennent pas à sortir du dispositif faute de financement et se retrouvent parfois à errer d’un incubateur à l’autre sans prendre leur envol.

La finance inclusive vise principalement à démontrer la faisabilité des petits projets, même à risque, et à considérer l’agriculteur avant tout comme un entrepreneur. Quel que soit le dispositif, il n’existe pas d’inclusion sans rapprocher les petits exploitants des offres de services bancaires. En Afrique, une grande partie de ces exploitants sont isolés, éloignés des services et méfiants envers le système bancaire, d’autant que l’absence d’épargne ne les incite pas à ouvrir un compte bancaire.

L’avenir du financement privé

Même si le financement des petites structures qui évoluent dans le secteur agroalimentaire en Afrique reste l’initiative d’organismes associatifs et caritatifs, les banques privées s’y intéressent de plus en plus. Le rôle central de l’agroalimentaire dans la souveraineté alimentaire des États a été mis en valeur à l’occasion de la pandémie et la flambée des prix de certaines denrées traduisent l’enjeu de ce secteur dans les économies. Ainsi, le 27 mai dernier, la banque marocaine Attijariwafa bank a signé une convention avec Al Amana Microfinance, autre acteur marocain engagé dans l’accès au microfinancements. Ce collectif propose différents dispositifs de financement au titre de l’investissement  ou du fonctionnement.

Le Fonds monétaire international (FMI) estime que d’ici 2030, les investisseurs privés pourront investir l’équivalent de 3% du PIB de l’Afrique subsaharienne, soit $50 milliards par an. Il faut aussi développer l’attractivité du continent sur la scène internationale. Aujourd’hui il ne capte que 2% du flux d’investissement mondial et cette part est concentrée sur les ressources naturelles et l’industrie d’extraction alors que les territoires et les populations attendent le développement de services (santé…) ou d’infrastructure (routes, eau …).

Les investisseurs privés ont plusieurs préoccupations liées aux projets africains :

  • La viabilité des projets et leur niveau de maturité ;
  • L’instabilité de la monnaie référencée dans le business plan ;
  • Les restrictions de circulation des devises en sortie de projet ;
  • L’absence de réseaux et de chaînes de valeur dans le pays concerné ;
  • L’absence du secteur public : en Asie du sud-est par exemple, la quasi-totalité des projets à capitaux privés est soutenue par le secteur public.

Le continent africain est attractif pour sa population jeune et sa chaîne de valeur « à construire ». Les investisseurs privés détiennent un grand pouvoir, celui de donner vie aux projets entrepreneuriaux. Les États africains doivent démontrer qu’ils sont assez structurés pour offrir à ces investisseurs un cadre de développement sécurisé mais aussi s’assurer que les Africains sont considérés et acteurs dans les projets.

Sources : Alimenterre, International Monetary Fund (IMF)