Comprendre les enjeux de l'agriculture

Au cœur de la construction européenne, la Politique agricole commune (PAC) est un outil partagé et mutualisé. Comme toute mutualisation, elle apporte son lot d’avantages et de contraintes, dans des proportions variables. Chaque État-membre est impacté différemment. D’une part, le mode de calcul de versement des aides est plus ou moins avantageux selon l’écosystème agricole de chaque État. D’autre part, les politiques intérieures sont plus moins bousculées, selon qu’elles sont libérales ou étatiques. La confiance – aujourd’hui visiblement insuffisante – préside à la distribution des enveloppes financières aux Etats membres autorisés à en faire un usage souverain. Quel que soit leur choix de politique agricole, opposer productivisme et écologie serait une erreur.

Créée en 1957 par le Traité de Rome et entrée en vigueur en 1962, la Politique agricole commune (PAC) vise à mutualiser une politique de soutien et de développement des agricultures européennes en tant que garanties de la sécurité alimentaire européenne.

Elle permet aujourd’hui à tous les européens de disposer d’une offre alimentaire suffisante tant sur la qualité que sur la quantité et maintient les territoires agricoles dans le paysage économique.

Elle est aussi un levier de performance économique grâce aux outils financiers (aide, régulation…) qu’elle propose dans le but de renforcer le marché agricole européen à l’international.

Les différentes aides ou subventions freinent aussi le basculement de l’agriculture diversifiée et familiale vers des monocultures industrielles ou des élevages intensifs nocifs pour le développement durable des espaces naturels et des individus.

En quoi consiste la PAC ?

Pour son exercice pluriannuel 2014-2020, 362,8 milliards ont été alloués à la réalisation des objectifs, soit presque 40% du budget de l’UE mais seulement 1% des dépenses publiques des États-membres (sources Chambres d’agriculture).

C’est en 2013 que l’Europe a introduit le volet environnemental dans le déploiement de la Politique agricole commune. Chaque évolution annoncée des règles crispe les parties, entre gagnants et perdants de la nouvelle mutualisation.

La dernière réforme a pour objectif de laisser aux États-membres plus de souplesse dans l’établissement d’une stratégie nationale basée sur les deux piliers historiques de la Politique agricole commune : d’un côté, les aides, de l’autre, les investissements à la modernisation, à la formation et à la promotion.

L’objectif est de trouver un équilibre entre la protection des revenus des agriculteurs et une agriculture aux pratiques plus vertueuses.

Compte tenu de sa répercussion économique et politique, l’entrée en vigueur de cette réforme a été repoussée à 2023 pour permettre l’aboutissement à un dispositif plus consensuel entre les États et les acteurs politiques et économiques.

Le plan 2021-2027 répartit le dispositif comme suit :

La premier pilier (75%) assure un revenu minimum aux agriculteurs selon la surface exploitable dont ils disposent. Des aides directes sont aussi programmées en cas de bonnes pratiques environnementales, ainsi que des mesures de soutien au marché agricole, l’ensemble étant assuré par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) ;

Le second pilier (25%) accompagne les territoires pour une montée en compétences et en compétitivité, respectueuse de l’environnement. Le soutien est assuré par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Contrairement au FEAGA, ce dernier n’est financé qu’en partie par l’Europe, chaque État-membre finance sa propre stratégie nationale.

Pourquoi la France y tient-elle ?

La Politique agricole commune place la France en pole position des bénéficiaires du dispositif, elle capte 18% des aides, devant l’Espagne (12%) et l’Allemagne (11%). On comprend alors l’attachement de la France à ce dispositif européen.

En 2018, le quotidien français Les Echos avançait que 90% des exploitations françaises touchaient une aide directe d’un montant moyen de 29.000 euros pour l’année, soit la moitié d’un revenu moyen agricole.

Le secteur agricole pèse lourd dans l’économie française.

Les chiffres de l’INSEE, pour 2018, indiquent que l’agriculture occupe plus de 600.000 personnes mais si on y ajoute l’activité de l’industrie agroalimentaire, on parle de 1 500 000 personnes, soit 5% de l’emploi total en France. L’activité de production et de distribution génère 3,5% du PIB et exporte pour 61 milliards d’euros, principalement vers les voisins européens.

Sur le plan politique, les acteurs agro-industriels représentent un électorat symbolique et mobilisé, mis à l’honneur par les politiques, en campagne ou non, lors du Salon de l’agriculture à Paris.

Les agriculteurs sont aussi inscrits dans l’esprit collectif comme des incontournables du paysage rural français et la pandémie est venue rappeler qu’en plus de cette notoriété symbolique, ils contribuent à renforcer la sécurité alimentaire. Une position qui leur offre un soutien à chaque manifestation publique.

Même si, en France, tous s’accordent sur l’importance de sécuriser les approvisionnements en denrées alimentaires, certains regrettent ce lobbying politique qui masque d’autres priorités stratégiques pour le territoire français.

Charles Michel, président du Conseil européen, observe qu’à chaque attribution de budget, le jeu politique prend le dessus. A l’instar de la PAC, d’autres dépenses restent intouchables comme le programme Erasmus ou le fonds européen de la défense. La question n’est pas de savoir où sont les besoins mais de réduire l’impact politique des choix budgétaires. En juillet dernier, lors du dernier Conseil européen, le Président français s’était immédiatement félicité de la réussite des négociations pour le maintien de la PAC.

D’autres avant lui ont mesuré l’importance du levier politique que constitue une Politique agricole commune favorable. Le Général de Gaulle a œuvré pour que la Commission européenne revoit à la hausse les financements alloués à cette Politique agricole commune. Une négociation qui a conduit l’Europe à faire d’importantes concessions à la France par la signature du Compromis du Luxembourg.

Plus tard, cette Politique agricole commune a été la source de tensions, concernant la pêche notamment, entre les Français, les Européens et les Britanniques désireux d’intégrer le marché européen. Cette PAC a alimenté les voix du Brexit.

Qu’attend la France désormais ?

La Commission européenne a présenté, fin 2017, un projet de réforme de la PAC, volontairement axé sur une préoccupation environnementale avec la publication, en juin 2018, de trois règlements européens qui portent sur :

  • Des plans stratégiques nationaux (PNS) : un outil localisé afin de tenir compte des pratiques propres à chaque territoire. Chaque plan national devra être présenté à la Commission européenne qui s’assurera de sa conformité aux règlements européens ;
  • Des financements par le biais d’Éco-régimes en faveur de pratiques environnementales et à hauteur de 20 à 30% du premier pilier. Les États membres devront proposer un ou plusieurs éco-régimes auxquels les agriculteurs pourront participer sur la base du volontariat et percevoir une partie des aides directes. La volonté est de récompenser les exploitants qui s’astreignent à une agriculture plus verte vis-à-vis de leurs voisins. Les pratiques concernées sont l’élevage et le bien-être animal, l’agroforesterie, l’agriculture à haute valeur naturelle (HVN), l’agriculture et puits de carbone, l’agriculture de précision, l’optimisation de la gestion des nutriments, la protection des ressources en eau, les pratiques bénéfiques pour les sols et enfin, les actions limitant les émissions de GES ;
  • Une rémunération révisée des agriculteurs, établie sur d’autres critères que la simple surface exploitable.

La France s’estime satisfaite de ces propositions ainsi que de l’augmentation du budget de la PAC désormais porté à 386,7 milliards d’euros pour l’exercice 2021-2027. L’Espagne appuie l’action française tandis que les Pays-Bas et les pays nord-européens militent pour une baisse du budget de la PAC.

Les points de tension

Sur la question des PSN, la France veut s’assurer que ces fonds ne seront pas détournés de leur objet et souhaite ajouter des dispositifs de contrôle plus poussés pour protéger les intérêts financiers de l’UE :

  • Critères et conditions d’approbations exprimés en amont ;
  • Validation de ces plans par les États-membres.

Ensuite, afin que la politique environnementale porte ses fruits à l’échelle du continent, la France demande à ce que les Éco-régimes soient systématiquement intégrés dans les PNS à hauteur de 30% du montant des aides directes. La Bulgarie, la Hongrie et Chypre refusent tandis que l’Autriche suggère plus de flexibilité.

Et enfin, sur la question de la révision des modes de calcul des aides sur le revenu, la France estime qu’il serait judicieux de réduire la part du critère lié à la surfaces exploitable, pénalisante pour les petits exploitants pourtant redevables de charges incompressibles. Son souhait serait d’intégrer des critères clairement identifiés :

  • Gestion de l’eau ;
  • Réduction des pesticides ;
  • Protection des sols ;
  • Respect du bien-être animal…

Face à la posture française exigeante en faveur des éco-régimes, des budgets cloisonnés et des paiements directs, des pays souhaiteraient pouvoir investir plus massivement depuis le deuxième pilier en attribuant des aides indirectes qui viendront elles-aussi soutenir les Eco-régimes.

A titre de comparaison, l’Autriche réserve 44% de son budget PAC aux incitations financières (deuxième pilier), la France 17%.

La France redoute qu’une plus grande liberté dans le déploiement de la Politique agricole commune ne pousse certains à alléger leur cahier de route et offrir à leurs producteurs un contexte avantageux.

En octobre dernier, le Conseil de l’Union européenne a proposé une répartition commune : 20% des paiements directs aux éco-régimes. Celle-ci répond aux attentes de garantie sur les Éco-régimes tout en donnant une plage de liberté aux États. Le Parlement réclame lui 30% de paiements directs aux éco-régimes ainsi qu’une réduction progressive des paiements directs supérieurs à 60.000 euros annuels (capés à 100.000 euros). Parallèlement, il opte pour réserver au moins 35% du budget du développement rural aux mesures environnementales.

Les défenseurs de l’environnement regrettent la timide avancée en matière de soutien aux pratiques vertes, notamment à travers les choix liés à l’éco-régime.

Une décision finale devrait être prise en juin 2021, résultat d’un compromis entre une Commission qui représente l’intérêt général, un Conseil qui représente les gouvernements et le Parlement qui représente les citoyens.

Ainsi ce projet, lancé en décembre 2017 par la Commission connaîtra son épilogue en juin 2021 si tout va bien, pour une entrée en vigueur début 2023.

La présidence portugaise de l’Union européenne a rappelé qu’elle veillera au maintien d’un socle de préoccupations intangible dans l’élaboration de l’accord final :

  • Promouvoir une reprise guidée par la transition climatique et numérique ;
  • Bâtir un socle des droits sociaux pour que chaque européen profite de cette transition ;
  • Renforcer l’autonomie européenne tout en restant ouvert sur le monde.

Sources : Touteleurope.eu, Terre-net.fr