Un enjeu de politique publique
L’approche par la bio économie conduit donc à reconsidérer certaines techniques de production, à regarder d’une façon nouvelle l’organisation même de l’exploitation. En effet un grand nombre des sujets que nous avons abordés ne peuvent se limiter au strict périmètre géographique d’une exploitation agricole. On parle d’ailleurs de plus en plus de design territorial agricole !
Elle pose également la question de la dynamique de l’agriculture sur un territoire et des liens existants entre l’agriculture et son territoire de proximité. Cela concerne par exemple la nature des relations dans une filière de recyclage. Elle amène également à repenser l’insertion et les relations de l’agriculture dans l’ensemble de la chaîne de valeur. Il y a là aussi un champ fécond de recherches en matière de raisonnement économique et d’organisation sociale, cela est donc une interpellation pour l’action publique.
Il faudra, par l’action publique, favoriser l’approche multi acteurs sur un territoire déterminé et la construction de stratégie à long terme. Cela passera par le soutien à la construction d’écosystèmes agricoles et agroalimentaires diversifiés et cohérents avec le contexte local. On perçoit bien que l’approche par la bio économie nécessite un volontarisme et un dynamisme territorial fort.
A côté de cette dimension territoriale l’action publique devra également s’intéresser au développement des entreprises. Il faudra rapidement imaginer les outils permettant de soutenir la diversité croissante des productions, accompagner cette augmentation de la complexité dans les entreprises mais aussi tout au long des filières.
L’économie s’intéresse de plus en plus à l’ensemble des services environnementaux rendus par l’agriculture. L’action bénéfique de l’agriculture sur la biodiversité, sur la restauration des milieux et des écosystèmes notamment par le pouvoir épurateur des sols est de plus en plus mise en avant. On commence d’ailleurs à parler d’agriculture régénératrice et un grand groupe multinational vient même d’en faire un slogan. On accordera de plus en plus d’importance au puits de carbone que constitue le sol ou à la capacité de l’agriculture à recycler des déchets.
Parallèlement à la production agricole pour les besoins humains alimentaires et non alimentaires, se pose donc la question cruciale de la rémunération de cette nouvelle performance, importante pour nos sociétés modernes. Quelle sera la part rémunérée par le marché et celle financée par des fonds publics. Comment rémunérer la production de biens publiques. Dans la rémunération par le marché quelle sera la part intégrée dans le produit et la part faisant l’objet de contrats spécifiques pour services environnementaux.
Pour arriver à rémunérer une mission, un service, il faut au préalable le caractériser, le quantifier, l’évaluer. C’est très compliqué et marque une nette rupture avec la situation actuelle des aides agro-environnementales. Ces mesures financent par exemple l’entretien de haies, des dates de fauches décalées pour protéger l’avifaune dans des espaces remarquables. On est clairement dans une obligation de moyen et on passe à une logique de service rendu, donc de résultat tangible. En effet on n’est plus simplement dans la rémunération d’un moyen, d’une technique mise en œuvre ou dans la compensation d’une charge supplémentaire ou d’un manque à gagner. Il faut donc pouvoir mesurer, objectiver. Cela veut dire réfléchir à des indicateurs de résultats comme la réduction des gaz à effet de serre, la baisse du taux de nitrate ou de pesticides présents dans les sols ou les cours d’eau. Cela peut également concerner la réduction de l’usage de l’eau ou de l’énergie et pourra d’ailleurs être calculé non plus au niveau d’une entreprise ou d’un secteur de production mais au niveau de l’ensemble d’une chaîne de valeur.
La question se posera également de plus en plus souvent de la balance globale entre la production des différents systèmes agricoles et leur consommation en ressources non renouvelables. Cette balance globale sera de plus en plus appréciée sur l’ensemble de la chaine de valeur et communiquée de manière transparente aux consommateurs qui sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser.
La politique agricole devra donc sans doute progressivement prendre en compte cette dimension large et complexe. Ce sera par exemple le cas de la future PAC notamment dans la définition des soutiens.
Une des particularités du raisonnement par la bio économie est donc de développer une approche extrêmement globale. Réfléchir aux politiques publiques relatives à la bio économie c’est donc pour une bonne part s’intéresser aux interfaces entre plusieurs politiques sectorielles : énergétique, environnementale, agricole, industrielle. Le caractère séduisant et politiquement attractif de la bio économie est justement qu’elle se trouve complètement connectée à deux enjeux forts de nos sociétés contemporaines : l’adaptation au changement climatique est le premier enjeu. Par nature cette adaptation est globale mais contient en réalité une dimension très territorialisée. Elle se trouve donc créatrice d’activités et d’emplois difficilement délocalisables, c’est le second enjeu. Les politiques visant à développer la bio économie sont donc très en phase avec la modernité et les attentes de nos concitoyens. C’est surement pour cela que la bio économie est un concept donc on parle de plus en plus. L’Union Européenne ainsi que la France ont chacune défini une stratégie en la matière. (cf encadré 2)