Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’expansion planétaire de l’épidémie du coronavirus perturbe fortement le fonctionnement des marchés agricoles. Les opérateurs craignent une baisse des échanges commerciaux alors qu’ils sont d’abord confrontés à des problèmes logistiques. Quand ils sont confinés, les consommateurs ont changé, en quelques semaines, leurs habitudes alimentaires, ce qui a profondément modifié l’orientation de la demande domestique de produits alimentaires.

La situation est inédite. Les gouvernements des principales puissances économiques de la planète espèrent enrayer l’épidémie du Covid-19 en quelques semaines. Sinon, la crise sanitaire deviendra une crise économique et financière mondiale incontrôlable. Elle s’étendra sur les cinq continents, en impactant durablement les marchés des produits agricoles.

Au début du mois de mars, la crainte d’un ralentissement brutal des échanges commerciaux et la chute des prix du pétrole avaient brutalement fait réagir les marchés des céréales.

En France, sur le marché céréalier de Rouen, les prix des céréales ont subitement reculé. Le 6 mars dernier, la tonne de blé valait moins de 180 € et celle d’orge fourragère, mois de 150 €.

Les cours mondiaux de céréales avaient perdu en quelques jours ce qu’ils avaient gagné depuis la fin de l’année passée.  En Europe, la hausse de l’euro a accentué le mouvement de baisse des cours, rendant les céréales françaises moins compétitives.

« La peur s’est répandue comme une trainée de poudre sur l’ensemble des places de marché de la planète lorsque la Chine, le ventre de la planète, a encore montré son incapacité de prendre en charge l’épidémie à temps, déclarait alors le directeur d’Agritel. Les mesures coercitives pour l’enrayer n’ont abouti qu’à alimenter la frayeur ».

Aux Etats-Unis, « les craintes liées au coronavirus et la baisse de la demande intérieure d’éthanol avaient alors déclenché une vente spéculative, écrit le Conseil international des céréales (CIC) dans son rapport mensuel rendu public le 26 mars dernier. Les accords commerciaux de céréales et de soja entre la Chine et les Usa sont tombés en panne ».

A l’échelle mondiale, se profilait alors, au début du mois de mars, une baisse des échanges commerciaux de céréales pour les mois à venir. Or les quantités de céréales qui n’auraient pas été exportées d’ici la fin du mois de juin, auraient alors été stockées. Et la nouvelle campagne céréalière 2020-2021 aurait d’emblée été pénalisée alors que les perspectives de production, annoncées par la CIC sont bonnes.

Une économie de crise s’installe

Crise sanitaire ou pas, la planète se nourrit. Mais depuis le début du mois de mars, elle se nourrit différemment et parfois avec peine.

 « Des problèmes logistiques de plus en plus prégnants tant pour le transport intérieur  que pour les ports font craindre aux opérateurs des difficultés d’approvisionnement des entreprises de transformation », souligne encore le CIC.

Par ailleurs, les consommateurs ont radicalement modifié leurs habitudes alimentaires. La demande de denrées non périssables a explosé alors que l’industrie agroalimentaire fonctionne au ralenti. Elle est confrontée à divers  problèmes de livraisons  et de personnels pas toujours disponibles.

Enfin, le CIC maintient ses prévisions commerciales pour la campagne 2019-2020 : 175 millions de tonnes (Mt) de blé et 168 Mt de maïs seront exportées dans le monde d’ici la fin du mois de juin prochain. De nombreux pays cherchent à couvrir leurs approvisionnements.

Aussi, les cours des céréales ont subitement regagné, à partir du 16 mars dernier, le terrain perdu deux semaines auparavant. Sur le marché des céréales de Rouen, le prix de la tonne de blé est passé de 168 € à plus de 190 € le 27 mars dernier, celui de la tonne d’orge fourragère de 145 € à 166 € et celui de la tonne de maïs de 151 € à 163 €.

Retournement de situation

A l’export, l’offre de céréales se tarit. En Russie et en Ukraine, les dévaluations du rouble et de la hryvnia rendent l’approvisionnement des marchés domestiques plus intéressant. Les prix du blé n’ont jamais été aussi élevés.

Et malgré la conjoncture de crise aussi subite qu’inédite, les prévisions de production de céréales de la prochaine campagne 2020-2021, publiées le 26 mars dernier par le CIC, font douter les opérateurs. Le risque de surproduction de céréales n’est plus d’actualité.

Au vu des surfaces cultivées, la récolte mondiale de blé est estimée à 769 Mt (soit 5 Mt de plus que l’an passé) pour une consommation à 760 Mt (+ 7Mt sur un an). Mais ces dernières semaines, l’Afrique du nord intensifie ses achats de blés et d’orges car la région est confrontée à un important déficit pluviométrique.

 « Dans le bassin mer Noire, le manque d’eau persiste  alors que l’impact de la pandémie sur la demande demeure difficile à analyser sur le long terme », analyse encore le CIC.  Et dans l’Union européenne, victime d’intempéries, seules 132 Mt de blé seraient produites (156 Mt en 2019) compte tenu de l’état des cultures et de la surface emblavée plus faible que l’an passé.

Par ailleurs le CIC table sur une production mondiale d’orges de 152 Mt (175 Mt en 2019-2020) et de maïs de 1 157 Mt  (1 116 Mt en 2019-2020). Mais hors Chine, seules 900 Mt de maïs seraient récoltées dans le monde dont 389 Mt aux Etats-Unis (+41 Mt en un an) où une hausse des emblavements est attendue. Pourtant la production de bioéthanol n’est plus rentable depuis l’effondrement du prix du pétrole.

De même, 85 millions d’acres de soja seraient ainsi cultivés cette année contre76 millions en 2019.

Mais les assolements ont été décidés en Amérique avant survenance de la crise sanitaire du Covid-19, alors que les perspectives économiques et commerciales étaient bonnes. Le prix du baril de pétrole était même supérieur à 60 dollars américains

Les filières animales cumulent les crises sanitaires

La filière laitière prend de plein fouet la crise sanitaire du COVD-19. Certes la production laitière n’est pas encore touchée par les conséquences de l’épidémie de Covid-19,  mais les cours de la poudre maigre de lait et du beurre ont reculé depuis quelques semaines.

Toutefois, une production mondiale de lait maîtrisée réduira l’impact de la crise sanitaire si elle ne se prolonge pas au-delà de quelques semaines. En Nouvelle Zélande, la coopérative Fonterra ne révisera pas à la baisse le prix du lait payé à ses producteurs car le pays ne produira moins de lait que la campagne laitière passée, selon l’Institut de l’élevage (France).

Par ailleurs, l’Union européenne devrait produire 169 millions de tonnes de lait cette année, soit + 1 million de tonnes sur un an. Mais ses éleveurs ne sont pas à l’abri d’une baisse du prix du lait payé si la conjoncture se dégrade durablement.

 « La perspective d’une nouvelle crise économique mondiale suite à crise sanitaire due au Covid-19 pourrait altérer la solvabilité des principaux pays importateurs, notamment les producteurs de pétrole. Et par voie de conséquence déséquilibrer les marchés mondiaux des produits laitiers, analyse l’Institut de l’élevage (Tendances Lait Viande N°310- mars 2020) ».

Faute de débouchés dans les prochaines semaines, le lait produit et qui ne serait pas consommé, serait alors appelé à être stocké sous forme de beurre et de poudres. Et certains pays importateurs pourraient retarder leurs achats et attendre que les cours des produits laitiers soient au plus bas avant de revenir sur les marchés.

L’épidémie sur la route de la soie

Face à la crise sanitaire du Covid-19, les marchés mondiaux de la viande réagissent différemment.  Pour certaines filières animales, cette nouvelle crise s’ajoute à celle de la peste porcine survenue en Chine qui affecte, depuis des mois, les échanges commerciaux.

Dans l’ex-empire du milieu, les importations massives de porcs visaient, depuis des mois, à compenser la chute de la production de viande de porc. Mais depuis l’émergence du Covid-19, l’économie chinoise est figée, engendrant baisse de la consommation de viandes et des retards logistiques.

A Plérin en France, sur le principal marché du porc national, le prix du kilogramme porc évolue au gré de l’évolution et de l’expansion de l’épidémie du Covid-19 d’Asie vers l’Union européenne et non plus au rythme des importations chinoises de viande porcine en recul.
Dans les pays affectés par le confinement, davantage de viande porc est consommé dans les foyers. La restauration hors domicile est à l’arrêt et les chaines de transformation fonctionnent parfois au ralenti. Aussi, la viande qui n’est pas consommée est mise dans les rayons des supermarchés ce qui n’est pas sans poser de problèmes d’approvisionnement.

En production ovine, « la baisse notable des exportations néozélandaises de viande vers la Chine (-7%, soit – 1 600 tonnes équivalent carcasse en janvier 2020 /2019)  se traduit par un meilleur approvisionnement du marché européen de la viande de mouton bon marché », analyse l’Idele. Or depuis l’émergence de la peste porcine, le pays s’en était détourné puisque la Chine constituait un débouché important et rémunérateur à proximité.

Dans ces conditions, les professionnels de la filière ovine redoutaient déjà, cet hiver, une reprise avortée du cours de l’agneau alors que les fêtes de Pâques approchent.

Comme pour la viande de porc, « on peut s’attendre à un report de consommation de la restauration hors domicile vers la grande distribution, mais ce report va probablement pénaliser la consommation d’agneau qui a beaucoup lieu hors domicile », analyse l’Institut de l’élevage.

Le cas particulier des broutards

La filière bovine n’est pas épargnée par la crise sanitaire. Au niveau mondial, il est trop tôt pour en mesurer les impacts. En Europe, tous les animaux destinés à la restauration collective hors domicile voient, là aussi, leurs débouchés restreints.

En Italie, où les mesures de confinement ont été prises voilà plus d’un mois, la crise sanitaire déstructure complètement les échanges commerciaux de viande et d’animaux vifs.

 « Les restaurants étant fermés et les familles italiennes devant rester à domicile jusqu’au 3 avril en raison de la fermeture des écoles et des universités, les achats en grande distribution et en boucherie sont en hausse…», analyse l’Institut de l’élevage dans sa note de conjoncture N°310 de mars 2020.

« Ce report sur la consommation à domicile devrait bénéficier à la viande issue de broutards français engraissés en Italie qui constitue le gros des volumes en grande distribution ainsi qu’aux viandes françaises….. Mais les viandes d’autres origines, comme la viande polonaise commercialisée principalement en restauration hors domicile, risquent de se retrouver bradées ce qui pourrait provoquer une pression générale des prix ».

En France, le même phénomène est apparu ! Les Français se sont remis à cuisiner, pour l’instant le temps de la crise.

Dans l’immédiat, le report sur la consommation de viandes de volailles et d’œufs se traduit parfois par des pénuries dans les rayons des supermarchés dans les pays où le confinement a été instauré. Mais les produits qui étaient destinés à la restauration hors domicile sont délestés.

Au niveau mondial, la Chine reste le principal pays importateur de viande de volailles mais là encore, la crise sanitaire du Covid-19 a semé la zizanie car la demande faiblit. Aussi, les poulets habituellement exportés vers la Chine devront trouver d’autres débouchés.