Comprendre les enjeux de l'agriculture

Jean-Marie Séronie1

Un cadastre automatisé et sécurisé

Les usages de la blockchain en agriculture ne se limitent pas pour autant à la traçabilité. Sont en effet potentiellement concernés tous les domaines pour lesquels il y a inscription, enregistrement, archivage, tiers de confiance. Toutes ces transactions, tous ces contrats pourront sans doute se conclure demain directement sur une blockchain et sans intermédiaire. Citons la banque, la finance et l’assurance, le notariat, tous types de contrats, le cadastre, toutes les certifications, tous les documents officiels : diplômes, état civil, identité, brevets, licences, droits de propriété intellectuelle.

Cela pourra donc concerner les agriculteurs pour tout ce qui touche à leurs contrats notamment ceux ayant trait au foncier. En effet sur ce livre de compte géant qu’est la blockchain on peut enregistrer et identifier parfaitement un actif, son propriétaire et tous les éléments propres à cet actif ainsi que les changements de ses propriétaires successifs. Plusieurs pays, notamment africains, ou ceux devant faire face à une corruption importante sont en train de faire développer des blockchains pour un mettre en place un cadastre digne de ce nom.

 Ils passeraient ainsi d’une tradition orale à un cadastre sécurisé, un peu comme ils sont passés « du bouche à oreille » au téléphone sans fil sautant l’étape téléphone filaire.

Des contrats d’assurance intelligents et automatisés

A cette technologie de stockage informatique s’ajoute l’idée des « contrats intelligents » (Smart Contrat dans la novlangue numérique). Entendons par là des contrats  qui s’exécutent automatiquement, sans intervention humaine, dès lors que les conditions initialement négociées entre les parties se réalisent, ce dont la blockchain est automatiquement informée. L’information arrive sur la « blockchain » et déclenche l’exécution du contrat.

Prenons l’exemple agricole d’un contrat d’assurance climatique. Les parcelles assurées sont géo-localisées et le compte de l’agriculteur est automatiquement crédité dès que certains paramètres (par exemple température, hygrométrie du sol…) sortent pendant une durée prédéfinie d’un gradient convenu contractuellement (par exemple X jours de gel consécutifs, X jours consécutifs de température supérieure à tant, taux d’hygrométrie du sol inférieur à X pendant tant de jours à telle période de l’année…) . Les paramètres sont mesurés soit par des banques de données externes telles que la météo (un « oracle » dans le langage branché geek) soit par des capteurs installés dans les parcelles comme des sondes thermiques et hygrométriques et l’agriculteur prouve l’existence de dégâts par l’envoi de photos géo localisées et horodatées par son téléphone.. L’exécution du contrat « intelligent » et le versement de l’indemnisation sont alors quasiment automatiques. On voit rapidement l’économie de transaction rendue ainsi possible et donc au final la baisse possible des polices d’assurance. Nous ne sommes pas dans de la science-fiction, certaines compagnies au niveau mondial testent actuellement ce type de contrat

2/ Les géants de l’agrobusiness se mettent à la blockchain

Le marché de la blockchain dans l’agriculture et la filière alimentaire pourrait atteindre $430 millions dans les cinq années à venir – contre 60 actuellement – selon un rapport de ReportLinker. La blockchain agricole et alimentaire devrait faciliter les prises de décision. Les géants mondiaux de l’agriculture et de l’alimentation expérimentent la blockchain pour remédier à de nombreux dysfonctionnements. Tout récemment, le Daily Farmers of America et la chaîne hollandaise de supermarchés Albert Heijn ont commencé à utiliser cette technologie pour « tracer» la production de jus d’orange. La blockchain devrait aider à diminuer le montant de la fraude annuelle de $ 49 milliards dans l’industrie alimentaire. Walmart, le géant américain de la distribution expérimente depuis deux ans une blockchain publique développée par IBM pour gérer la traçabilité de ses approvisionnements et permetttre à ses millions de consommateurs clients d’accéder à une information transparente et fiable. L’entreprise annonce pouvoir ainsi faire baisser le temps nécessaire à l’identification d’un produit de six jours à deux secondes. Aujourd’hui elle passe à la phase de déploiement et impose à certains de ses fournisseurs de produits frais ( légumes par exemple) de renseigner la base de données centralisée permettant  de vérifier la sécurité face aux contaminations mais aussi optimiser et diminuer des pertes, cela de manière transparente pour les clients. Il se murmure que Carrefour serait en négociation pour utiliser cette même blockchain.

De son côté, Le membres du quartet ABCD – il désigne les quatre plus grandes compagnies mondiales de l’agrobusiness : Archer Daniels Midland Co, Bunge Ltd, Cargill Inc et Louis Dreyfus Co. – travaillent ensemble à la digitalisation du commerce des grains grâce à la blockchain et l’intelligence artificielle. Cette digitalisation rendra le négoce plus fluide, plus transparent et plus efficace tout en en réduisant le coût. Ce nouveau process éliminera la rédaction des contrats.

Une technologie disruptive en cours de maturation

La vertu reconnue à la blockchain est donc de créer de la confiance uniquement par la sécurité technologique qu’elle apporte sans aucune forme d’intermédiation humaine.

C’est son aspect extrêmement novateur et disruptif : le système fonctionne de manière parfaitement décentralisée et sans aucune autorité, sans puissance centrale de contrôle (comme une banque, un notaire, un avocat, un certificateur, un expert-comptable …). Il permet des transactions en toute sécurité et transparence, sans intermédiaire, donc à moindre coût. Fonctionnant sans organisme central et intervention humaine une fois qu’elle est mise en route, la blockchain serait donc théoriquement incorruptible puisque l’homme n’intervient plus. C’est donc potentiellement disrupteur pour de nombreux métiers dont l’essence même est d’apporter une sécurité et une garantie

C’est donc une sorte de révolution qui alimentera le big bang numérique. Elle est aujourd’hui en phase de croissance et n’a pas atteint sa maturité technologique. On reproche aux premières chaines leur forte consommation énergétique et leur incapacité à gérer simultanément un très grand nombre de données. Les nouvelles chaînes créées plus récemment corrigent cet écueil. En effet il y a aujourd’hui de gros investissements effectués par des startups en amont du processus de la blockchain pour améliorer les technologies et livrer des chaînes de plus en plus efficientes.  Quand elle sera mature et largement déployée cette technologie risque donc fortement d’impacter profondément beaucoup de métiers comme ceux d’assureurs, banquiers, notaires, avocats, certificateurs, logisticiens, elle pourrait même en faire disparaître certains qui n’auraient plus aucune utilité sociale. Finalement, quelque part on pourrait dire qu’internet, par la technologie, a apporté la transparence et que la blockchain, par les mêmes moyens, y ajoute la confiance.

Elle concernera aussi évidemment les agriculteurs même si c’est une technologie plutôt de « back office » qu’ils n’auront pas à manipuler directement. Deux traductions concrètes vont les concerner. Cette technologie va générer beaucoup d’automatisation dans le monde du service et devrait donc générer à terme des baisses de coût. Mais surtout cela se traduira sûrement par une traçabilité plus largement répandue, plus visible et plus précise. De plus une grande partie de cette traçabilité sera progressivement automatisée libérant ainsi l’agriculteur de la saisie et de l’archivage des données.
Économie et simplification…  cela correspond bien à la demande des agriculteurs. Transparence et confiance … cela correspond bien à l’évolution de la demande des consommateurs.

Jean-Marie Séronie

 

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