D’après la FAO, les besoins alimentaires mondiaux vont augmenter de 50 % d’ici 2050 (hors production de bio-carburants). C’est énorme, car c’est la conséquence à la fois de la croissance démographique de l’amélioration du pouvoir d’achat dans les pays émergeants et de l’urbanisation croissante partout dans le monde. Or face à ces besoins, de très graves menaces pèsent sur la production agricole qui font craindre un déficit de production dans les prochaines décennies.
Les menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire ont plusieurs origines :
- Les changements climatiques
C’est assurément le facteur le plus important et le plus inéluctable. Mais c’est aussi celui dont les effets sont les plus difficiles à cerner car ils devraient frapper toutes les régions, quoique de manière extrêmement variable d’un lieu à l’autre. Ainsi les changements climatiques peuvent provoquer des températures excessives pour la végétation, une accentuation des sécheresses, la multiplication des phénomènes exceptionnels (cyclones, inondations …), la submersion des terres les plus basses…
Par exemple, selon l’agence ECOFIN, une augmentation de la température moyenne de seulement 1,5 degré entrainerait une baisse de la production mondiale de maïs de 10 % et même de 20 % en Afrique.
- Le manque de terres cultivables
Les surfaces cultivées dans le monde couvrent environ 1570 millions d’hectares. Elles augmentent régulièrement mais très lentement (+ 0,25 % par an soit 4 millions d’hectares). De plus, la FAO estime que le sol de 30 % des surfaces actuellement cultivées est plus ou moins gravement dégradés.
A moins d’envisager une disparition accélérée des grands massifs forestiers tropicaux, qui serait par ailleurs catastrophique pour les équilibres naturels, on ne peut compter sur une augmentation significative des superficies cultivées dans le monde pour répondre aux besoins alimentaires supplémentaires.
- L’introduction de techniques culturales nouvelles
En général, elles ont pour but d’améliorer les rendements, mais elles peuvent aussi avoir des effets négatifs. C’est le cas de la disparition des systèmes de polyculture-élevage, de l’extension de la monoculture, de certaines méthodes culturales simplifiées…
Il devrait résulter de la conjonction de ces différents facteurs une baisse des productions agricoles, peut-être des pénuries, assurément des hausses de prix.
Ces difficultés peuvent s’avérer particulièrement graves pour certaines catégories de population, notamment les plus défavorisées. En effet disposant de ressources extrêmement limitées, toute augmentation du prix des produits de première nécessité les pénaliserait lourdement.
Il importe donc que les gouvernements, les agriculteurs et même les consommateurs se mobilisent dès maintenant afin de réduire, dans la mesure du possible, les conséquences négatives de ces évolutions.
Les gouvernements doivent agir au plus vite
Les pays déficitaires en produits agricoles et alimentaires de base sont les premiers menacés. Car leurs leur balance des échanges ne peut que se dégrader dans l’avenir. C’est fort préoccupant, au moins pour les pays qui ne disposent pas de ressources financières importantes, pétrolières par exemple. Leurs gouvernements doivent donc agir au plus vite.
Or les moyens d’action ne sont pas bien nombreux. Accroître la production agricole, ou au moins la sécuriser constitue un objectif prioritaire. On peut par exemple s’efforcer de développer l’irrigation, tout en économisant une eau devenue rare ou remettre en culture les zones périurbaines, souvent laissées incultes car enclavées.
Certains pays ont déjà entrepris de passer des contrats d’approvisionnement à long terme avec des pays structurellement exportateurs. Ou encore y acquérir des terres en s’en réservant la production. Ainsi, l’Arabie saoudite vient d’acquérir 200 000 hectares de culture en Ukraine grâce à l’agent du pétrole.
La situation risque d’être particulièrement critique pour les pays du Maghreb ou du Moyen orient qui sont déjà très fortement déficitaires en céréales, sucre ou oléagineux et dont les ressources supplémentaires en terre et surtout en eau sont réduites. Or ces pays devraient être lourdement pénalisés par les changements climatiques et notamment les sécheresses. Mais la Californie, le Nord-Est du Brésil, la Corne de l’Afrique ou encore l’Australie seront vraisemblablement dans des situations similaires. Ailleurs, les deltas des grands fleuves d’Asie sont menacés par la montée des eaux des océans. Or ces deltas sont très peuplés et cultivés par des paysans très pauvres pour lesquels aucune solution technique en vue de les protéger n’est envisageable.
La hausse des prix incitera les chefs d’exploitation à produire plus
Le futur déséquilibre entre l’offre et la demande de produits agricoles entrainera une hausse des prix. Ce sera l’élément déclencheur d’une mobilisation des chefs d’exploitations, au moins de certains d’entre eux. Car tous les agriculteurs ne sont pas dans des situations similaires.
Les centaines de millions de petits paysans des pays en développement
Inévitablement, beaucoup de petits paysans seront sévèrement touchés par les changements climatiques et la dégradation des sols. Ils connaitront une baisse de leurs rendements et de leurs productions. De plus, la taille de leurs exploitations, le manque de capitaux et l’insuffisance de leur formation vont les handicaper.
Or ces petits paysans assurent l’alimentation de près de 70 % de la population du globe. Mais ils ne pourront guère bénéficier d’une éventuelle augmentation des prix agricoles car ils autoconsomment une bonne part de leur production. Et comme en Egypte, en Chine ou au Japon, ils bénéficient parfois déjà de prix de vente bien supérieurs aux cours du marché mondial (jusqu’à trois fois plus pour les céréales). Une augmentation des cours mondiaux n’aurait donc aucun effet sur leur niveau de production.
Et pourtant cette petite agriculture doit impérativement continuer de contribuer à l’alimentation des populations du globe.
Les grandes exploitations capitalistes
Elles se sont multipliées depuis une vingtaine d’années sur tous les continents. Leur taille (plusieurs milliers d’hectares et parfois beaucoup plus), les techniques culturales qu’elles appliquent et leurs modes de gestion, les rendent tout à fait capables de profiter de la montée des prix agricoles. Certains chefs d’exploitations peuvent même l’anticiper. Ce sera même pour eux une opportunité sans précédent de conquérir de nouveaux marchés.
Les fonds d’investissements ne s’y sont pas trompés qui multiplient leurs implantations partout où les conditions de production et les structures d’exploitations le leur permettent.
Si une partie des agriculteurs possède une bonne capacité de réaction aux évènements, ce n’est pas le cas général. Les transformations à venir renforceront même la fracture entre la grande agriculture moderne, dynamique et rentable face à une agriculture de survie.
Des consommateurs qui devront modifier leurs comportements
Il est évident que les consommateurs ne peuvent anticiper les évolutions lointaines de l’offre de produits qu’ils trouveront sur les marchés et encore moins les prix qu’ils devront payer pour les acquérir. Mais, le moment venu, ils seront néanmoins contraints de modifier plus ou moins profondément leurs habitudes alimentaires, récentes ou plus anciennes.
Ainsi la recherche d’une nourriture plus riche en produits carnés ou laitiers ne pourra se poursuivre bien longtemps. Car la production de céréales deviendra prioritaire sur celle des tourteaux comme le soja, source principale de l’alimentation des animaux. L’a multiplication du nombre d’élevages industriels observée ces dernières décennies sera inévitablement interrompue.
En matière de comportement des consommateurs, les changements à venir seront donc importants. Mais il est difficile de préparer ces mêmes consommateurs à ces changements alors qu’ils réagissent très normalement aux incitations du moment présent. On peut toutefois imaginer que la consommation de viande constituera (avec les agro-carburants) la variable d’ajustement la plus significative.
Pour de multiples raisons, il est certes très difficile d’anticiper les conséquences agronomiques et économiques des changements qui vont se produire au cours des prochaines années, notamment dans le domaine climatique. Mais ces changements seront inéluctables et conséquents. C’est aux gouvernements de réaliser dès que possible les investissements qui vont s’imposer (en matière hydraulique par exemple), d’inciter les agriculteurs à modifier leurs comportements et de prévenir les consommateurs que le modèle alimentaire auquel ils aspirent n’est sans doute pas tenable bien longtemps.
André Neveu