Comprendre les enjeux de l'agriculture

Anne-Marie Paulais1 et Jean-Baptiste Pembrun2

Toulouse, capitale française de la robotique agricole

Robot spoutnic d’assistance aux aviculteurs. Photo AM.Paulais

Aujourd’hui, les seuls robots commercialisés adaptés aux grandes cultures sont des sortes de plateformes autoguidées sans conducteur, qui peuvent évoluer dans des espaces ouverts mais plats et structurés. De taille comparable à un petit tracteur, elles suivent des trajectoires en se repérant grâce à un GPS, à la télémétrie laser et à des capteurs optiques.
Après deux ans et demi de recherche et développement, la start-up toulousaine Naïo Technologies a commencé à commercialiser ses premiers modèles. Le robot Oz permet de désherber les plants de salade ou de poireau grâce à des capteurs embarqués. Totalement autonome, il réalise un travail de précision de binage des sols qui réduit le recours aux traitements herbicides. Malgré l’investissement important qu’il représente (Oz est vendu aux alentours de 21 000 euros), la demande s’accélère, dit-on chez Naïo Technologies, notamment de la part des exploitations bio où le désherbage manuel est encore dominant. « Les agriculteurs sont pragmatiques. S’ils savent qu’ils pourront réaliser des gains de productivité, ils sont prêts à investir, avance Aymeric Barthes, co-fondateur de Naïo Technologies. Et nous les aidons, en proposant par exemple nos robots à la location ».
Oz a déjà trois petits frères, Dino, robot enjambeur de désherbage mécanique des légumes en planche, Ted, robot enjambeur viticole et Bob, robot viticole à chenilles. Des robots qui séduisent déjà au-delà des frontières hexagonales. Naïo Technologies compte plusieurs distributeurs en Europe et a même signé un contrat avec un distributeur japonais. L’entreprise aurait aussi vendu un de ses robots en Nouvelle-Zélande.
Fort de sa réussite, Naïo Technologies organisera les 29 et 30 novembre 2017 à Toulouse la 2e édition du Forum international de la robotique agricole (Fira). Les étudiants seront invités à participer à un concours de robotique agricole, intitulé « Move your robot ».

Premiers pas des robots de désherbage

Le robot de désherbage EcoRobotix est testé sur la DigiFerme Arvalis de Boigneville (91). Photo Arvalis

Le robot enjambeur Pumagri a, quant à lui, fait sa première sortie en public à l’occasion du salon Innorobo qui s’est tenu à La Plaine Saint-Denis du 16 au 18 mai 2017. Porté par un consortium dans lequel figure encore Irstea, cet engin agricole futuriste est capable de faire varier l’écartement de ses roues (1,3 à 2,1 m) ainsi que la hauteur sous châssis qui peut monter jusqu’à 1,3 m. Le robot embarque un ensemble de capteurs et peut réaliser un grand nombre d’opérations allant du travail du sol au désherbage. Les premières démonstrations officielles du Pumagri sont prévues cet automne pour un lancement de la commercialisation fin 2018.
La digiferme Arvalis-Institut du végétal de Boigneville (91) évalue de son côté les performances du robot de désherbage EcoRobotix. Alimenté par des panneaux solaires, il se déplace seul en s’orientant et se positionnant grâce à son GPS RTK, sa caméra et ses capteurs. Ses deux bras se chargent de traiter sur le rang et sur l’inter-rang les mauvaises herbes avec une micro-dose de produit. Pour le moment, le robot est conçu pour travailler sur betterave, colza et prairie pour la destruction des rumex.
Avec son programme de digifermes, Arvalis-Institut du végétal qui travaille en partenariat avec l’Institut de l’élevage, l’Institut technique de la betterave et Terres Inovia (oléagineux et protéagineux), explore les possibilités offertes par la robotisation en remettant l’agronomie au centre des décisions. Le rôle des robots dans ce retour aux sources sera de décharger le céréalier de toutes les tâches basiques afin qu’il puisse se concentrer sur les opérations qui nécessitent observation critique, réflexion et savoir-faire.

Une agriculture sans agriculteur

Malgré ses premiers succès, la robotique agricole se heurte pourtant à plusieurs difficultés. Comment faire travailler le robot en autonomie à une vitesse compatible avec celle des travaux actuels ? Comment peut-il intervenir quelles que soient la nature du terrain, la météo, les situations ? Comment détecter les limites du terrain et la présence humaine pour éviter les accidents ? Autant de questions qui méritent des développements technologiques. « Le développement de la robotique constitue une formidable opportunité pour repenser la mécanisation agricole », affirme Michel Berucat. Selon lui, des machines reconfigurables, de petites tailles et de faibles puissances pourront bénéficier plus facilement des retombées des futurs composants développés pour le secteur automobile en terme de motorisations électriques (piles à combustibles par exemple).
« Faut-il anticiper une agriculture sans agriculteur comme le laisserait penser la ferme de laitues entièrement automatisée qui vient de voir le jour au Japon dans laquelle les robots font tout, depuis l’arrosage jusqu’à la récolte », s’interroge pour sa part Jean-François Colomer, président de la Sitmafgr, le réseau scientifique et technique de l’agroéquipement. Car l’arrivée des robots ne sera pas sans conséquences sur l’emploi. Le Conseil d’orientation pour l’emploi vient d’estimer que l’automatisation et la numérisation vont menacer directement 80 000 emplois en agriculture, surtout dans les secteurs du maraîchage et de la viticulture. Au total, ce sont 250 000 emplois agricoles qu’il va falloir faire évoluer et cela représente un sacré challenge pour la prochaine décennie.
Il conviendra aussi de clarifier tous les aspects réglementaires liés à l’avènement de la robotique en agriculture. Lâcher un tracteur sur la route sans présence humaine n’est sans doute pas compatible aujourd’hui avec le « devoir de précaution ». Tout cela ouvre un large champ de procédures de certification, de normalisation et de traçabilité.
Autre frein au développement des robots agricoles : la méfiance. Ces nouveaux engins exigent en effet de revoir la manière même d’aborder l’agriculture. Si les robots font tout, quelle sera la place de l’agriculteur ? Le plaisir de conduire un bon gros tracteur est un privilège que l’on a du mal à imaginer perdu. Le robot qui part le matin, fait sa journée de travail et revient tout seul le soir, ce n’est pas encore pour demain. Dans tous les projets en cours de développement, l’humain reste central. Pour longtemps encore, le robot ne fera que seconder l’exploitant agricole.

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