Les diverses méthodes d’intensification agricole et de transformation agro-industrielle génèrent le plus souvent des impacts significatifs, souvent majeurs :
1. Sur l’environnement naturel
- impact sur l’usage des terres: réduction des superficies des forêts naturelles, défrichées pour l’installation des cultures ;
- impact sur les sols: (i) compactage des sols suite au passage répété des engins ; (ii) érosion due au ruissellement sur labours effectués sur pentes ; (iii) dessiccation en l’absence de couverture végétale pérenne ; (iv) pollution en profondeur provenant de la rémanence des pesticides et des engrais utilisés de façon répétée ou excessive ;
- impact sur les eaux: (i) envasement des cours d’eau dû à l’atterrissage des fines d’érosion ; (ii) pollution des nappes phréatiques, réceptacles des épandages d’engrais et de pesticides ; (iii) pollution des cours d’eau alimentés d’une part par les nappes phréatiques polluées, contaminés d’autre part par le nettoyage des bidons contenant les produits… ;
- impact sur le climat: (i) libération du gaz carbonique (CO2) provenant de la déforestation pour changement d’usage et du labourage des sols (par oxydation de l’humus)[6], des rejets des agro-industries, de la mécanisation (fumées d’engins) ; (ii) libération du méthane (CH4) provenant de la culture du riz, des élevages de ruminants, des déchets organiques… ; (iii) libération du protoxyde d’azote (N2O) par l’usage excessif ou mal dosé d’engrais azotés ;
- impact sur la biodiversité: (i) disparition des habitats naturels, notamment suite à la déforestation ; (ii) simplification des écosystèmes (champs en monocultures) ; (iii) dégradation des écosystèmes par eutrophisation des aqua-systèmes contaminés, disparition de la faune et de la flore ; (iv) prédation des hommes sur les ressources naturelles par cueillette, chasse, pêche.
2. Sur l’environnement socio-économique
- impacts sur le foncier: (i) conflits entre communautés pour l’accès à la terre ; (ii) mise en concession par les Etats de terres agricoles initialement gérées par les communautés ; (iii) appropriation de terres par des investisseurs nationaux ou étrangers, après achat et obtention de certificats de propriétés, puis bornage ;
- impacts sur l’aménagement du territoire: (i) ouverture de routes d’accès et d’évacuation des produits ; (ii) implantation de centres sociaux (postes de santé, écoles…), de marchés, de services ;
- impacts sur les populations: (i) attraction de migrants autour des projets de développement procurant emplois, revenus… ; (ii) installation des familles d’employés pratiquant leur propre agriculture traditionnelle en périphérie des projets ;
- impact sur la santé: (i) intoxication due à la consommation d’eau polluée ou d’aliments contaminés par les bidons de produits utilisés comme contenants alimentaires ; (ii) respiration des poussières provenant de la circulation des engins et véhicules sur pistes, ou immersion sans protection (masques) dans l’atmosphère chargée des usines agro-alimentaires (balles, farines…) ; (iii) accidents liés à l’utilisation ou à la circulation des engins de chantier et des véhicules ; (iv) endémies dues aux mouvements de populations (VIH-SIDA, Ebola…) ;
- impacts sur les aspects culturels: (i) changements d’activités et d’habitudes alimentaires ; (ii) nouvelles divisions du travail ou modifications des rapports socio-économiques entre hommes et femmes ; (iii) le cas échéant, empiètement des emprises des projets sur les territoires de vie des peuples dit ‘autochtones’ (pygmées).
Le tournant du Sommet de Rio en 1992
Avant les années 90, la perspective des effets socio-économiques positifs et importants attendus des projets agricoles, faisait que leurs impacts négatifs pouvaient être considérés comme des dégâts collatéraux plus ou moins normaux, comme des inconvénients inévitables liés à tout projet de développement et même à tout progrès.
Le sommet de la terre de Rio en 1992 a modifié radicalement cette perception : en générant une prise de conscience universelle sur la nécessité de prendre en compte les données de l’environnement à leur juste place dans la mise en œuvre des activités économiques, leurs impacts environnemental et social ne peuvent plus être ignorés dans les études de faisabilité, mais sont considérés aujourd’hui comme faisant partie intégrante de la problématique du développement et de la prise de décision finale de faire ou de ne pas faire un projet.
Cette approche nouvelle s’inscrit maintenant de façon systématique et obligatoire, dans les cahiers des charges des entreprises, en cohérence avec les conventions internationales et des législations nationales mises à jour. Ainsi aujourd’hui, lorsque des projets (pas seulement agricoles) sont susceptibles d’avoir des impacts potentiels significatifs sur l’environnement, la plupart des législations nationales des pays d’Afrique – à l’instar des pays développés initiateurs – demandent que ces impacts soient obligatoirement pris en considération par les porteurs de projets dans des Etudes d’Impact Environnemental et Social – EIES7, selon des méthodes et des procédures types, dont la mise en œuvre et le financement sont à la charge de l’investisseur.
Le rôle moteur des ONGs et des bailleurs de fonds
Sous la pression des ONGs internationales et portés par leur devoir d’exemplarité, les bailleurs de fonds de l’aide au développement se sont engagés à rendre leurs projets irréprochables sur le plan environnemental et social. La Banque Mondiale a été la première institution à initier des règles de sauvegardes à la fin des années 90, adoptées à partir de 2006 par la Société Financière Internationale (SFI)8 ; elles font figure de mesures standard connues sous le nom de Principes de l’Equateur9. Dans le domaine de l’agriculture notamment, il s’agit de procédures opérationnelles (PO) qui traitent des sujets suivants : PO 4.01 – Evaluation Environnementale, PO 4.04 – Habitats naturels, PO 4.09 – Lutte antiparasitaire, PO 4.10 – Populations autochtones, PO 4.12 – Réinstallations involontaires, PO 4.36 – Forêts.
D’autre part, certaines filières agro-industrielles, étant accusées par certaines ONGs internationales (Greenpeace, WWF…) de déforestation massive des forêts tropicales, ont établi d’elles-mêmes leurs propres règles de sauvegarde environnementale et sociale. C’est le cas par exemple, de la certification « RSPO (= Roundtable on Sustainable Palm Oil) » établie en 2004 par la filière palmier à huile ; ou de « l’Agriculture zéro déforestation » établie en 2014 en Côte d’ivoire pour les filières café-cacao et cultures pérennes, dans le cadre du processus REDD+10mis en place par la CCNUCC11 pour lutter contre le changement climatique.
Objectifs et contenus types d’une EIES
Le but d’une EIES est :
- d’établir un diagnostic sur l’état environnement et social initial de la zone du projet et d’évaluer un par un les impacts prévisibles des activités du projet, que ces impacts soient positifs – ce qui est toujours le but recherché, au moins sur le plan socio-économique, ou négatifs – ce qui est souvent le cas sur le plan environnemental et peut arriver sur le plan social ;
- puis de formuler des recommandations d’optimisation, d’atténuation ou de compensation, afin que le projet soit économiquement rentable, viable sur le plan environnemental, acceptable sur le plan social, c’est-à-dire pour résumer : ‘durable’.
6 Pour le secteur agriculture, le phénomène représente 20% des émissions mondiales de CO2.
7 Ou une Notice d’Impact Environnemental et Social (NIES) si les impacts sont reconnus comme peu importants (en référence à une check-list officielle classant les projets selon l’intensité de leurs impacts attendus).
8 La SFI fédère l’ensemble des bailleurs de fonds internationaux.
9 Les Etablissements Financiers qui appliquent les Principes de l’Equateur (Equator Principles Financial Institutions – EFPIs) ont adopté ces Principes afin de s’assurer que les projets qu’ils financent soient réalisés d’une manière socialement responsable et respectueuse de l’environnement. Ainsi, les effets négatifs sur les écosystèmes et sur les communautés affectés par un projet doivent être évités dans la mesure du possible, et, s’ils sont inévitables, doivent être limités, atténués et/ou compensés de manière appropriée.
10 REDD = Réduction des Emission de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts.
11 CCNUCC = Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique.