Comprendre les enjeux de l'agriculture

La massification des filières céréalières biologiques complique la transformation de la farine en pain et en pâtisseries. La qualité du blé produit est hétérogène. Il n’est pas toujours panifiable. Par ailleurs, la demande croissante de produits céréaliers bio est totalement déconnectée du rythme auquel les exploitations se convertissent à l’agriculture biologique. Sans compter des rendements faibles et des prix de revient parfois exhorbitants

Les artisans et les entreprises, récemment engagés dans la fabrication de produits bio à base de farine bio, sont confrontés à des problèmes d’approvisionnement récurrents aussi bien en volume qu’en qualité, des problèmes rares dans les filières conventionnelles.
C’est le principal enseignement de la conférence Le bio, comment la filière s’organise-t-elle pour répondre à la demande qui a ouvert les 69es journées techniques des industries céréalières. Elles ont été pilotées par l’Association des anciens élèves des écoles des métiers des industries céréalières (Aemic).
La filière de transformation des céréales biologiques n’est donc pas un long fleuve tranquille. L’élaboration de chaque produit exige des savoir-faire précis et engage des professionnels dans des expériences inédites pour structurer leur filière. Tout est à réapprendre.
La demande de produits bio ne prend pas en compte les difficultés d’approvisionnement auxquelles sont confrontés les professionnels pour fabriquer des produits homogènes. Et encore moins le temps nécessaire pour convertir des exploitations à l’agriculture biologique.

Rendements et teneur en protéine faibles

En fait, la filière céréalière est à la croisée des chemins entre les cahiers des charges que les agriculteurs sont tenus de respecter pour que leurs produits soient certifiés bio et les exigences des industriels et des consommateurs. Les blés cultivés et récoltés sont très hétérogènes, d’une parcelle à l’autre. Ils ne sont pas tous panifiables ni aptes à l’industrie de la biscuiterie. Malgré des rendements faibles, la teneur en protéines des grains est très souvent inférieure à 12 % car les apports en azote organique sur les cultures ne sont pas suffisants pour nourrir correctement les plantes. La France produit 34 millions de tonnes de blé mais seules 130 000 tonnes ont été collectées pour leur qualité (100 000 tonnes en bio et 32 000 tonnes en C2).

La filière céréalière bio n’est donc plus une filière de niche mais elle n’est pas non plus une grande filière industrielle. En phase d’apprentissage, elle tente d’en adopter les principes et les valeurs portées par ses acteurs. Selon ces derniers, il n’est pas question de les sacrifier sur l’autel de la compétitivité et la loi du marché.

Des frais de transport et de stockage élevés

Mais la production et les rendements de blé varient d’une année sur l’autre de plus ou moins 30 à 40 %. Le travail d’alottement est très important. Les organismes stockeurs et les meuniers professionnels travaillent des lots de grains hétérogènes, qu’il faut nettoyer pour les débarrasser des impuretés (graines d’adventices). Si les champs sont cultivés avec des mélanges d’espèces, il faut séparer les différents grains.

Dispersée, la collecte de céréales bio induit des frais de transport très élevés. La distance moyenne parcourue par ces dernières  du champ au silo est en France de 100 km contre 15 km pour les cultures conventionnelles.  Leur empreinte CO2 est donc très élevée. Par ailleurs, les organismes stockeurs doivent veiller à stocker les grains à l’abri des insectes sans utiliser de produits chimiques. Comme la collecte porte sur des petits volumes, le stockage des grains est fait dans des petits silos spécifiques pour bien séparer les lots des uns des autres. La collecte et le stockage exigent, donc, des infrastructures très importantes au regard des volumes traités. Le niveau d’investissement est de 600 à 900 € par tonne contre 300-400 € par tonne en conventionnel. Or les coopératives manquent de capitaux pour investir.

Enfin, les analyses nécessaires pour garantir la certification « produits issus de l’agriculture biologique », sont plus nombreuses (1 tonne sur pour 200  contre 1 pour 5 000 t en conventionnel).

Des charges d’intrants identiques

Du champ à l’assiette, la filière céréalière biologique est ainsi confrontée, à tous les niveaux, à des coûts élevés et spécifiques qu’il est nécessaire d’intégrer dans les prix de vent. Aussi, affirmer pouvoir vendre des produits bio au prix des produits conventionnels est un leurre! Les rendements deux fois plus faibles (3 t/ha) sont à peine compensés par des prix de la tonne de blé payés jusqu’à trois fois supérieurs au prix conventionnel selon les années. Les charges d’intrants sont quasiment identiques (90 €/t contre 100 €/t en conventionnel), les frais de mécanisation sont élevés et le parc matériel à amortir est aussi coûteux à l’achat qu’en agriculture conventionnelle.
« Je gère du risque en permanence », assure Camille Moreau, de la coopérative 100 % bio Corab. Pour se donner de la visibilité, la coopérative contractualise avec les céréaliers adhérents et les clients la quantité de blé à produire et à livrer. La durée des contrats est de trois ans.

Vers des variétés de céréales spécifiques au bio ?

Une partie des difficultés des transformateurs résulte des conditions de culture des champs de blé. Les pratiques culturales actuelles de l’agriculture biologique sont en partie remises en cause car elles posent des problèmes de rendement et de qualité des grains récoltés. Les céréaliers se rendent compte que les techniques simplifiées de travail du sol ne sont pas sans inconvénients. L’enherbement des parcelles est une menace permanente.
Les meuniers comptent sur la recherche agronomique pour mettre au point des variétés de céréales spécifiques à la culture biologique. Les variétés sélectionnées pour la culture intensive ne sont pas adaptées à une production biologique. Les agriculteurs souhaitent disposer de plantes plus résistantes au dérèglement climatique et qui tallent abondement pour occuper au maximum le terrain.
L’essor de la filière céréalière biologique va entrainer inévitablement le développement d’autres filières bio dans les régions où les cultures de blé alterneront avec celles de betteraves et de pommes terre bio. Comme pour le blé, toute la logistique des organismes collecteurs, stockeurs et des industriels devra alors être repensée pour produire à l’échelle industrielle des produits transformés bio.

Frédéric Hénin