Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le riz est la deuxième céréale la plus consommée en Afrique, après le maïs. En Afrique de l’Ouest où l’on consomme plus des deux tiers de la céréale en Afrique Subsaharienne, le riz a connu le plus grand essor avec une consommation multipliée par quatre au cours des 30 dernières années sous la triple influence de la croissance démographique, d’une forte l’urbanisation et de l’augmentation de la consommation de riz par habitant. La consommation ouest-africaine est ainsi passée de 5 millions de tonnes, au début des années 1990, à plus de 22 Mt à la fin des années 2010. Or, malgré les progrès observés dans la production locale, grâce surtout à l’extension des surfaces rizicoles, l’Afrique de l’ouest doit importer massivement, l’équivalent de 45% de sa consommation totale de riz, contre 40% au début des années 2010, et 20% seulement dans les années 1960 et 1970. Les importations ont ainsi représenté 12 Mt en 2018 contre 4 Mt en 1990, soit un triplement en 20 ans. Elle est, depuis une vingtaine d’années, le premier pôle d’importation, devant l’Asie du sud-est, avec 25% des importations mondiales, et un tiers si l’on considère l’ensemble de l’Afrique Subsaharienne. Du fait de cette dépendance extérieure, la région est fortement exposée à l’instabilité des marchés internationaux. La crise de 2008 illustrée par la flambée des prix mondiaux, a ainsi constitué un choc important, surtout pour les populations les plus démunies.

Pour répondre à cette crise, les gouvernements africains, avec leurs partenaires internationaux, ont mis en œuvre de nouvelles politiques de soutien aux filières locales en vue d’atteindre l’autosuffisance en riz, et au passage réduire la pauvreté par la création d’emplois agricoles. Pilier de la sécurité alimentaire, l’autosuffisance en riz est devenue ainsi un objectif majeur de l’action publique, et même un sujet sensible politiquement car inscrite en haut de l’agenda politique et des programmes électoraux.

Ces politiques mettaient en avant le spectre de nouvelles crises alimentaires et les responsables politiques affirmaient que l’Afrique devait assurer sa sécurité alimentaire en comptant sur ses propres ressources. A l’échelle mondiale, l’Afrique disposerait certes de 50 à 60% des terres arables disponibles de la planète1, mais leur mise en valeur est loin d’être aisé compte tenu des contraintes d’accessibilité aux ressources productives par les acteurs économiques, et en premier lieu les producteurs.

Les politiques les plus emblématiques ont été menées au Mali et au Sénégal dès 2008 avec l’Initiative riz au Mali et la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’Abondance (Goana) au Sénégal. Ces politiques visaient, notamment, à améliorer l’accès des intrants (engrais et semences) aux producteurs par des subventions et des crédits de campagne. Des investissements lourds en infrastructures d’irrigation ont été aussi lancés afin d’intensifier la riziculture. Au Nigeria et en Côte d’Ivoire, les autorités se sont mobilisées aussi, misant en particulier sur la modernisation et l’industrialisation du secteur de la transformation afin d’améliorer la qualité du riz local et concurrencer durablement le riz importé.

Des résultats en demi-teinte

Les premières années, les plans de relance de la production rizicole ont connu une certaine réussite, mais dès 2010, les importations ont marqué une forte reprise à cause d’un essoufflement de la production locale, mais surtout en raison d’une baisse des prix mondiaux. Les programmes de soutien des filières locales se sont poursuivis, sans atteindre toutefois les objectifs escomptés de réduction significative de la dépendance rizicole vis-à-vis du marché international. L’une des explications a été le manque de cohérence et de constance des politiques mises en place face aux enjeux, et aux contraintes, du développement des filières locales 2.

En effet, les mesures « anti-crise » n’ont pas seulement concerné le soutien aux filières locales. Les gouvernements ouest-africains ont procédé aussi à la défiscalisation des importations, tout au moins à une réduction des taxes, afin d’atténuer l’impact de la flambée des prix mondiaux sur les consommateurs les plus pauvres, préférant ainsi revenir à une politique des riz importés à bas prix. Par ailleurs, l’appel à des grands investisseurs privés pour dynamiser la production rizicole et la chaine de valeur dans son ensemble, laissait peu d’espace aux petits producteurs et transformateurs artisanaux pour accéder aux ressources foncières et financières, ce qui pose la question sur des possibles conséquences sociales dans la transition de la riziculture ouest-africaine vers un modèle plus capitalistique et intensif3.

Une dure mise à l’épreuve de la théorie du ruissellement

Dans une approche se voulant plus holistique, certains pays ouest-africains ont cherché à développer des pôles de croissance agricole (agropoles) en faisant appel à des partenariats public-privé. L’idée était de mettre en place de nouvelles formes de coordinations verticales entre un leader de pôle, investisseur privé, et des producteurs et des transformateurs artisanaux afin d’assurer les approvisionnements pour les uns et des débouchés pour les autres sur la base d’une contractualisation. Cette forme d’organisation avait aussi pour but de palier à une contrainte majeure qui touche l’ensemble des filières vivrières en Afrique : le manque de financements. L’Etat comptait ainsi sur ces investisseurs privés, nationaux et/ou internationaux, pour financer les activités agricoles et de transformation.

Les expériences menées dans plusieurs pays ouest-africains (Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal…) ont été pour le moins mitigées, souvent soldées même par des échecs4. D’abord, à cause de la démarche « top-down » qui contraint les producteurs à appliquer des techniques agricoles et des modèles commerciaux peu adaptés aux agricultures familiales et aux modes de transformation artisanale. Une autre difficulté majeure est le manque de proximité et l’absence des relations de confiance entre les acteurs. Dans les systèmes dits informels et de proximité à l’échelle des villages, voire des quartiers, les relations entre acteurs sont fondées sur une interdépendance réelle. Vendeurs et acheteurs ont des intérêts mutuels et leur réussite dépend du respect des accords passés, qu’ils soient formels ou informels. Or, dans le cas des investisseurs privés, souvent d’origine urbain, leur éloignement géographique, mais aussi culturel, par rapport aux acteurs ruraux fait que les contrats formels ne sont pas toujours respectés de part et d’autre (non livraison des quantités de riz prévues, paiement en retard…).

Les difficultés à maitriser les changements d’échelle dans la mise en place des relations contractuelles se présentent comme un frein au développement des filières locales. Le riz local peut alors difficilement concurrencer le riz importé dont les circuits de commercialisation sont beaucoup plus dynamiques et capitalisés grâce à un meilleur accès à des financements. A titre d’exemple, la valeur des importations africaines de riz aurait présenté, en 2016, plus de 7 milliards de dollars5.

L’autosuffisance, aussi légitime qu’elle puisse être en terme de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire, le droit pour chaque pays de choisir librement comment couvrir les besoins alimentaires de leur population, implique néanmoins des modes d’organisation et de coordination mieux adaptés aux réalités locales.

L’une des clés de réussite se trouve dans la capacité à maitriser les changements d’échelle lors des intermédiations entre les acteurs. Mais, comment créer et maintenir des interdépendances « gagnants-gagnants » entre les acteurs ?

Parmi les voies possibles il y a la mise en place de contrats plus flexibles. Favoriser aussi une proximité plus grande avec notamment des entrepreneurs locaux pour créer des « groupes de confiance » et une meilleure implication des jeunes et des femmes dans l’agriculture contractuelle. Il s’agit enfin d’aborder la question de la protection des filières locaux par rapport aux importations, et la place et le rôle des importations dans la régulation des marchés locaux. Une protection mal appliquée peut engendrer des effets d’aubaine pour des opérateurs qui peuvent spéculer sur les prix, avec un risque aussi d’une baisse de la qualité des produits.

Des objectifs d’autosuffisance en riz sans maitrise technique de la culture et des modes de coordination inefficients peuvent être source d’instabilité et même représenter un risque pour la sécurité alimentaire. En effet, du fait de la saisonnalité de la production, les prix locaux subissent des variations importantes entre les périodes de récoltes et de soudure. Tandis que les importations de riz ont l’avantage d’une plus grande régularité dans les approvisionnements et dans la qualité ; on observe aussi une meilleure stabilité des prix à la consommation. Par contre, la production interannuelle du riz local est soumises à des variations en raison de la part très importante des rizicultures locales sans maitrise d’eau (plus de 70% de la production de riz en Afrique subsaharienne), ce qui les rend sensibles aux aléas climatiques. On comprend de lors, les politiques visant à moderniser les systèmes rizicoles afin de les rendre plus performants et moins soumis aux conditions climatiques. Mais, c’est une erreur de penser que des investissements lourds dans les infrastructures pour intensifier la riziculture et améliorer la qualité de la transformation peuvent suffire pour mettre en valeur les énormes ressources agricoles dont dispose le continent africain, et assurer la sécurité alimentaire.

De la même manière, il existe un fatalisme récurrent qui consiste à justifier les échecs des politiques par le manquement des actions publiques et des acteurs privés, sans se demander pourquoi les actions proposées et les politiques mises en œuvre ne peuvent atteindre les objectifs escomptés. Les pas de temps avancés pour atteindre les objectifs sont ceux des engagements politiques tenus par les gouvernements successifs, mais qui ne tiennent pas compte du temps nécessaire pour que les actions se transforment en activités productives et durables.

Patricio Mendez del Villar

1 Pierre Jacquemot, 2017, Le mythe de l’Abondance des terres arables en Afrique https://www.willagri.com/2017/11/20/mythe-de-labondance-terres-arables-afrique/

2 Mendez del Villar P, Bauer JM, 2013, Le riz en Afrique de l’Ouest : dynamiques, politiques et perspectives, Cah. Agric, vol 22, 334-44. DOI: 10.1684/agr.2013.0657

3 Adamczewki A. et al, 2013 Terre, eau et capitaux : investissements ou accaparements fonciers à l’Office du Niger ? Cah. Agric, vol 22, : 22-32. DOI: 10.1684/agr.2012.0601

4 Picard F ; et al, 2017 L’émergence des Pôles de Croissance Agricoles en Afrique. Note de synthèse #6, Internaiton Institute for Sustainable Development. www.iisd.org/sites/default/files/publications/rise-agricultural-growth-poles-in-africa-fr.pdf

5 Mendez del Villar P, 2017 Riz, L’Afrique et les marchés mondiaux de matières premières in ARCADIA, Cyclope Ed. Economica et OCP Policy Center, 2017, 93-99.