Comprendre les enjeux de l'agriculture

La forte reprise de l’économie mondiale ne profite pas à l’agriculture alors que les fermiers européens et américains sont victimes des politiques de leurs gouvernements et de la hausse du cours du prix du pétrole

L’économie mondiale prospère avec un taux de croissance de 4% l’an. Le sous-titre en allemand de l’édition 2018 de Cyclope – « Les marchés mondiaux » : « Der Himmel lacht, die erde jubilieret » (Le ciel rit, la terre jubile) – exprime ni plus ni moins cette euphorie. Ce  pavé de 800 pages a été présenté le 16 mai dernier par Philippe Chalmin, professeur à l’université de Paris Dauphine.

Cependant, tous les indicateurs ne sont pas au vert ! Le retour de la croissance marginalise des pans entiers de l’agriculture mondiale. Les prix des céréales ne décollent pas alors que les cours du pétrole sont au plus haut depuis plus de quatre ans. Le cours du baril a franchi le seuil de 80 dollars mi-mai. Or les agriculteurs ne sont pas en situation de pouvoir répercuter ce coût supplémentaire sur leur prix de vente.

L’épée de Damoclès des conflits au Moyen orient

Les marchés pétroliers sont tirés à la hausse par le regain de tensions au Moyen Orient (remise en cause de l’accord nucléaire iranien, guerre du Yémen) et par la crise politique  au Venezuela. « Avec le rééquilibrage progressif entre l’offre et la demande, les traders commencent à redécouvrir la géopolitique et son impact sur les cours de l’or noir, une matière première éminemment stratégique », analyse Francis Perrin, un des contributeurs de Cyclope 2018. Or jamais autant de pétrole n’a été produit sur la planète. L’an prochain, les Etats-Unis vont devenir le premier pays producteur mondial de pétrole. Mais la demande est plus dynamique que par  le passé (99,3 millions de barils par jour en moyenne cette année selon Cyclope 2018).

Des prix de vente des produits agricoles faibles et un baril à 80 dollars: les fermiers européens et américains ne couvrent plus leurs coûts de production. La parité euro-dollar accentue les pertes des céréaliers européens, bien que ces dernières semaines l’euro soit en baisse. Quant aux autres grands pays exportateurs comme « l’Argentine, l’Ukraine et la Russie, la dépréciation de leur monnaie tempère pour un temps le phénomène », analyse Philippe Chalmin.

Les céréaliers des pays exportateurs peuvent tout au plus compter sur un rééquilibrage des marchés grâce à une production mondiale de céréales inférieure à la consommation. Toutefois, la Chine pourrait contribuer à une reprise des cours en puisant dans ses stocks de maïs, estimés à 200 Mt.  Souhaitant renforcer sa filière bioéthanol, l’Empire du Milieu pourrait même devenir à terme un pays importateur net de maïs.

Jamais la planète n’a produit autant d’oléo-protéagineux : 580 Mt auraient été récoltées durant la campagne qui s’achève (+ 15 % en quatre ans). Mais la demande augmentant à un rythme plus modéré, les stocks sont en hausse (111 Mt en 2018) tempérant la hausse des prix. Toutefois, les marchés des oléagineux réagiront probablement à la hausse des prix des hydrocarbures fossiles.

Le marché de la viande se porte bien, malgré de nombreuses incertitudes

« L’année 2018 sera volatile pour le marché des viandes », écrit Jean Paul Simier, contributeur de Cyclope. La Chine sera encore le premier importateur mondial même si son économie ralentit. Mais de nouveaux pays émergents, amateurs de viande, prennent déjà le relais (Indonésie, Philippines, Malaisie, Mexique, Ghana…) et tirent à la hausse la demande mondiale de produits carnés.

Malgré une amélioration de son économie grâce à la hausse du cours du pétrole, la Russie restera la grande absente du marché de la viande du fait d’un embargo qui n’en finit pas de durer.

L’Union européenne, fragilisée par une demande intérieure en repli, et par l’embargo russe, sera concurrencée par le Brésil « qui revient progressivement au premier plan mondial » et par le « rebond de la production de viande des États-Unis, notamment en porc et en volaille », analyse Jean Paul Simier.

Le contexte géopolitique rend toute prévision aléatoire.

« Rarement les incertitudes politiques auront été aussi grandes à commencer par les États-Unis et l’improbable Donald Trump, mais aussi sans oublier le Brexit et la consolidation du pouvoir personnel de Xi Jinping en Chine », explique Philippe Chalmin.

Les politiques agricoles des Etats Unis et de l’Union européenne en perdent encore un peu plus de leur consistance!  Donald Trump néglige l’agriculture américaine alors que les farmers l’ont majoritairement porté au pouvoir.

Les agriculteurs européens et américains négligés par leurs gouvernements

Les exportations américaines de soja sont menacées par les mesures de rétorsion prises par la Chine «capable de gérer une réduction de 20 à 30 % de ses achats de soja aux Etats-Unis », soulignent les contributeurs de Cyclope. Les farmers qui se sont détournés du blé pour cultiver du soja, plus rémunérateur, craignent d’être les dindons de la farce. Par ailleurs ces mêmes farmers redoutent les mesures américaines  destinées à limiter l’accès des Mexicains et des Sud-américains au marché du travail US. « La pénurie de main-ouvre agricole se fait de plus en plus aiguë aux États-Unis, qu’il s’agisse de la Californie ou du Midwest », affirme Cyclope.

Le Farm bill de 2019 laisse présager des coupes budgétaires. Les fermiers américains s’estimeront probablement heureux s’ils peuvent sauver leurs assurances et obtenir le maintien des mécanismes de soutien à leur niveau actuel et obtenir une assurance spécifique au secteur laitier ».

Dans l’Union européenne, la fin des quotas betteraviers sonne le glas de la politique agricole commune telle qu’elle a été élaborée au début des années 1960 alors que les planteurs de sucre sont confrontés à une conjoncture effroyable. « Se profile un excédent mondial de plus de 5 Mt de sucre », rapportent les contributeurs du Cyclope 2018. A Bruxelles, la discussion du budget agricole européen ne commence pas sous les meilleurs auspices. Se dessinent une baisse des crédits et l’absence d’outils efficaces de sécurisation des revenus pour faire face à la volatilité des marchés agricoles.

Par ailleurs, « personne ne sait quel sera l’impact commercial, dans l’Union européenne et au niveau mondial, du retrait du Royaume Uni de l’Union européenne », a déclaré Philippe Chalmin.