Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les savoirs traditionnels ruraux sont associés à l’ensemble des connaissances, savoir-faire et représentations des communautés ayant une longue histoire avec leur milieu naturel. Ils sont intimement liés aux relations sociales, à la spiritualité, au langage et récits et à la façon d’appréhender le monde. Ils sont transmis par voie intergénérationnelle et plutôt liés à l’observation. S’ils ont souvent été relégués dans une sphère du passé par l’agronomie dominante, celle de la révolution verte, ces connaissances autochtones retrouvent peu à peu leur place au sein de la recherche contemporaine, notamment en France, du CIRAD, mais aussi des pratiques préconisées notamment par les organisations de professionnels du développement (AVSF, Gret, Iram, AgriSud…) qui montrent que des techniques anciennes, abandonnées sur l’autel de la révolution verte, présentent souvent les meilleurs résultats pour les exploitations familiales.

Savoirs traditionnels de l’agriculture africaine

Alors que les savoirs scientifiques et techniques sont standardisés, uniformisés et formalisés par la recherche dominante et par l’industrie agroalimentaire, les savoirs paysans sont vernaculaires, localisés, contextualisés et empiriques. Les savoirs paysans ont le mérite d’être diversifiés et adaptés à nombre de circonstances. Ce savoir se nourrit d’une connaissance fine des écosystèmes et aussi de l’échange avec d’autres paysans pour constituer un vaste ensemble de connaissances opérationnelles. C’est par leur truchement que les savoirs importés sont interprétés et évalués par les paysans.

Prenons l’exemple de l’agriculture paysanne africaine. Sont souvent mobilisés à l’échelle de l’exploitation des savoirs très divers portant aussi bien sur la préservation des semences, le vannage du grain ou le stockage de la récolte. Nombre de ces techniques héritées peuvent en fait recevoir le label « agroécologique » : gestion des semences traditionnelles rustiques, méthodes de maintien du potentiel nutritif des sols, utilisation de l’arbre d’ombrage dans les écosystèmes cultivés (agroforesterie), intégration agriculture-élevage, dispositifs anti-érosifs, méthodes de rétention des eaux de pluies, associations et rotations des cultures… Ces pratiques se révèlent efficientes dans des terroirs très variés, dans la province du Yatenga au Burkina Faso ou dans l’Androy dans le sud de Madagascar. Elles sont à la base de nombreux de développement rural.

Agroforesterie et savoirs traditionnels

La gestion des forêts donne également lieu à une vaste gamme de pratiques d’agroforesterie (coupe sélective permettant la valorisation de certaines essences, exploitation d’autres essences pour leur écorce, leur résine, leurs feuilles, leurs fruits). Le génie paysan dévoile de multitudes ressources. Ainsi en est-il pour le cocotier qualifié au Ghana d’« arbre de vie ». Il peut vivre cent ans. Il donne cent sous-produits différents : une amande qui peut être consommée à l’état frais ou transformée, après séchage dans un four (l’amande devenant du coprah duquel on extrait de l’huile), en lait ou en crème de beauté ; de la fibre pour le tissage, le rembourrage, le cordage ou le paillassonnage ; de la coque pour faire du charbon de bois ou de la farine utilisée comme abrasif léger pour le décapage et le lustrage ; des troncs pour faire des charpentes ; des feuilles pour confectionner des nattes ou tisser des chapeaux… Les racines sont utilisées en pharmacie. Par incision du tronc ou par inflorescence, on obtient une sève qui sert à la fabrication de boissons alcoolisées, de vinaigre et de sucre.

Reconnaissance internationale

Ces divers savoirs sont désormais de mieux en mieux identifiés, inventoriés et valorisés quand ils permettent de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes cultivés et quand ils contribuent à diversifier les options agronomiques face aux diverses contraintes, notamment climatiques.

Projet Gret-CTAS-Madagascar Inventaire des variétés semencières locales

Les savoirs autochtones ont progressivement acquis une reconnaissance officielle de la part de la communauté scientifique internationale. L’Inde a ainsi constitué une base de données (Traditional Knowledge Digital Library) qui fournit des informations sur les savoirs traditionnels du pays en vue de se prémunir contre la biopiraterie, c’est-à-dire contre la délivrance abusive de brevets à des firmes internationales.  Dans ce pays, Navdanya (crée par Vandana Shiva), un mouvement de 500 000 « gardiens de semences » qui cultivent, conservent et distribuent des graines questionne inlassablement les firmes qui apposent leurs brevets sur des OGM et qui empêchent les paysans d’utiliser et de reproduire leurs propres graines.

Plus généralement, le recensement des savoirs autochtones répond au souci d’éviter qu’ils ne se perdent, et y puiser des ressources pour répondre à des problèmes dans des domaines aussi variés que la santé, la lutte contre la désertification ou le réchauffement climatique. La création en 2010 par l’Unesco de l’International Traditional Knowledge Institute (Itknet) en Italie, et la constitution d’une banque mondiale informatisée des savoirs autochtones (TKWB) s’inscrivent dans cette démarche. Le Protocole international de Nagoya (2010) porte précisément sur l’utilisation des connaissances traditionnelles associées à ces ressources génétiques et aux bénéfices ou avantages découlant de leur utilisation. Il accorde aux communautés autochtones une reconnaissance des connaissances, innovations et pratiques qu’elles ont développées.

Pierre Jacquemot