Comprendre les enjeux de l'agriculture

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N’en déplaise aux Cassandres et malthusiens de tous poils qui n’ont cessé  de nous annoncer, siècle après siècle, que l’humanité finirait par succomber à la famine, victime d’une croissance démographique incontrôlée. Le dossier d’André Neveu montre, de manière vivante, comme l’humanité a su, à travers les âges, relever avec succès le défi de la sécurité alimentaire. De quoi être optimiste pour l’avenir…

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Pendant des siècles, les difficultés de transport et la médiocrité des excédents alimentaires disponibles imposent à chaque communauté et à chaque pays de vivre sur ses propres ressources. Mais en cas de récoltes insuffisantes, la pénurie s’installe, et si les mauvaises années se succèdent, la famine frappe les populations les plus démunies.

Certes en son temps, l’empire romain a mis au point toute une organisation en vue d’approvisionner sa capitale à partir de la Sicile, la Tunisie et d’autres régions de l’empire. Mais pendant tout le Moyen Age, les échanges commerciaux alimentaires sont nuls ou négligeables. Seuls, les produits coûteux (épices, vins…) voyagent sur de longues distances.

Les temps modernes et les premières mesures pour améliorer l’approvisionnement des villes

Dans un monde longtemps extrêmement compartimenté, la satisfaction des besoins alimentaires est totalement déterminée par l’état des récoltes de l’année en cours, donc du climat observé ou plutôt subi. Les pénuries et les famines sont donc fréquentes, et pas seulement en Afrique ou dans les pays asiatiques. La France de Louis XIV n’en est pas exempte : en 1693-1694, plus d’un millions de français et de françaises sont morts de faim (sur un total de 18 millions).

Cependant, pour éviter le renouvellement de telles catastrophes, on s’efforce de faciliter le commerce intérieur des céréales depuis les régions excédentaires vers les régions déficitaires. En raison de l’état déplorable des routes et de la lenteur des transports terrestres, on utilise de plus en plus les fleuves pour acheminer les produits pondéreux par voie d’eau. Et à partir du 17ème siècle, l’Angleterre, les Flandres, l’Allemagne et dans une moindre mesure la France, creusent les premiers canaux[1].

Certains pays complètent aussi leurs ressources alimentaires par des importations maritimes. L’Amérique du Nord et la Russie sont mises à contribution. Les grandes villes portuaires comme Londres ou Amsterdam sont ainsi approvisionnés car leurs besoins céréaliers sont  de plus en plus importants et qu’ils ne peuvent être satisfaits par la production des régions environnantes. On connait aussi l’épisode du vaisseau « le Vengeur » dont le sacrifice en 1794 a permis à un convoi de blé américain d’entrer dans le port de Brest[2]. Ou, vers la même époque, les importations d’Algérie dont le non paiement finit par susciter la colère du Dey d’Alger, avec les conséquences que l’on sait.

1840-1940 : les colonies sont mises à contribution

Au début du 19ème siècle, alors que la population mondiale atteint un milliard de personnes, l’émigration permet de desserrer l’étau de la surpopulation. C’est le début de la conquête de l’Ouest américain, mais aussi les premières implantations russes en Sibérie. Assez rapidement, ces nouveaux territoires agricoles dégagent d’importants excédents, principalement de céréales. Bientôt le chemin de fer facilite leur transport vers le port le plus proche d’où elles sont chargées sur des cargos jusqu’à leur destination finale qu’est l’Europe.

Mais à l’époque, ce sont surtout les colonies qui sont chargées de compléter l’alimentation des métropoles. L’Angleterre fait largement appel au Canada et à l’Inde ainsi qu’à quelques autres pays qui se situent dans son orbite commerciale et financière (vin du Portugal, viande d’Argentine…). La France importe du blé et du vin d’Afrique du Nord, de l’huile du Sénégal, du riz d’Indochine. La Belgique et les Pays Bas exploitent également à cette fin leurs propres colonies. Personne ne se soucie des conditions de vie des populations en charge de produire à vil prix pour le compte des pays colonisateurs.

Les pays qui ne disposent pas de ce type de ressources doivent se les procurer à grands frais sur les marchés internationaux. Ils cherchent aussi à étendre leur territoire pour accroître leurs ressources alimentaires : l’Allemagne nazi convoite le sud de la Pologne et l’Ukraine, le Japon occupe la Mandchourie, l’Italie fasciste veut installer des colons en Lybie. Après la seconde guerre mondiale, ces projets ou ces chimères sont évidemment vite oubliés et même le rôle des colonies tend à régresser, avant de disparaître définitivement.

1945-1970 : Les Etats-Unis découvrent le « pouvoir vert »

Lors de la crise économique des années 1930, les Etats-Unis accumulent d’importants excédents agricoles difficiles à écouler sur des marchés déprimés. Pour les agriculteurs américains, la seconde guerre mondiale est une aubaine car les besoins des armées sont énormes. Et au sortir de la guerre, les productions agricoles des pays européens, mais aussi du Japon, se sont effondrées. C’est une nouvelle opportunité qui s’ouvre pour les agriculteurs américains. Certes, ces pays (à l’exception de quelques rares pays neutres) manquent cruellement de devises et notamment de dollars. Qu’à cela ne tienne : le gouvernement américain propose son crédit et en attendant lance un plan d’aides aux pays d’Europe occidentale.

 C’est le plan Marshall destiné à venir en aide à ces pays. Celui-ci mobilise au profit de l’Europe de l’Ouest 16,5 milliards de dollars (dont 11 de dons) entre 1948 et 1951. L’objectif est à la fois d’éviter que ces pays basculent dans le camp soviétique, mais aussi de créer des liens commerciaux appelés à se pérenniser. La production agricole de l’Europe occidentale se redresse rapidement et bientôt dépasse celle d’avant guerre.

 En 1962, la création du Marché commun agricole suscite un certain trouble dans cette belle organisation car elle a pour conséquence une diminution des importations de céréales américaines. Mais lors du « Dillon-Round », les Etats-Unis obtiennent, en compensation de ce manque à gagner, un accès libre aux pays européens pour leur soja, sous forme de graines aussi bien que de tourteaux. Ce régime privilégié est toujours en vigueur.

Dans le même temps, et toujours pour s’opposer à l’expansion du communisme en Asie, les Etats-Unis financent des centres de recherche agronomique dans ces pays. Ceux-ci ont pour mission de mettre au point des variétés de céréales à haut rendement ainsi que les techniques nécessaires pour les utiliser dans les meilleures conditions. C’est la « révolution verte » qui va permettre d’éviter le retour des famines et de nourrir une population en croissance rapide dans le Sud et L’Est asiatique.

1 Biographie d’André Neveu

André Neveu est ingénieur, agronome, économiste et membre de l’Académie d’agriculture de France

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